Économie
Travail : les jeunes sont-ils vraiment si fainéants ?
Fainéants, rebelles, volages… au travail, la génération Z fait l’objet de nombreux préjugés. Selon une étude Ipsos, plus de la moitié des patrons juge les jeunes moins investis au travail. Pourtant, 84% de ces derniers affirment avoir le goût du travail. Entre idées reçues qui traversent les siècles, nouvelles pratiques et réalités socio-économiques, comment renouer le dialogue ? Décryptage d’un malentendu générationnel, avec trois des intervenants du Forum des entrepreneurs qui s’est tenu le mercredi 15 octobre à Marseille.
Les jeunes seraient moins investis qu’avant au travail. C’est ce que pensent 57% des chefs d’entreprise d’après une étude Ipsos sur le rapport au travail de la génération Z, cette génération née entre 1995 et 2012. 53% estiment en outre qu’ils ne sont pas respectueux de la hiérarchie et de l’autorité, et 72% qu’ils ne sont pas fidèles à l’entreprise.
Rien de très neuf en vérité. Déjà en son temps, Artistore déplorait : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge ». « Je pense qu’on a toujours entendu ce genre de discours sur les jeunes », confirme Jasmine Manet, directrice générale de l’association Youth Forever, think tank qui étudie les rapports des jeunes au travail. « Il y a quinze ans, on entendait la même chose à propos de la génération Y ». Mais, reconnaît-elle, « ces préjugés prennent peut-être désormais une ampleur sans précédent, avec un consensus surprenant concernant le regard que l’on porte sur ces jeunes ».
Discrimination et préjugés

Et qui dit préjugés dit bien souvent discriminations, à l’embauche en l’occurrence. D’après l’Ipsos, 54% des jeunes disent avoir essuyé des remarques ou propos désobligeants au cours d’un entretien d’embauche. Pourtant, lorsqu’on les interroge sur leur rapport à l’entreprise, les préjugés sont fortement mis à mal : 84% affirment avoir le goût du travail, et 80% aimer l’entreprise.
« On a d’un côté des entreprises qui peinent à recruter et de l’autre, des jeunes qui peinent à trouver un emploi ». Selon l’Insee, 18,8% des actifs âgés de 15 à 24 ans sont au chômage contre 7,4% pour l’ensemble de la population. Alors, comment renouer le dialogue ?
De l’incompréhension à la frustration
Il est d’abord essentiel que les entreprises travaillent à mieux comprendre les jeunes. « L’incompréhension peut rapidement se transformer en frustration, et on entre dans ce qui relève de l’affectif, de l’émotionnel », pointe Jasmine Manet. Incompréhension qui concerne notamment les attentes des jeunes. « On dit par exemple que les jeunes ne veulent pas de CDI. Ce n’est pas vrai », poursuit-elle. Elle rejoint ainsi le discours de la journaliste Salomé Saqué qui, dans son ouvrage « Sois jeune et tais-toi », souligne que « ce n’est pas que les jeunes ne veulent pas travailler, c’est qu’ils ne peuvent pas travailler ». Et il y a plusieurs raisons à ça.
Parmi elles, le recours massif aux contrats précaires pour ces jeunes, voire à l’autoentrepreneuriat, dans des cas qui relèvent de plus en plus souvent du salariat déguisé, accroissant la vulnérabilité d’un public déjà fragile.
Génération (encore plus) précaire

« Dès qu’il y a un ralentissement économique, on fait des économies sur les nouveaux entrants, donc les plus précaires, les jeunes », observe Lætitia Vitaud, autrice, conférencière et rédactrice en chef du média Welcome to the Jungle. « En ce moment, on est complètement là-dedans ». Résultat : l’accès au logement devient très difficile. « Quand on compare l’évolution des prix du logement et celle des salaires sur les quarante dernières années, on voit que l’écart s’est énormément creusé. Pour des jeunes sans héritage, le travail ne permet plus de se loger. L’offre de logement est insuffisante et ces personnes sont obligées d’habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail. Cela génère de l’épuisement dans les transports et ça ne marche pas ».
Car si le salariat se perçoit comme un pacte en échange duquel on améliore sa qualité de vie, ce pacte, équilibre entre « contraintes et contreparties » se trouve alors rompu.
Mobilité limitée

« On parle beaucoup de la quête d’utilité sociale, ajoute Jasmine Manet, mais en vérité, pour la plupart des jeunes, les attentes portent sur des sujets très basiques comme avoir un salaire, se loger ».
Logement, mobilité… Des sujets sur lesquels alerte aussi Jules Sitruk, fondateur du Protis Club qui œuvre à l’égalité des chances à Marseille par le biais du football « Il y a beaucoup de difficultés à ce niveau-là pour les jeunes des quartiers Nord de Marseille. Beaucoup n’ont pas encore le permis de conduire, et il leur faut d’une à une heure et demie pour rejoindre le centre-ville en transports en commun. On n’a pas tous les mêmes chances ».
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Adapter le management
Il y a donc urgence à agir sur ces enjeux de logement et de mobilité, au niveau macroéconomique, mais aussi au sein des entreprises. Entreprises qui auraient aussi à faire en matière de management pour s’adapter à une génération tout de même marquée par une très forte digitalisation des usages. Et pas seulement.
« La génération Z est pleine de qualités, observe Jules Sitruk qui, à 27 ans, fait partie de cette génération. Elle a aussi un côté rebelle, mais ce n’est pas forcément un mal d’avoir des salariés qui savent ce qu’ils veulent, qui affirment leur singularité. Ils nécessitent un peu plus d’écoute ». Pour Jasmine Manet, les jeunes ont aussi besoin de faire face à des décisions cohérentes de la part de leur hiérarchie. « Faire du présentiel pour faire du présentiel, sans qu’il y ait de vraies raisons à cela, c’est compliqué pour eux à accepter ».
« On a du mal à leur faire confiance »
Jules Sitruk insiste par ailleurs sur l’importance de confier des responsabilités à ces jeunes générations. Ce, alors même que, comme le souligne Lætitia Vitaud, « en France, et c’est vrai dans les pays latins comme l’Espagne et l’Italie, on a du mal à leur faire confiance et à leur laisser leur chance. Mais on doit leur permettre d’apprendre sur le tas, de grandir. On se doit de recruter des débutants et de leur donner envie ». Et de citer l’exemple de l’entreprise Thalès « qui prend les jeunes au sérieux, et cela commence dès les stages de troisième ».
Quid du rôle de l’école ? « Il y a un vrai travail à faire sur l’orientation, estime Jasmine Manet. Les jeunes ne connaissent finalement que peu de métiers, et cela varie beaucoup en fonction du contexte socio-économique. Il faut réduire le décalage entre monde professionnel et école sans pour autant leur demander trop tôt de s’orienter, sous peine qu’ils en sortent déçus ».
Découdre les préjugés, s’intéresser à ses conditions de vie de manière globale, leur faire confiance… Voilà quelques clés pour permettre aux entreprises de mieux accueillir la nouvelle génération. Une génération qui avance à l’aveuglette faute de visibilité, dans un contexte mondial particulièrement anxiogène. Et qui, toujours selon l’étude Ipsos, estime à 91% qu’avoir un travail que l’on apprécie est une condition essentielle pour être heureux. Un chiffre qui interpelle à l’heure où un tiers des jeunes présente des signes de troubles anxieux ou dépressifs.♦
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# La jeunesse : fil rouge de l’édition 2025 du Forum des entrepreneurs – Pour ses 25 ans, le Forum des entrepreneurs, qui se tient ce mercredi 15 octobre à l’Orange Vélodrome et accueillera en invité vedette l’ancien président François Hollande, a choisi de se pencher sur la thématique de la jeunesse avec de nombreux intervenants spécialistes du sujets, dont ceux cités dans cet article.