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À Marseille, l’opéra c’est classe !
La dernière enquête réalisée par le ministère de la Culture sur la fréquentation de la quarantaine de salles d’opéra réparties sur le territoire remonte à 2003. Mais en vingt ans, à en croire les professionnels, rien n’aurait changé : 4% seulement des Français s’y rendraient, avec une surreprésentation socioprofessionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures. Comment démocratiser sa fréquentation ? À Marseille, un programme pédagogique atypique permet à des écoliers de découvrir l’art lyrique et surtout de le pratiquer.
Pour une fois, trouver un titre n’a pas été un casse-tête. Il s’agit tout simplement du nom du programme proposé depuis 1998 à différentes écoles de la ville, pour la plupart situées en zone d’éducation prioritaires (REP+). Son point d’orgue, samedi 22 juin, sera une soirée de gala. Sur la scène de l’Opéra Municipal de Marseille, après six mois de travail intensif, 180 écoliers chanteront devant une salle comble des extraits d’opéras de Mozart et d’Offenbach et danseront sur du Verdi ou du Massenet.
Franchir les portes d’un opéra
L’une des étapes importantes de ce programme de plus en plus abouti au fil des saisons, consiste à inviter ces écoliers et à leur famille à une représentation des opéras qui seront travaillés. « Ils ont ainsi assisté à la générale des Noces de Figaro, jouée en Avril », explique Guillaume Schmitt. Le responsable des relations extérieures et de l’action culturelle à l’Opéra municipal de Marseille est à l’origine de ce projet lancé il y a 25 ans. Aucun de ces enfants ni de leurs proches conviés à ce spectacle n’avait jamais osé franchir les portes de ce bâtiment mythique, situé à deux pas du Vieux-Port. Tous pourtant connaissaient son existence, passaient et repassaient devant, voire jouaient au foot sur l’esplanade où il est érigé.
« Ils ont aussi visité les coulisses de la Maison Opéra, qui leur parle car elle fait appel à tous les corps de métier du spectacle vivant (costumes, chant, danse, musique, théâtre, lumière …). Au total, 320 personnes travaillent ici ». Une fois la prise de conscience, l’intérêt soulevé, vient le temps de l’apprentissage, qui « se fait dans le cadre de la scolarité, avec des heures spécifiquement dédiées, à raison d’une séance par semaine. »

Découvrir et pratiquer
Dernière répétition dans une des annexes de l’opéra de Marseille pour la quinzaine d’élèves de CM1 de l’école Saint-Jérôme, située dans le 13ème arrondissement de Marseille. Chemise blanche et pantalon noir, garçons comme filles sont attentifs aux consignes données par la professeure de chant et le metteur en scène. Une pianiste joue un des airs les plus connus des Noces de Figaro, de Mozart, pour accompagner le chœur.
Pour ces élèves des quartiers nord, l’opéra était un monde totalement inconnu il y a six mois encore. Valentino, 10 ans, reconnaît que c’est du travail en plus à l’école « car il a fallu apprendre par cœur les paroles ». Mais comme tous les enfants présents, il ne regrette pas d’avoir participé à cet apprentissage éloigné de ceux habituellement proposés dans le cadre scolaire. « J’ai appris à chanter, à me tenir droit. Je n’avais jamais entendu ce type de musique avant. Et c’est très beau ». Un enthousiasme partagé par Célia, dans la même classe de CM1 : « J’ai progressé, même si à la maison on n’écoute jamais ce genre de musique ». Jannah, sa voisine de pupitre « adore chanter l’opéra, même s’il faut apprendre des phrases dans un français qu’on ne parle plus ». Pour tous ces enfants, l’apothéose, le grand soir arrive. Et avec lui, le stress.
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S’ouvrir à l’art lyrique
Ils seront prêts, assure leur professeure de chant, Gabrielle Valty qui pour cette saison a pris trois classes en charge. « Le premier travail consiste à leur faire prendre conscience qu’ils ont une voix. En découvrant leur voix, ils se découvrent eux-mêmes. Il y a des petits moments de réticence ou même des petits combats : certain ne veulent pas se lancer. Et puis, et c’est ça qui est extraordinaire dans ce projet, au fur et à mesure que les ateliers se déroulent, les personnalités s’ouvrent les enfants découvrent leurs talents. Ils se libèrent, le chant se libère, et ils se font de plus en plus plaisir ».

Et cette chanteuse lyrique professionnelle d’expliciter sa méthode d’enseignement basée sur 14 heures de cours… seulement. « On va leur expliquer comment fonctionne la voix, puisqu’ils sont leurs propres instruments de musique par rapport à des instrumentistes. Ils prennent conscience du rôle de leur corps, du souffle, de leurs cordes vocales, on leur montre où elles sont. On leur fait sentir les vibrations du son puis, après, on attaque les vocalises. Et là, on rentre dans la technique, que certains enfants trouvent fastidieuse, mais qui est la rigueur de la musique. Quand les chants sont mémorisés, vient alors le temps d’apprendre la mesure. Puis l’intonation juste : tout ce qui fait un chanteur de répertoire classique ».
Adopter une posture
Durant cette ultime séance de répétition, un homme s’est concentré sur les postures, les déplacements. Christophe Roméro est le metteur en scène du spectacle qui va clôturer ce programme intense. Or, la réussite de cette soirée de gala est essentielle. Dans la salle les familles seront là, sur leur trente et un. Il y aura aussi les représentants des institutions. « Se produire face à un public n’est pas simple. Se produire sur une scène d’opéra, devant une salle comble c’est très compliqué émotionnellement. Mon travail a consisté à leur donner des outils pour faire face. Leur faire prendre conscience de l’impact d’une attitude, d’un regard, de l’alignement des volumes de la tête, du bassin, du thorax… Ce genre de choses qui ne sont pas forcément naturelles, mais qui les rendront présentés et présentables ».
Au-delà de cette soirée de gala qui vient clôturer six mois de travail en immersion au sein de la maison Opéra, il y a l’impact de ce programme « À Marseille, l’Opéra, c’est classe ! » sur la scolarité. 25 ans de recul permettent de conclure qu’il a des effets bénéfiques sur les élèves. Les enseignants constatent une meilleure concentration, de meilleurs résultats, une prise de confiance en soi, l’accueil et le respect de l’autre. Petite déception quand même, il n’a pas permis jusqu’à présent de détecter un ou une future artiste lyrique ! ♦

Les écoles de la saison 2023/2024 :
Ecole Jean Fiolle – Marseille 13006 (22 élèves de CE2, CM1, CM2), Ecole Hozier (REP +) – Marseille 13002 (25 élèves de CM2), Ecole Saint Jérôme Village 1 – Marseille 13013 (25 élèves de CM1), Ecole La Calade (REP +) – Marseille 13015 (23 élèves de CE2), Ecole Estaque Gare (REP) – Marseille 13016 (24 élèves de CE2), Collège SEGPA du Sacré Cœur – Marseille 13001 (30 élèves de 4ème-3ème).