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Les tout jeunes enfants sous la loupe des scientifiques
Difficile de savoir ce que pensent ou ressentent les enfants en bas âge, surtout lorsqu’ils ne parlent pas encore. C’est pourtant primordial pour mieux les comprendre. Tenter de percer les mystères de leur comportement est le travail quotidien des chercheurs et chercheuses du Labo des Minots de Marseille, l’un des nombreux « babylab » de France.
Les bébés de moins d’un an sont-ils plus attentifs au début ou à la fin d’un mot ? À quel âge le cerveau des nourrissons distingue-t-il les mouvements de communication gestuelle des autres ? Et comment les enfants passent-ils de l’étape où ils rampent à celle où ils marchent sur leurs deux pieds ? Autant de questions, parmi bien d’autres, auxquelles les chercheurs du Labo des Minots de Marseille tentent d’apporter des réponses. « Ça nous permet de comprendre ce dont les enfants sont capables avant qu’ils soient aptes à le dire. C’est important pour leur bien-être », explique Caroline Coindre, responsable technique de cette unité mixte de recherche portée par l’université d’Aix-Marseille (AMU) et le CNRS. Et en la matière, beaucoup de choses restent encore à découvrir. <!–more–>
Lieu de confiance

Le « babylab » de Marseille, loin d’être unique en France (lire bonus), a vu le jour en janvier 2023. Pour un constat simple : l’analyse du développement des petits ne s’effectue pas de la même manière que celle des adultes. Il faut du matériel spécial et, surtout, un environnement particulier, vecteur de confiance pour les enfants. C’est pourquoi la grande salle où se passent les études est colorée, décorée de stickers et remplie de jouets. Même si elle reste le terrain de jeux des adultes.
En fonction des études et de son âge, l’enfant participant joue, regarde une courte vidéo, exécute de petits exercices… Pendant que les scientifiques l’observent et relèvent différentes données. La majorité des manipulations ne dure que quelques minutes, en présence du parent accompagnant. « Tout est fait pour que les petits se sentent bien et l’accueil est super », apprécie Aurélie, maman de Swann, un jeune volontaire. Du haut de ses presque 10 mois, l’énergique garçonnet a déjà contribué à plusieurs programmes de recherche. Et sort justement de sa dernière séance comme si de rien n’était.
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Sous l’œil des chercheurs

L’étude en question est menée par Giulia Danielou. Cette doctorante s’intéresse aux mécanismes de développement du langage et du vocabulaire chez les enfants nés prématurés. Ce qui nécessite de récupérer puis de comparer des données électrophysiologiques et comportementales de candidats ayant pointé leur nez plus tôt que prévu avec d’autres arrivés à terme. La chercheuse utilise pour cela un électroencéphalogramme. Des capteurs posés sur la tête des participants mesurent l’activité électrique naturelle de leur cerveau, en réponse à des actions, des images ou des sons. Swann en est à sa quatrième session pour ce projet, et reviendra se prêter à l’exercice à plusieurs reprises jusqu’à ses 2 ans.
La plupart des études sont néanmoins « one shot ». C’est-à-dire que chaque volontaire ne vient que pour une seule séance. Comme dans le cadre du projet piloté par Shreejata Gupta. Celle que tout le monde surnomme Diya se concentre actuellement sur le développement des gestes de communication chez les enfants qui ne parlent pas encore et le lien avec l’apparition du langage à cette période. « L’acquisition du langage est multimodale. Ça passe par la parole, mais aussi par les gestes. D’où l’importance de les étudier pour en comprendre le mécanisme », résume la post-doctorante. Elle se sert notamment d’un eye-tracker, un dispositif capable de suivre les mouvements oculaires, ou de la Nirs, une technologie qui permet de comprendre et de localiser le traitement d’une information dans le cerveau. « On dispose d’un bon matériel et d’excellents chercheurs passionnés », sourit Caroline Coindre.
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Apporter sa pierre à l’édifice

Quelle que soit la manipulation, toutes sont non-invasives, indolores et validées par un comité d’éthique. Pour intégrer une étude, il suffit de s’inscrire dans la base de données du Labo des Minots (bonus). « On contacte les familles quand les projets correspondent à l’âge de leur enfant. Mais elles sont libres d’accepter ou de refuser », souligne Caroline Coindre. Les données de chaque participant sont en outre anonymisées dès le départ.
L’équipe est en recherche constante de nouveaux concourants. Le recrutement s’avère d’ailleurs la phase la plus compliquée à mener. « Si on a besoin de 25 participants pour une étude, par exemple, on en bloque davantage car on sait qu’on aura des annulations. On doit donc se faire connaître pour avoir plus de monde inscrit dans notre registre », indique la responsable.
Prendre part à un programme n’est pas rémunéré – seuls les frais de déplacements peuvent être remboursés. Ce n’est de toute façon pas l’argent qui motive les familles. « C’est une manière de contribuer à la recherche », estime Aurélie, à l’instar de nombreux parents. Pour elle qui est agent administratif au sein d’AMU, c’est également un moyen de « savoir ce qu’il se passe dans les labos de l’université ». « Et ça m’intéresse, en tant que parent, de comprendre ce que mon enfant vit », ajoute-t-elle. Les jeunes volontaires ne repartent toutefois pas les mains vides. En souvenir de leur passage et en témoignage de leur petite pierre apportée au grand édifice de la science, un diplôme personnalisé leur est remis, ainsi qu’un cadeau. Comme le body estampillé du logo du babylab marseillais, que Swann arbore fièrement à chaque venue. ♦
Bonus
# Participer à faire progresser la recherche – En s’inscrivant au Labo des Minots en cliquant ici. Si besoin de renseignements, l’équipe a répondu à une série de questions sur son site internet. N’hésitez sinon pas à contacter les chercheurs : cnrs-labodesminots@cnrs.fr ou 06 26 28 13 73.
# D’autres labos dédiés aux enfants partout en France – Ils portent généralement l’appellation « babylab ». L’un d’entre eux se situe tout près du Labo des Minots, puisqu’il se trouve à Aix-en-Provence. On peut aussi citer ceux de Toulouse, Lyon ou encore d’un à Paris. Une liste loin d’être exhaustive.