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Quatre chemins pour faire exister un livre
Chaque année, près de 100 000 nouveaux livres cherchent à voir le jour en France. Moins de 5 000 seront publiés par les grandes maisons d’édition. Comités de lecture inaccessibles, exigences commerciales drastiques, saturation des catalogues… : dans un monde éditorial saturé, publier un livre pour un auteur qui se lance ou peu connu relève souvent du parcours du combattant.
Si les best-sellers dépassent les 500 000 ventes, si la moyenne se situe à 1340 exemplaires, beaucoup en revanche n’écouleront que quelques exemplaires de leur ouvrage. Malgré des heures, des jours, des mois, parfois des années passés à écrire. Publier reste donc un défi… et vendre encore plus ! À force de pugnacité, ils ont vu leurs écrits édités. Aurore de Rochefort, Jacques Piazzola, Frédéric Presles et Laurence Paoli sont reconnus dans leurs domaines respectifs : droit, physique, culture, écologie. Ils ne sont pas issus du sérail littéraire, ne fréquentent pas les salons parisiens, ne vivent pas de leur plume. Leurs démarches respectives racontent les mutations silencieuses du livre aujourd’hui.
Aurore de Rochefort : tout maîtriser
« Je voulais écrire une expérience du vivant, pas une œuvre littéraire. » Avec S’il suffisait d’un signe, Aurore de Rochefort signe un texte inclassable, à la frontière du roman, du récit de vie et du témoignage spirituel. Des pages qui m’ont bouleversé et ont remis pas mal de choses en question dans ma vie personnelle.

Après une discussion frustrante avec un éditeur qui a pignon sur rue, Aurore de Rochefort choisit l’autoédition via Amazon KDP : « Je voulais être libre, sans dépendre d’un comité de lecture. » Elle crée seule la couverture, choisit un format peu habituel (16x23cm) qui rappelle un carnet de notes. Fixe le prix à 22,22 euros, clin d’œil symbolique qui renvoie à la signification des chiffres dans le livre et en assure la promotion. « Publier, c’est me réapproprier ma voix », considère-t-elle. Son lectorat, elle le construit au fil des rencontres et des retours directs. Avec l’ambition de faire circuler une énergie, pas des chiffres de vente. Le tome deux, déjà écrit, va suivre le même parcours éditorial.
Jacques Piazzola : le parcours du combattant
La carte de visite de Jacques Piazzola est impressionnante. Scientifique reconnu, spécialiste de la physique des interactions océan-atmosphère, une science essentielle dans cette période de dérèglement climatique, il est enseignant-chercheur à l’université de Toulon et auteur d’une cinquantaine d’articles publiés dans les revues scientifiques. Résurrections, son premier roman, nous transporte en 2051, quand une équipe de scientifiques met au point le procédé de résurrection. Cette invention réunit dans une fiction métaphysique Pascal, Tocqueville, Rousseau, Napoléon et des dizaines d’autres figures marquantes de l’histoire de France, mais aussi des saints et des religieux.

Des modèles alternatifs
Après plusieurs refus d’éditeurs classiques, l’auteur se tourne vers Nombre7. Fondée par Christophe Lahondès, cette maison d’édition basée à Montpellier se définit comme « un modèle d’édition alternatif et écoresponsable ». Son groupe, qui regroupe six maisons, dont la Société des Écrivains et Publibook, compte 28 000 auteurs pour 35 000 titres. « Nous avons résolu l’équation : fabriquer un livre seulement quand il est vendu », explique-t-il. Aucun pilon, pas de stock dormant, son modèle repose sur le tirage à la demande.
L’éditeur revendique une démarche éthique : « Le livre ne vit que s’il y a rencontre. On est capable de le livrer au lecteur en 72 heures, en privilégiant pour le tirage un circuit court en fonction de son lieu de résidence. L’auteur reste au centre du processus car c’est lui qui est le meilleur commercial de son œuvre. » Toute vente est tracée en temps réel, donc « chaque livre qui paraît rapporte à son auteur ». Les droits sont consultables en ligne et versés dès 100 euros cumulés. Jacques Piazzola apprécie cette souplesse : « Ce n’est pas de l’édition à compte d’auteur, mais un partenariat ».
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Laurence Paoli : la science grand public intéresse les éditeurs

Sa rencontre avec Stéphane Durand, responsable du département Sciences, Nature et Société d’Actes Sud, tient du hasard et de la persévérance. Mise en contact par un ami, elle hésite, puis se lance. « Je n’avais qu’un seul sujet à proposer. Il m’a dit : “On signe.” »
Le livre, exigeant et documenté, trouve ainsi sa place dans une maison qui ose. Et Stéphane Durand de revendiquer : « Ma spécialité, c’est de travailler avec des auteurs atypiques. »
Chez Actes Sud, la qualité du texte prime sur les étiquettes : « Le meilleur livre, s’il n’est pas accompagné, ne trouvera pas son lectorat. » Les tirages, souvent autour de 2000 exemplaires, misent ainsi sur la durée : « Nous travaillons sur le temps long. Avec des livres qui vivent plusieurs années et s’imposent en raison de leur qualité et le bouche-à-oreille. » L’écrivain reçoit toujours une avance qui, pour un auteur inconnu, tourne autour de 3000 euros. « Mais il n’y a pas de limites. Pour garder une star on multiplie les zéros. Et dans les deux cas nous assumons le risque financier ».
Frédéric Presles : être à la fois auteur et éditeur facilite les choses

Le projet devient alors une aventure éditoriale : beau livre illustré, version bilingue, et déclinaison en jeu de piste urbain. Alors, après le Covid, Presles décide de créer sa propre structure pour garder la main sur tout le processus. Avec des associés, il rachète Crès (rebaptisée EMCG), une maison d’édition marseillaise fondée il y a soixante ans, disposant d’un solide catalogue et d’une belle réputation.
« J’ai voulu une structure à taille humaine, proche du lecteur », précise-t-il. Tirages courts, diffusion locale, vente directe aux entreprises, offices du tourisme, librairies partenaires. Concernant la rémunération des auteurs : « Chaque contributeur touche une part fixe (8%), les coûts sont maîtrisés, et la souplesse maximale. Un livre, c’est un objet vivant. Il faut le défendre sur le terrain, pas derrière un écran », considère Frédéric Presles. Pour lui, l’édition n’est pas un métier de rentabilité, mais de témoignages, ce qui renvoie à sa vocation de journaliste. ♦
Bonus
[pour les abonnés] – D’autres chiffres – L’autoédition – L’ISBN – <!–more–>
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