ÉconomieEnvironnement
Ils transforment les pneus de vélo en ceintures
[je recycle, tu surcycles, ils valorisent – #9]
À Roubaix, l’entreprise La Vie est Belt revalorise le caoutchouc des pneus de vélo usagés, comme ceux ayant servi pendant le Tour de France. À partir de ces déchets, elle fabrique différents accessoires de mode, comme nous le raconte Hubert Motte, le fondateur.
La vie est… Belt sur le tour de France. En tout cas à Lille, ville de départ de la Grande Boucle. Pour fêter le passage des coureurs, un “fan park” a été installé, avec des animations, des ateliers autour du vélo, ainsi que des stands de partenaires et d’équipementiers, comme celui de Continental. Sur place, les visiteurs ont pu en particulier, il y a quelques jours, fabriquer leurs porte-clés à partir de chambres à air et de pneus dysfonctionnels… issus des vélos du Tour.

En trois jours, 1500 produits ont été conçus, selon l’équipe de La Vie est Belt, spécialisée dans l’upcycling et organisatrice de l’atelier. Depuis plusieurs années, elle arpente donc les villes de France pendant la célèbre course cycliste pour sensibiliser à l’économie circulaire.
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Pour cette entreprise, l’aventure a démarré en 2017. En plus de huit ans, le fabricant a déjà sauvé plus de 70 000 pneus usagés de l’incinération en les transformant… en ceintures. Ou… belt en anglais, d’où le nom de la compagnie. « Le temps est passé vite », sourit Hubert Motte, à l’origine de la marque.
Un déclic en Asie

Pour nous raconter l’histoire de sa marque écoresponsable, le trentenaire originaire de Lille, ingénieur de formation, revient à ses débuts, quand il travaillait encore à Décathlon. Une expérience « enrichissante » qui lui a permis, dit-il, d’apprendre à savoir « fabriquer des produits ». Toutefois, il a vite remarqué que quelque chose lui manquait au quotidien. « J’étais un peu frustré, j’avais besoin de participer à autre chose. »
À l’époque, il a été pendant quelques semaines envoyé à Shanghai, en tant que responsable de la production des produits pour la marque de vêtements de sport. Et il s’est rendu compte que concevoir des tee-shirts à bas coût dans des conditions peu idéales au sein des usines en Asie ne lui convenait pas. La fast fashion ? Trop peu pour lui. « Je n’étais pas fier de l’impact global qu’on pouvait avoir. Je ne me sentais plus aligné avec cette économie linéaire traditionnelle : produire toujours plus, le moins cher possible, loin d’ici… »
Bifurcation imminente
Hubert vise à changer de voie et à développer un projet entrepreneurial. Ce qui l’attire, étant donné que ça lui permet d’« apprendre de nombreux métiers ». Mais il n’est guère aisé de quitter un emploi stable. Hubert se souvient s’être confié sur « ses peurs de l’incertitude » à un collègue plus âgé que lui. « Il m’a répondu : ”Mais qu’est-ce que tu risques ? As-tu vraiment besoin de confort à 23 ans ?” Je me suis dit que lui-même avait eu un temps cette envie de monter un projet. Mais qu’il n’était pas allé au bout… »

Au final, lui saute le pas, habité du rêve de revaloriser des matières jetées… « J’ai préféré partir d’un déchet plutôt que d’en créer de nouveaux. » L’amoureux de la pédale se rend compte que tous les pneus de vélo s’usent inévitablement et qu’il dispose ainsi d’un gisement presque infini de ressources. Hubert fait le tour d’ateliers de réparation de deux-roues et récupère les éléments mis à la poubelle. « Il y avait peu de solutions de recyclage pour les acteurs, ils étaient ravis de me donner les pneus usagés. »
Savoir-faire de cordonnier
Il ne restait plus qu’à trouver un moyen de transformer le caoutchouc en un article à plus forte valeur que le matériau initial. « L’idée de la ceinture est vite venue, car je voulais toucher le plus grand nombre. La moitié des Français en utilisent… » Il fait des essais dans sa cave, frappe à la porte de maroquiniers et de cordonniers à la recherche de soutien.
Hubert en rencontre un en particulier qui accepte de l’aider. « Il allait partir à la retraite et voyait avec plaisir qu’un jeune s’intéresse à son savoir-faire. Pendant une journée, on a essayé de trouver des solutions pour en quelque sorte recycler le pneu. L’artisan m’a donné une machine que son père lui avait offert et qu’il comptait jeter. » Au final, celle-ci lui servira pendant six mois à découper le caoutchouc en vue de façonner ses accessoires de mode.

Aventure solidaire
Et puis il démarre sa petite affaire, dans son atelier. Hubert attire l’attention de La Voix du Nord. La publication d’un premier article dans le quotidien lui apporte plusieurs commandes. Des particuliers, ainsi qu’une première boutique, qui lui propose un espace de vente éphémère. On est en juin 2017, et il arrive à vendre 35 ceintures en quelques heures. « J’en avais cent que je parviens à écouler au cours de l’été. Et je passe un cap. » Hubert décide de « transmettre la confection » à l’entreprise adaptée AlterEos, située à Tourcoing, un atelier de réinsertion professionnelle employant des personnes en situation de handicap. Quelques personnes le rejoignent dans l’aventure, pendant que lui développe l’activité et les partenariats avec les revendeurs.
Jusqu’au moment où Hubert et les siens emménagent dans leur propre atelier en 2023. Bienvenue à la « belterie », « un camp de base » comme la nomme l’entreprise de 400 m², au sein d’un bâtiment de briques rouges à Roubaix. Huit personnes (bientôt neuf) sont aujourd’hui en poste… rue du Nouveau Monde, ça ne s’invente pas. La compagnie entend embaucher des personnes éloignées de l’emploi… avec toujours cette idée de fabriquer en France.

La logique de revalorisation jusqu’au bout
Aujourd’hui, La Vie est Belt ne collecte plus elle-même sa matière première. Ecologic s’en charge désormais. L’éco-organisme agréé par l’État coordonne le recyclage des produits de sport et de loisirs (ASL pour les intimes), dont les pneus récupérés en points de collecte au sein de magasins ou auprès de professionnels, les clubs, les réparateurs, les ateliers. Un mode de fonctionnement qui nécessite de s’adapter, note Hubert Motte : « On ne maîtrise pas tout, il y a un travail de tri, en particulier des pneus. »

Pour autant, le fabricant arrive à revaloriser environ deux tiers de la ressource qu’il a récoltée. Sa structure a déjà transformé 60 000 pneus de vélo. Toutefois, ce n’est que le début de l’histoire. « Encore beaucoup d’articles partent à l’incinération. » En Europe, selon La Vie est Belt, « on brûle 10 millions de pneus chaque année ». Au niveau national, presque deux millions de vélos neufs ont été vendus l’an dernier en France. L’équivalent d’une quantité folle de ceintures.
L’artisan de l’économie circulaire continue d’avancer, en attendant. Désormais, l’équipe crée aussi des caleçons à partir de vieux draps. Elle recycle des cordes d’escalade, des tuyaux de pompier ou, encore, des pneus de voiture. En essayant, toujours, de jeter le moins possible. La logique de revalorisation jusqu’au bout : La Vie est Belt fabrique ainsi des porte-clés grâce aux chutes des ceintures. Comme ceux qui ont été conçus à l’occasion de l’étape du Tour de France à Lille. La boucle est bouclée. ♦