Aménagement

Par Patricia Guipponi, le 25 juin 2024

Journaliste

Abricoop : l’immeuble où il fait bon vivre entre voisins

L’immeuble sur quatre étages comprend 17 logements par foyer et des pièces partagées entre ses habitants ©DR
Situé dans l’écoquartier de la Cartoucherie à Toulouse, Abricoop, modèle d’habitat participatif, est le toit de 34 personnes. Chaque foyer dispose de son appartement individuel tout en se partageant certains espaces. Sans pour autant se marcher sur les pieds. Dans ce système coopératif judicieux, loin des spéculations immobilières, la solidarité, la bienveillance et l’équité sont les maîtres mots… jusque dans le montant des loyers.

Le déjeuner est improvisé à la dernière minute dans la salle commune du rez-de-chaussée. Pierre a apporté les œufs et les oignons, Patrick et Marie-Ange les lardons, la salade et le riz. Thomas les rejoindra pour le dessert avec un délicieux tiramisu, reste du goûter d’anniversaire de sa fille Lucie, 12 ans, dignement fêté deux jours plus tôt. Le repas est à la bonne franquette. Chacun met la main à la pâte.

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Abricoop a été l’un des premiers immeubles construits dans l’écoquartier de la Cartoucherie. Photo P. Guipponi

Patrick dispose les couverts. Marie-Ange s’assoit et coupe du pain. Pierre apporte la poêle où crépite l’omelette baveuse. Tous trois retraités, ils sont voisins et habitent un immeuble peu commun baptisé Abricoop, situé au sud-ouest de Toulouse, dans l’écoquartier de la Cartoucherie. Dix-sept logements y occupent les quatre étages. Le toit-terrasse ouvert, avec cuisine extérieure, offre une vue panoramique sur le nouveau quartier de 33 hectares de la ville rose.

Un écoquartier à la place d’une ancienne usine de munitions

La dernière des trois tranches de travaux d’aménagement de l’écoquartier va bientôt débuter. La Cartoucherie a accueilli ses premiers habitants en 2015. Et à présent, ça grouille de monde. Des commerces se sont implantés. On a construit des écoles. Les Halles ne désemplissent pas. Les vélos sillonnent des rues où la voiture n’a pas tous les droits. Le tramway sonne son arrivée et les passagers prennent place.

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La Cartoucherie, ancien site de fabrication de munitions, n’était qu’un vaste terrain avant de devenir un écoquartier. Photo P. Guipponi

« Quand je pense que lorsque nous nous sommes installés, il n’y avait presque rien », raconte Pierre en montrant une photo des lieux déserts. Sur le terrain vague, ne subsistaient alors que les carcasses de l’usine de munitions qui fonctionnait à plein régime au XIXe siècle, avant de plier boutique. L’immeuble Abricoop a été l’un des premiers construit avec la particularité d’avoir été totalement supervisé par ses habitants. Cela faisait des années qu’un groupe d’entre eux cherchaient à finaliser leur projet d’habitat participatif sans arriver à trouver le bon terrain. « Chaque fois, le foncier était trop cher ou les promoteurs nous passaient devant », témoigne Pierre.

Le terrain sur la Cartoucherie leur a été proposé par la municipalité d’alors, car elle souhaitait privilégier les initiatives axées sur le vivre ensemble et la coopération. « Nous avons nous-même apporté les fonds pour l’achat et en tant que maître d’ouvrage avons choisi notre architecte. Il nous a fait ses propositions, mais en tenant compte des souhaits de chacun et de notre volonté d’être les plus éco-responsables possible », poursuit Pierre, qui a rejoint le noyau d’origine lors d’une des premières réunions de présentation du projet.

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Chaque foyer est locataire des murs dont la coopérative est propriétaire

L’immeuble Abricoop n’est pas isolé. Autour de lui et d’un jardin verdoyant, se sont élevées trois autres résidences. « Nous les appelons les ‘’outre-voisins’’. Ensemble, nous formons l’association ‘’Les Quatre vents’’ car nous gérons en commun une salle polyvalente, une salle de bricolage, un atelier créatif… », confie Marie-Ange. L’îlot regroupe plus de 90 habitants. Abricoop en compte 34, adultes et enfants confondus. « Mais à la différence de nous, nos voisins accèdent à la propriété de façon classique », précise Patrick.

En effet, les habitants d’Abricoop ont la particularité d’être à la fois propriétaires et locataires. Ou plutôt, la coopérative détient les murs de l’immeuble qu’elle loue à ses résidents ayant contribué à l’origine à l’achat de parts. « Les loyers s’établissent en fonction de la surface occupée, bien entendu, mais aussi des revenus. C’est de la solidarité financière », explique Patrick. Chaque année, le bail est revu en fonction de ce qui a été déclaré aux impôts par chacun, des prêts contractés et des provisions à faire pour d’éventuelles dépenses.

Lorsque quelqu’un part, Abricoop lui rembourse ses parts au prix d’origine, en tenant compte de l’inflation sans toutefois s’inscrire dans les taux du marché. « Personne n’a jamais quitté le navire, si ce n’est Jean et Michèle parce qu’ils ne sont plus de ce monde », observe Pierre avec émotion. Chacun participe aux décisions à engager pour l’habitat mais sans pour autant voter. « On le fait au consensus », indique Patrick. Et quand il y a matière à chamaillerie ou des conflits de voisinage, les résidents se rassemblent en ‘’réunion sourire-grimace’’. « Il ne faut pas garder ce qui contrarie mais crever l’abcès au plus vite », remarque Marie-Ange.

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Lors des réunions consensus, l’ambiance est au beau fixe et le vote pas au programme ©DR

L’esprit d’ouverture et de bienveillance, le respect d’autrui

Avec Patrick, son conjoint, l’orthophoniste retraitée a choisi de rejoindre Abricoop en raison du sérieux du projet. « On vivait à la campagne mais on venait très souvent à Toulouse pour notre travail. Nous avons été convaincus par la pertinence du fonctionnement, le bon sens du groupe et l’écoute ». L’aspect intergénérationnel et solidaire a pesé aussi dans leur engagement. C’est aussi ce qui a convaincu Pierre. « Lors des réunions, la parole circulait. Ce n’était pas la foire à l’empoigne comme j’avais pu le voir dans d’autres projets ».

L’esprit d’ouverture, le respect et la bienveillance des uns et des autres font que l’aventure dure. « On vit dans le même immeuble, on partage le cellier à vélo, la buanderie, les chambres d’amis, la salle à manger et de loisirs… mais on n’interfère pas dans l’intimité des autres », commente Pierre. Et Marie-Ange de renchérir : « On peut très bien ne pas voir ses voisins pendant plusieurs jours. Nous ne sommes pas une communauté, même si nous avons vécu le confinement ensemble. Cela a rendu cette période de doutes plus facile et nous a rapprochés ».

Des affinités et des amitiés se sont créées au fil des dix ans de vie à proximité. « Le 11 juin 2019, on a même accueilli deux bébés. Deux garçons nés le même jour ! », sourit Marie-Ange. Les résidents d’Abricoop et des Quatre Vents ont aussi donné naissance à une ribambelle de projets. Une habitante a pu monter une ressourcerie dans l’îlot d’habitats participatifs grâce à la foncière citoyenne (bonus). « On a initié en 2022 un festival de musique Zicozilo qui irriguera cette année la Cartoucherie de juin à septembre », se félicite Pierre. Il conclut : « Au début, les gens autour de moi ne donnaient pas cher de notre aventure. À présent, ils trouvent ça génial. C’est vrai. C’est une sacrée richesse ». ♦

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Sur le toit-terrasse, lors du confinement, chacun se retrouvait pour discuter ©DR

 

Bonus
  • La foncière citoyenne. Elle vise à développer des biens et des services qui ont un impact d’utilité sociale, en vue de l’acquisition, la gestion, la vente et l’exploitation par bail, libre ou occupé, de tous biens et droits immobiliers.
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  • C’est quoi le principe de l’habitat participatif ? L’habitat participatif se définit comme le regroupement de plusieurs personnes en vue de réfléchir à un projet immobilier commun où l’écologie a un sens. Elles vont ensemble acheter un terrain et concevoir un toit collectif qui corresponde à leurs besoins et leurs principes de vie. L’habitat se compose de logements individuels et d’espaces communs qui sont gérés par les habitants. Il s’agit ainsi de réinventer de nouvelles manières d’habiter ensemble solidaires, intergénérationnelles, durables, loin des spéculations immobilières.

En Europe du Nord, le concept a pris depuis des décennies. L’Allemagne, la Suède et le Danemark l’ont pleinement adopté. En France, cet habitat s’est développé à partir du XXe siècle et s’est accéléré avec la loi ALUR de 2014 qui a modifié le Code de la construction et de l’habitation pour permettre la création de sociétés d’habitat participatif, de coopératives d’habitants et de promotions immobilières autogérées par les habitants.

En 2023, on recensait un millier de projets d’habitat participatif en France, dont 170 totalement aboutis. La moitié de ces projets sont de la réhabilitation de bâti existant. Ils se mènent autant en zones urbaine que rurale. 25% sont réalisés grâce au partenariat de collectivités territoriales, 20% avec des organismes HLM et 10% en locatif social.