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Comment un village a repris vie grâce à un café associatif
Pas facile de créer des liens quand il n’y a aucun commerce, ni espace pour se retrouver. À Dœuil-sur-le-Mignon (Charente-Maritime), des habitants se sont retroussé les manches pour transformer l’ancienne école du village en café associatif – “Le Moulin à Café”. Ouvert en 2022, ce havre chaleureux, tenu par et pour les Dœuillois, permet à tous de se rassembler et plus encore : les personnes isolées sortent de chez elles et les nouveaux arrivants nouent des amitiés.
Champs à perte de vue, village lové autour de la rivière, église romane dressée fièrement. Personne dans les rues en cette fin d’après-midi, si ce n’est un homme en tenue d’artisan. Un client du ‘’Moulin à Café’’, très certainement. Il se dirige en effet d’un pas alerte vers le café associatif annoncé par une jolie enseigne en fer forgé. Peut-être est-ce lui le ferronnier qui l’a réalisée ? Car ils sont nombreux dans le village à avoir mis la main à la pâte pour métamorphoser l’ancienne école de Dœuil. Décrépi le mur de pierres. Peint les fenêtres vert eau. Construit un bar bardé de bois. Installé câblages et rideaux. Tom, retraité du bâtiment, Stéphane, l’étudiant geek informatique, Christelle, chargée de clientèle, et bien sûr, Laurence, auditrice en hygiène alimentaire. Cette femme fédératrice et solaire préside le lieu. « Mais tout le monde est au même niveau », rectifie celle que tout le monde appelle Lolo. Cette Dœuilloise depuis plusieurs générations n’a pas connu le café fermé dans les années 1970, mais a effectué son élémentaire dans cette école.
Un espace chaleureux
Plus de pupitre, ni tableau noir, mais de jolies tables en bois tatouées d’un ‘’M’’ – logo du Moulin à Café. Elles ont été récupérées dans une pizzéria et customisées par Pauline, assistante dans une entreprise familiale d’électricité. « Tout le monde a apporté sa petite touche, moi c’est une porte pour séparer deux pièces », ajoute Laurence, qui a également offert une bibliothèque, depuis bien fournie. Devant, un canapé moelleux invite à la lecture. Au fond à gauche, un espace pour enfants – mobilier miniature, feuilles et feutres – et un baby-foot pour intégrer les jeunes. « Notre dernier achat, mais les anciens y jouent aussi », sourit Laurence.
À droite, le bar tenu à tour de rôle par une vingtaine de bénévoles – baptisés les ‘’baristas’’. Une dizaine de personnes fréquentent le café lors des ouvertures hebdomadaires (bonus), une soixantaine pour le marché de producteurs locaux – fromage de brebis, confiture, huîtres, charcuterie, etc. Et jusqu’à 80 les soirs de concert.
Un café Intergénérationnel et intermilieux
L’idée du Moulin à Café a germé en 2019. Le village, qui compte alors 336 habitants, a deux associations : le club de foot et le foyer rural chargé de l’animation de la commune. Mais pas de lieu fixe – le café le plus proche est à dix kilomètres. Les jeunes expriment les premiers le besoin d’un endroit pour se retrouver. La mairie pense à l‘ancienne école qui sert de salle de réunion, tandis que le foyer rural trouve la formule de café associatif qui s’appuie sur sa structure juridique. Avant d’engager des fonds pour la rénovation, le maire a voulu toutefois s’assurer que le café aurait son public et demandé une réunion publique pour sonder ses administrés. L’attente est bien là, le Moulin à Café naît en septembre 2022.
Trois ans après, c’est le QG de Dœuil. S’y pressent tous les âges et milieux. « On aime l’ambiance conviviale et le mélange des générations », détaille Christelle, attablée avec Jeannick devant une Pique Prune et une Tête de Mule, deux bières locales. « Recréer du lien, c’était vraiment notre fil conducteur. On peut dire que nous avons rempli notre mission », se réjouit Laurence.
Un antidote à la solitude et un accueil pour les nouveaux arrivants
Cette généreuse femme de 53 ans, et la vingtaine de bénévoles, ne se doutaient pas que le Moulin à Café aurait un dessein plus grand : un ancrage pour les personnes isolées. En témoigne Gilles, regard pétillant et sourire malicieux. Qui pourrait imaginer qu’auparavant, ce grand gaillard plein de bonhomie passait des mois sans parler à personne, « à part les caissières » ? Le déclencheur fut une invitation du foyer rural à y exposer ses peintures. « Je m’y suis senti tout de suite bien. À partir de là, j’ai eu envie de venir tout le temps », souligne le peintre, qui consomme principalement du café – « il est à 50 centimes ». Cet homme à la jolie barbe blanche, toujours assis sur le même tabouret devant le bar, est devenu le plus assidu du village, « au point de faire le père Noël ! »
À côté de Gilles se tient Nadine, une femme élancée qui ne se départ ni de sa doudoune, ni de sa jovialité. Elle est arrivée de Normandie avec son mari en 2022, par hasard. « On a trouvé à Dœuil un bel endroit, accessible financièrement, mais on ne connaissait personne », raconte cette magistrate à titre temporaire. La première fois qu’elle pousse la porte de l’ancienne école, c’est pour un karaoké, où sa petite fille de 4 ans chante à tue-tête – « et là, on a commencé à faire connaissance ». Elle a trouvé au Moulin à Café « un lieu magique », au point de s’investir. « Je fais partie du groupe des baristas formé par Monique », souligne-t-elle avant de payer sa tournée de Pineau des Charentes.
Un équilibre financier
Les expos photos, comme les concerts, font partie des nombreuses manifestations organisées par Le Moulin à Café. Sont également proposés des rendez-vous mensuels comme la ‘’dictée comme autrefois’’, « niveau certificat d’études, organisée par ma mère, ancienne institutrice », spécifie Laurence. Les soirées lectures où « on choisit un thème et chacun vient lire un texte devant les autres », explique Nadine. Les bibliothèques tournantes où « on échange les livres qu’on a aimés selon un ordre bien établi », surenchérit Marie. Chaque activité amène les participants à consommer, et donc à faire vivre financièrement le lieu. « Le club de foot joue aussi le jeu en consommant un encas avant de s’entraîner », fait aussi remarquer Laurence.
Le café peut fonctionner sans objectif de bénéfices, car le bâtiment communal est mis à disposition par la commune, qui prend également en charge les flux.
La seule limite du modèle est de reposer sur la bonne volonté des bénévoles. « S’il y en a moins, on ouvrira moins. C’est déjà le cas l’été », balaie Laurence. Il ne faut pas compter sur les jeunes. Car même s’ils viennent et sont enthousiastes, « le cap de s’engager est difficile et c’est normal : à leur âge, j’étais pareille ».
Entraide et inspiration
L’arrivée de Madeleine interrompt les conversations. L’assemblée acclame cette femme de 80 ans passés, qui avance appuyée sur sa canne. Le Moulin à Café, c’est sa sortie. Toujours le jeudi, toujours un Perrier-citron. Un jour, Nadine et Éric avaient repéré que sa voiture était en panne, « elle n’a pas osé demander, mais mon mari la lui a réparée ». Elle aussi vivait seule, isolée. « Ce café associatif lui a changé la vie », rapporte Brigitte, qui a partagé une tisane avec elle. Madeleine évoque le dernier concert, où « un petit de 6 ans a pris le micro ». Parle recettes de cuisine avec Laurence qui promet de lui apporter du chou-saucisse la prochaine fois qu’elle en préparera.
Le foyer rural s’assure de communiquer les événements des communes voisines, pour ne faire d’ombrage à personne. Mais des gens d’ailleurs viennent au Moulin à Café, à vélo ou en voiture, comme Brigitte. Cette arrière-grand-mère de 86 ans a été surprise de l’accueil, « tout à fait inhabituel. On se serre la main, on se dit bonjour, on se présente par son prénom ». Elle se prend à rêver : « Et s’il y avait cette convivialité dans mon village ? ». Justement, Laurence informe que le café associatif donne des idées à d’autres foyers ruraux. « Ils se rendent compte que c’est possible ». Hasard ou pas, depuis l’ouverture du café, le nombre d’habitants de Dœuil-sur-le-Mignon a augmenté. ♦
* La Fondation de France Méditerranée parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *
Bonus
# Ouverture mardi et samedi matin, jeudi fin d’après-midi, dictée 2e mardi après-midi du mois, bibliothèque 2e jeudi après-midi du mois, petit-déj premier dimanche du mois, marché 2e dimanche du mois.
# Et ailleurs, le Café Villageois : un lieu de vie et de partage pour tous à Lauris (Vaucluse)
Le Café Villageois a investi un ancien moulin en contrebas du château. En témoigne le reste des pales posées à terre. Ici, on partage des activités gratuites, imaginées par les habitants, pour les habitants — et bien sûr, les passants sont les bienvenus. En tant qu’Espace de Vie Sociale (EVS), le café encourage les rencontres intergénérationnelles, les débats et l’ouverture culturelle. Grâce à l’entraide et à l’énergie de chacun, des projets inspirants voient le jour chaque jour : dégustation de produits locaux, ateliers variés, soirées culturelles et concerts l’été dans la guinguette à ciel ouvert aménagé au-dessus. À Lauris, on éteint les écrans, on descend dans la rue, on discute, on s’entraide et on vit la convivialité.


