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Par Paola Da Silva, le 27 août 2025

Journaliste

Cuisiner durable grâce aux low-tech

Le premier produit conçu est la marmite norvégienne © L'Avant d'après

C’est un sentiment de perte de sens dans son ancien travail qui incite le jeune ingénieur Paul Guilloré-Mouraz à créer en 2021 L’Avant d’après. Cette société basée à Saint-Nazaire propose une gamme de produits du quotidien simples et durables (fours solaires, garde-manger…) qui s’inscrit dans une démarche low-tech et permet de réaliser des économies d’énergie. Et tire 95% des matériaux utilisés des déchets industriels d’entreprises des alentours.

Ingénieur de formation, Paul Guilloré-Mouraz fait partie de ces jeunes désillusionnés, qui ont été confrontés à la contradiction entre leurs fonctions professionnelles au quotidien et leurs valeurs profondes. « Paul a décroché un emploi d’ingénieur dans l’aéronautique à la fin de ses études, raconte Zoé Colley-Meyer, son associée au sein de L’Avant d’après. « Or, élaborer des moteurs d’avion était à l’opposé de sa volonté de prendre soin de l’environnement. Paul s’est alors demandé comment il pouvait devenir acteur du changement plutôt que de la destruction. Sa prise de recul est venue de la lecture des travaux de Corentin de Châtelperron. » Ce dernier, jeune ingénieur également, incarne la démarche low-tech en France, fort des nombreuses expériences qu’il a menées pour en démontrer les apports*.

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Paul Guilloré-Mouraz et Zoé Colley-Meyer © L’Avant d’après

Durable sur plusieurs générations

C’est donc en 2021 que naît l’Avant d’après à Saint-Nazaire. Au départ, Paul Guilloré-Mouraz est seul. Son idée est de développer et proposer des produits low-tech (à l’opposé des high-tech) qui puissent répondre à des besoins essentiels du quotidien tels que cuire ou stocker des aliments.

« Le premier produit qu’il a conçu est notre marmite norvégienne », indique Zoé Colley-Meyer. La marmite norvégienne est un procédé ancestral qui permet de finir la cuisson d’un plat de façon autonome, sans dépense d’énergie. « Notre marmite, comme tous nos autres produits désormais, devait répondre à plusieurs critères : permettre une économie de matière et/ou d’énergie, être de forme simple, épurée et facile à réparer, s’intégrer dans l’habitat. Et durer le plus longtemps possible, sur au moins plusieurs générations ». Différents prototypes ont au départ été nécessaires pour en arriver à un objet séduisant. « L’aspect esthétique du produit est fondamental : il faut que nous donnions envie d’aller vers la low-tech ».

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Des matériaux locaux et de récupération

Depuis 2024, Zoé Colley-Meyer, designer de formation, co-dirige l’entreprise avec Paul Guilloré-Mouraz. Leurs profils se complètent. Lui est très technique, elle travaille davantage sur l’usage, l’aspect formel et le cycle de vie du produit. Une complémentarité qui a permis à l’entreprise de développer sa gamme : actuellement, L’Avant d’après propose huit produits allant du garde-manger au tamis rotatif. « Nos matériaux sont locaux et de récupération, souligne Zoé Colley-Meyer. Le bois est récupéré auprès d’une entreprise logistique. Nous nous servons d’anciens liners de piscine pour notre bulleuse et de plaques offset d’imprimeurs pour nos marmites ». Les deux associés créent les prototypes et préséries de chaque produit, puis les font fabriquer par l’atelier de menuiserie de l’ESAT du Brivet à Pontchâteau, commune située à proximité de Saint-Nazaire.   

Des plans en open source

Le garde-manger Romanesco © L’Avant d’après

Actuellement, c’est leur garde-manger « Romanesco » qui occupe la place de meilleure vente parmi leurs produits. « Beaucoup de fruits et légumes se conservent mieux à l’extérieur que dans un frigo, explique Zoé Colley-Meyer. Romanesco fonctionne sur ce principe : il crée des conditions qui se rapprochent de celles dans lesquelles ils ont poussé. Les clients l’achètent, car cela leur permet d’avoir un frigo plus petit et de faire des économies d’énergie. » Ces clients, généralement âgés de 30 à 60 ans lorsque ce sont des particuliers, ont souvent pour caractéristique de passer du temps à cuisiner. « Par contre, certains produits comme la bulleuse ou la table à smoothies s’adressent plutôt aux professionnels : micro brasseurs, associations, collectivités… ».

Reste la question du prix, car presque tous les produits tournent autour de plusieurs centaines d’euros. « On explique beaucoup nos tarifs. Du reste, certains produits sont moins chers que leurs équivalents du commerce. Notre Bulleuse coûte deux à trois fois moins cher qu’une tireuse classique par exemple. Et surtout, on rappelle qu’ils sont réparables et qu’on peut les garder toute la vie ! ». Afin d’être alignés avec les valeurs de la démarche low-tech, les deux associés mettent progressivement en ligne, sur leur site, les plans en open source (version simplifiée) de leurs ustensiles.

Des formations pour passer au low-tech

Parallèlement à leur activité de création et de vente de produits, Paul Guilloré-Mouraz et Zoé Colley-Meyer animent des conférences -et ateliers- sur la thématique des low-tech. D’une durée moyenne d’une heure trente, les conférences s’organisent autour d’un constat sur les problématiques actuelles d’environnement et d’énergie, puis évoquent les solutions possibles. « Notre volonté est d’expliquer aux participants comment appliquer la démarche low-tech dans leur vie ou leurs activités sans perdre en confort. On veut les voir repartir optimistes, avec l’envie de passer à l’action », appuie Zoé Colley-Meyer.

Des conférences pour lesquelles ils sont de plus en plus sollicités, auprès d’un public de plus en plus intéressé. « On propose également aux entreprises des formations sur-mesure pour les aider à revoir leur process sur leur chaîne de production. L’idée est d’enlever les technologies en trop sans qu’elles perdent par ailleurs en rentabilité. »

♦ (re)lire : Deuxfleurs plante les graines d’un autre modèle numérique

Plus d’impact dans le futur

Aujourd’hui, l’entreprise L’Avant d’après, dont le modèle est singulier -voire unique en France – est viable. « Nous nous payons grâce à notre activité, raconte Zoé Colley-Meyer. Et nous sommes soutenus financièrement par l’ADEME, ce dont nous sommes vraiment très fiers ! ». Le futur s’annonce pour le moment sous de bons auspices. « Nous construisons le modèle de notre entreprise chaque jour. Nous voulons la faire évoluer dans le futur, développer plus de produits destinés aux entreprises, car ce sont elles qui dépensent beaucoup d’énergie. Ainsi, nous aurions plus d’impact. »

Les deux associés travaillent actuellement sur un modèle de marmite pour restaurateurs et collectifs, pour lequel ils espèrent collaborer avec des cantines locales dès le début 2026. « Nous invitons tout le monde à essayer les low-tech, à vivre plus sobrement, à réinventer le confort avec créativité. Le changement de pratiques n’est pas si compliqué que ça, il faut s’y mettre tous et s’entraider. » ♦

Bonus

L’appartement 100% low-tech. Paul Guilloré-Mouraz et Zoé Colley-Meyer ont récemment conçu des produits pour l’ingénieur-aventurier Corentin de Châtelperron et sa compagne Caroline Pultz. Ils ont servi à équiper « l’appartement- écosystème » de 26m2 dans lequel ils ont vécu cinq mois à Boulogne-Billancourt en synergie avec des bactéries, des plantes et des insectes pour inventer une vie sobre et réaliste (documentaire à venir sur Arte).