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Par Agathe Perrier, le 11 juillet 2025

Journaliste

Quand les dinos peuplaient la Provence

La réserve naturelle de Sainte-Victoire est surnommée « Eggs en Provence » par les chercheurs étrangers © Photo d'illustration, Pixabay

Pas besoin d’aller dans les salles de cinéma pour voir des dinosaures. À la Maison Sainte-Victoire, près d’Aix-en-Provence, une exposition fait la part belle aux œufs et ossements découverts dans ce massif. Car oui, les terres provençales regorgent de traces de ces animaux fascinants. Mais non, ce patrimoine naturel n’a pas encore révélé tous ses mystères.

La Provence : ses cigales, ses geckos et… ses dinos ! Beaucoup l’ignorent, mais la réserve naturelle de Sainte-Victoire, au pied de la montagne éponyme près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), abrite un gisement paléontologique d’importance mondiale. Depuis 1947, le site dit des Grands-Creux est en effet célèbre pour ses nombreux œufs de dinosaures datant de la fin du Crétacé supérieur – période qui s’est étendue de -100,5 à -66 millions d’années. Plus récemment, depuis 2015, des campagnes de fouilles ont permis de révéler au grand jour des ossements qui prouvent la présence de rhabdodons, d’un arcovenator, variraptor ou même titanosaure en terres provençales. Toutes ces traces du passé sont au cœur de l’exposition « Bucco-Rhodania », proposée par le Département des Bouches-du-Rhône. À voir jusqu’à la fin des vacances de la Toussaint à la Maison Sainte-Victoire (lire bonus).

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Œufs mystères

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Exemple d’œuf d’herbivore trouvé dans la Réserve Naturelle de Sainte-Victoire © Jean-Paul Herbecq / Département 13

L’exposition est notamment centrée sur les fameux œufs du site de Sainte-Victoire, que les chercheurs étrangers surnomment d’ailleurs « Eggs en Provence ». Certains ont traversé les siècles sans heurts, fossilisés dans des argiles rouges et des grès continentaux. Ce n’est toutefois pas le cas de la majorité. « On les trouve surtout à l’état de coquille », précise Thierry Tortosa, à la double casquette de paléontologue et conservateur du patrimoine de la réserve naturelle.

Les spécimens encore entiers présentent un aspect rugueux, cabossé, craquelé. Loin de l’apparence lisse de nos œufs contemporains. Conséquence de l’effet du temps et des matières qui s’y sont agglomérées. Tous sont plutôt ronds, ce qui signifie qu’ils sont issus de dinosaures herbivores. Ceux des carnivores sont a contrario de forme oblongue, mais aucun n’a été découvert intact en Provence. « Ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas, prévient l’expert. Ils ont pu être cassés, notamment par les petits qui étaient élevés directement dans le nid et ont pu marcher dessus ».

Grâce à leurs diverses particularités – détaillées aux visiteurs – les chercheurs ont classé les œufs de Sainte-Victoire par familles. La plupart appartiennent à celle des Megaloolithus. « Ils peuvent donc provenir de titanosaures, de nodosauridés, de rhabdodons ou encore d’hadrausauridés », liste Thierry Tortosa. Là s’arrêtent les enseignements tirés de ces coquilles. D’autres vestiges ont cependant permis par la suite de savoir lesquels de ces géants du Crétacé ont réellement foulé le sol provençal.

♦ Lire aussi l’article « Des “cryo” banques génétiques pour sauver la biodiversité »

Des os par centaines

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Depuis 2015, une campagne de fouille annuelle de 20 jours est organisée © Jean-Paul Herbecq / Département 13

À partir de 2015, le département des Bouches-du-Rhône, gestionnaire de la réserve naturelle de Sainte-Victoire, a pris la décision d’intensifier les fouilles sur ce site. Désormais, une campagne de vingt jours est organisée chaque année, en lien avec le muséum d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence. Les premières ont rapidement mis à jour des ossements appartenant à une vingtaine d’individus rhabdodons, un dinosaure herbivore de trois à quatre mètres de long très commun à l’époque. L’exposition en présente d’ailleurs un squelette grandeur nature, reconstitué par Thierry Tortosa et son équipe. « On a pour cela scanné les os découverts sur place. Puis on a comblé virtuellement les manquants en se basant sur des squelettes des régions Paca et de l’Hérault ou des États-Unis. 90% de la reconstitution découle de découvertes locales », précise le paléontologue, non sans fierté.

À ses côtés trônent d’autres os. Dont ceux de l’Arcovenator escotae, un bipède de six mètres de long aux dents courtes et acérées, et de son contemporain le Variraptor, un carnivore à plumes mesurant jusqu’à trois mètres. Mais aussi le fémur d’un dinosaure de la famille des titanosaures, qui regroupe les créatures les plus lourdes ayant marché sur Terre. Lorsque l’on demande à Thierry Tortosa lequel est son favori, il botte en touche : ce sont tous ses bébés.

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Thierry Tortosa et son équipe de paléontologues ont reconstitué le premier squelette provençal de dinosaure, un rhabdodon © Agathe Perrier

Dinos et pas seulement

La suite de l’exposition s’attarde sur les découvertes d’autres sites appartenant au département. Comme deux titanosaures, dont un juvénile, trouvés à Velaux, à l’ouest d’Aix-en-Provence. Ou encore un matheronodon, un spécimen ressemblant au rhabdodon « mais avec une plus grosse mâchoire et de plus grosses dents », sourit Thierry Tortosa.

Tous les restes sortis de terre n’appartiennent d’ailleurs pas uniquement à des dinosaures. Ils n’en sont pas moins fascinants. En témoignent ceux d’un allodaposuchus, très gros crocodile… mangeur de dinos – c’est dire sa taille. Ou ceux d’un mistralazhdarcho, un reptile volant de 4,50 mètres d’envergure, les seuls débusqués dans le sud de la France. « On l’imagine toujours volant, sauf que les os découverts étant fragiles et fins comme du papier à cigarette, ils laissent à penser qu’il passait peut-être le plus clair de son temps au sol », glisse l’expert. Une anecdote parmi tant d’autres.

♦ Lire aussi l’article « Exploiter le passé minier de la Provence »

Mieux connaître et préserver ce patrimoine

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Le focus est aussi mis sur les découvertes hors dinosaure, comme des coquilles d’oeufs vraisemblablement pondus par des gastornis © Agathe Perrier

Si le conservateur-paléontologue parle toujours au conditionnel, c’est parce qu’un grand voile de mystère entoure le passé de ce patrimoine paléontologique. « Tout ce qui est présenté ici est un apéritif. Il y a encore beaucoup de choses à comprendre et à découvrir », appuie Thierry Tortosa. Que les prochaines fouilles éclairciront peut-être, à moins qu’elles n’ajoutent de nouveaux points d’interrogation.

Le département s’affiche en tout cas pleinement impliqué en la matière, consacrant un budget de 30 000 euros annuel aux fouilles, selon Jean-Marc Perrin, conseiller départemental délégué à la paléontologie et à l’archéologie en Provence. « Depuis qu’on a mis les moyens, on trouve autre chose que simplement des œufs, se félicite-t-il. C’est notre richesse patrimoniale, notre histoire, on se doit de la préserver ».

Dans un souci de protection justement, la surface de l’actuelle réserve naturelle de Sainte-Victoire va doubler(bonus). « Cette extension va permettre de préserver cet espace unique, d’empêcher son pillage. Outre les fossiles de dinosaures, elle abrite 1 500 espèces de faune et de flore d’une incroyable diversité », souligne l’élu. Une partie du site sera d’ailleurs enfin accessible au grand public, avec un parcours pédagogique consacré au passé paléontologique des lieux. Les dinos provençaux n’ont pas fini de faire parler d’eux, et c’est tant mieux ! ♦

Bonus

# Infos pratiques sur l’exposition Bucco-Rhodania – À la Maison Sainte-Victoire, chemin départemental n°17, 13100 Saint-Antonin-sur-Bayon. Ouvert du mardi au dimanche de 9h00 à 12h30 et de 13h30 à 18h00. Entrée libre. À voir jusqu’au 2 novembre 2025. La date initiale de fin, le 21 septembre, a été prolongée face au succès de l’exposition – elle a attiré plus de 30 000 visiteurs entre avril et juin. Toutes les infos sont à retrouver ici.

Le périmètre de la réserve naturelle de Sainte-Victoire

# L’extension de la Réserve naturelle de Sainte-Victoire – Elle a été créée en 1994et se situe sur le piémont ouest du massif. L’agrandir, de 139 à 280 hectares,vise à y intégrer l’ancien champ de tir militaire et ses alentours. Ce, « afin de conférer à la réserve une meilleure cohérence géographique et de garantir une protection réglementaire à un patrimoine naturel remarquable (sites fossilifères d’œufs de dinosaures, aire de nidification de l’Aigle de Bonelli) ». L’extension devrait être effective d’ici début 2026. Plus d’infos en cliquant ici.

# La France, terre de dinos – L’Hexagone est en effet « l’un des pays les plus riches en dinosaures d’Europe, voire du monde », selon Éric Buffetaut, paléontologue au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure. Près d’un millier de sites à dinosaures ont été recensés dans le pays. En Provence mais aussi en Normandie, en Lorraine, dans le Jura, le Languedoc-Roussillon… Plus d’infos dans cet article paru en 2018 dans le Journal du CNRS.