ÉconomieEnvironnement
Comment la drêche de brasserie devient un biscuit apéritif
[je recycle, tu surcycles, ils valorisent – #3]
Les résidus de production des brasseries et des huileries, respectivement ’’drêches de bière’’ et ‘‘tourteaux d’oléagineux’’ sont des ressources inexploitées. Depuis 2022, un entrepreneur engagé, Thibault Venezia, les valorise en délicieux biscuits dans son laboratoire d’Aix-en-Provence, en les mélangeant avec des fruits et légumes écartés. Pionnier en France du mixte de coproduits, iPSAGO travaille avec une trentaine de producteurs bio de la Région Sud, limitant ainsi le gaspillage alimentaire à la source.
Des biscuits singuliers trônent dans le rayon apéro du supermarché marseillais Supercafoutch. Butternut & curry, Carottes & cumin, Poivrons & carvi, etc. L’inédit n’est pas tant leur forme en billes, ni leur fabrication en circuit court, que leur composition : ils ont été réalisés à partir de ressources bio sous-exploitées. À savoir des drêches de brasserie et des tourteaux d’huilerie. Les premières sont les résidus secs de la production de bières, ici orge et blé maltés. Les seconds, de l’extraction d’oléagineux, comme noisettes, amandes et sésame.
Dans le jargon, on appelle ‘’coproduits’’ (bonus) ces ressources encore trop souvent sous-exploitées, alors qu’elles sont riches en protéines, fibres et minéraux. En effet, dans la plupart des cas, elles terminent dans des sites d’incinération, de méthanisation, à l’épandage ou en animation animale. <!–more–>
Drêches, tourteaux et légumes écartés

Thibault Venezia, cofondateur et président d’iPSAGO – « 0 gaspi » à l’envers, a décidé d’offrir une seconde vie plus honorable à ces coproduits, à leur juste valeur, en mettant au point une solution vertueuse. Il récupère directement les drêches chez les brasseurs (Bulles de Provence, La Brasserie des Milles, etc. ) et les tourteaux auprès de l’Huilerie Emile Noël, avant de les déshydrater et de les réduire en farine. Il y ajoute patates douces, carottes ou autres légumes bio locaux qui ont en commun d’avoir été écartés par leur producteur. « Parce qu’ils sont moches ou hors calibres, ou en surproduction », étaye l’entrepreneur devant son bureau, qui fait également office de table d’exposition, à l’entrée de son laboratoire.
Bons pour la santé et le palais

Pour affiner ses biscuits apéro, iPPSAGO ajoute un peu d’huile végétale, du romarin ou du cumin, des éclats de noisettes et un enrobage graines de pavot. Bien sûr, Thibaut Venezia n’a pas réussi ses recettes du jour au lendemain. Quand il a fait ses tests avec un petit déshydrateur, un an avant de se lancer, ce passionné de cuisine a « bien galéré ». Il a essayé de réduire en poudre ses coproduits par différents moyens, avant de parvenir à obtenir une farine fine, type 80, grâce à un procédé dont il taira le nom. « Secret de fabrication », sourit le trentenaire avenant, en jean et baskets. Il a dû également faire face à d’autres impératifs. L’hygiène tout d’abord – les drêches fermentent en quelques heures. La texture ensuite – ces coproduits étant hyperfibreux, le résultat final s’étiole facilement. Enfin, les nutriments – chauffer la matière première à trop haute température les tuent.
« Nous avons mené une étude : pour 100 grammes de tourteaux d’amandes, il y a 48 grammes de protéines », se réjouit Thibault Venezia
Hyperprotéinés

Pour pallier ces difficultés, iPSAGO sèche drêches et tourteaux, peu de temps après les avoir récupérés, « en trois heures », sous forme de plaques dans un déshydrateur XXL à moins de 60°. Le processus est le même pour les légumes et les fruits – avec une variante pour le temps et la température – incorporés dans les biscuits sous forme de purées ou de farines. Ensuite viennent les proportions, l’ajout d’huile végétale, de condiments… L’expert de l’incorporation, c’est son chef de production, Rémy Hulme. Son arrivée en 2023 a permis à la société de changer d’échelle. « c’est le pilier d’iPSAGO », souligne Thibaut Venezia, fier de cette collaboration qui permet au consommateur de faire le plein gourmand de vitamines et de protéines à chaque bouchée.
Un produit, une histoire

iPSAGO, c’est aussi des biscuits sucrés – choco & noisettes, citron & gingembre et piment & canneberges – et des pétales fruitées pommes, coco & gingembre. Chaque produit possède son histoire. Le grué de cacao est récolté auprès de la chocolaterie La Baleine à Cabosse et les poivrons, piments et courges butternut du semencier bio Agrosemens. « Il fait pousser des légumes pour ne garder que les graines. Il ne faisait rien de la pulpe des poivrons. Je la lui achète, cela lui fait un revenu complémentaire », insiste Thibaut Venezia. La pulpe de gingembre provient d’un fabricant de concentré de gingembre, Kaukani. Et les coques de citron (de Menton) de la Maison Ferroni. Une distillerie « qui utilise uniquement les zestes macérés dans sa vodka ».
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De nombreux résidus de fabrication à valoriser

Grâce à son procédé, la start-up peut valoriser une multitude de résidus de fabrication. Trônent d’ailleurs, en haut des étagères, ses tests dont la poudre de calisson mise au point en partenariat avec la Confiserie du Roy René. « Elle ne faisait rien avec ses chutes de calissons, car il y a un problème de conservation et ce n’est pas son métier ». iPSAGO les récupère sous forme d’une grosse boule de pâte composée de melon, d’amande et de sucre. « On la cuit, la casse et la tamise pour en faire une farine. L’avantage est qu’elle est déjà sucrée », détaille Thibault Venezia qui invite à la goûter. Un délicieux goût d’amande reste en bouche.
L’entrepreneur audacieux explore d’autres ressources. Il teste notamment l’assemblage spiruline-épinard, « très vert, très protéiné ». Et travaille aussi sur les champignons. Le problème n’est pas son manque de créativité, « si c’était moi, je sortirais 42 recettes », mais le manque de moyens. En effet, faire aboutir une recette est extrêmement coûteux et nécessite du temps.
400 points de vente

Trois ans après son lancement, iPSAGO a fait évoluer son idée de départ et son modèle économique (bonus). Développé 400 points de vente – épiceries fines, cavistes, enseignes bio comme Biocoop et Naturalia – et ouvert une boutique en ligne. Enfin, l’enseigne est reconnue pour son savoir-faire de la valorisation du coproduit. La Chocolaterie Castelain lui commande, par exemple, une poudre de biscuits sablés au beurre dans laquelle on retrouve les farines de drêche et de tourteaux de noisettes. La start-up, devenue société à mission, envisage désormais de proposer son expertise aux entreprises et artisans qui génèrent des chutes de fabrication (ou coproduits) et souhaitent arrêter de les gaspiller en les valorisant pour leur compte.
Trouver un équilibre financier

Le chef d’entreprise, qui a multiplié les prêts, est seul à développer la marque, en plus de gérer la société. « L’entrepreneuriat est compliqué, surtout quand il est engagé », déplore celui qui enchaîne les nuits courtes. L’enjeu aujourd’hui pour l’entreprise, qui tourne avec alternants et stagiaires, excepté Rémy, le chef de production, est de faire plus de volume et de trouver l’argent nécessaire pour développer la marque. Thibault Venezia envisage même de s’associer avec un industriel.
En attendant, l’Aixois poursuit l’aventure, motivé par la satisfaction des clients et la reconnaissance du métier. Il élargit prochainement sa gamme avec trois nouveaux cookies : choco & sésame, figues & noisettes et cacahuètes caramélisés façon « chouchous’’. Des recettes plus que jamais consensuelles et gourmandes. ♦

Bio express
-Enfance entre Éguilles et Forcalquier où sa famille de cœur, des herboristes, l’emmène ramasser des plantes sauvages près de Forcalquier et les faire sécher.
-Après des études de commerce, il est commercial dans l’informatique, puis la téléphonie et enfin, la santé.
-Remise en question pendant le Covid où il fait un ‘’bore out’’. « C’est la sensation de ne pas apporter assez de valeur à la société ».
-Décision de lier sa sensibilité environnementale, son attrait pour la cuisine et l’entrepreneuriat. Il s’oriente vers le gaspillage alimentaire, « car c’est un gros problème : 23 tonnes de fruits et légumes sont jetées toutes les secondes. Environ 30% de la production alimentaire n’est jamais consommée ». Il décide de s’attaquer à la source, par les légumes jamais commercialisés.
-Rencontre avec une dizaine de producteurs bio de la région qui lui expliquent ‘’leurs écarts de productions’’
-Décision d’ouvrir une conserverie avant de changer d’avis, « investissements lourds, milieu concurrentiel et produits chers à la fabrication ».
-Lancement d’iPSAGO en 2022
Bonus
# Podium. Pionniers de la valorisation de la drêche de bière : les crackers Ressurection.
# Le coproduit. En économie, c’est une matière créée de façon inévitable par le processus de fabrication d’un autre produit.