AlimentationEnvironnement

Par Marie Le Marois, le 3 octobre 2024

Journaliste

Adopter un arbre pour en recevoir les fruits 

Soutenir les agriculteurs, préserver l’environnement, tout en se faisant plaisir ? C’est possible ! Cofondée en 2018 par Juliette Simonin, la plateforme CrowdFarming permet aux consommateurs d’adopter un arbre auprès d’un producteur européen. Et de recevoir chez eux la récolte : clémentines de Corse, bananes des Canaries, avocats de Grenade. Des produits cultivés selon les normes de l’agriculture biologique, cueillis à maturité et vendus à un prix juste.

Il était hors de question pour Joséphine d’acheter des fruits exotiques. Quand son aîné réclamait des avocats, elle lui opposait un refus catégorique : ils proviennent de l’autre bout du monde. Tout juste si cette maman de quatre enfants concédait des bananes de France d’outre-mer.

Et puis, en septembre 2021, au détour d’une recherche sur Internet, elle découvre le site CrowdFarming qui la met en relation avec 309 fermes d’Europe. « À l’exception d’un producteur de café et un autre de chocolat. Mais la marchandise est acheminée par bateau », tient à préciser Juliette Simonin depuis ses bureaux à Madrid. Cette trentenaire pétillante a fondé la plateforme avec les frères Ûrculo , producteurs d’oranges en Espagne (bonus).

Les prévisions de rendement pour la plupart des cultures dans l’UE ont été revues à la baisse en raison de conditions exceptionnellement chaudes dans le sud et de précipitations démesurées dans le nord, in CrowdFarming d’après le bulletin de la Commission Européenne.

Produits de qualité

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Les quatre fondateurs de CrowdFarming qui compte aujourd’hui 450.000 consommateurs en Europe.@DR

Joséphine trouve sur le site tout ce qui fait son bonheur. Fruits, légumes, légumineuses (pois chiches, quinoa, etc.), épicerie (huile d’olive, sel, pâtes, etc.). Et même du fromage tel que du Parmigiano Reggiano AOP. Chaque producteur décrit, photos à l’appui, son histoire, sa manière de travailler et ses produits. Les critères CrowdFarming sont stricts : ils doivent pratiquer l’agriculture biologique, avec une gestion de l’eau raisonnée, produire de saison et laisser les fruits sur l’arbre jusqu’à leur maturité optimale. « Les producteurs donnent vraiment la meilleure qualité et si ce n’est pas le cas, nous les écartons de notre plateforme, insiste Juliette Simonin, responsable des opérations. C’est pour l’instant arrivé une fois ». 

Caisses ou adoption

Mangues tardives agrirégénératives bio La Reala · Espagne @DR

Sur Crowdfarming, il est possible d’acheter des caisses de producteur (de 2 à 3 kilos, voire 6 kilos). Ou d’adopter un arbre, une parcelle ou un animal. Et de recevoir les produits étalés sur la saison. 12,5 kilos pour un avocatier par exemple. Joséphine préfère d’abord commander une caisse de mangues. Les produits ont été cueillis juste avant leur livraison, puis envoyés chez elle, à Marseille. Contrairement au parcours d’un produit traditionnel, ils n’ont pas été stockés à froid dans un entrepôt, ni subi la chambre de murissement artificielle. Un scénario qui influe sur les saveurs et les arômes. La quadra est effectivement surprise par le goût « dingue » des fruits charnus. Mais aussi leur durée de vie : « je les ai gardés trois semaines dans mon frigo ! » 

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Zéro stock

Parmigiano Reggiano AOP de Roberto Rondini – Italie @DR

Le producteur récolte uniquement ce que le consommateur lui achète, évitant le gaspillage qu’on peut trouver dans la chaîne d’approvisionnement conventionnelle. Il est par ailleurs assuré de vendre toute sa production, quels que soient le calibrage ou la beauté de ses produits – « chez nous, on aime les fruits moches. Le plus important est la qualité », prévient Juliette Simonin. Le client, s’il est certain de recevoir son colis, ne décide pas en revanche de la date. Joséphine était pressée de recevoir son Parmigiano Reggiano AOP au lait cru. Mais le producteur le lui a envoyé seulement quinze jours après. Cette manière de consommer rappelle à la mère de famille que le consommateur doit se plier à la nature et non l’inverse

Revenu garanti

La saison du litchi s’est terminée fin août @DR

En outre, chaque produit a une saisonnalité, plus ou moins longue. À sa grande déception, Joséphine n’a pas pu renouveler sa commande de litchis « si goûteux » : la période, fin août, est courte. Parfois, les conditions climatiques entrent également en jeu et décalent la livraison. « S’il pleut le jour de la cueillette, il faut attendre que les fruits sèchent, ils ne peuvent pas être envoyés mouillés », signale Juliette Simonin. Et si la récolte est abîmée, à cause des intempéries, CrowdFarming rembourse le consommateur et le producteur.

Transport le moins impactant

Oranges de Hort del Zèfir – Espagne

À chaque fois que Joséphine reçoit son colis, elle se pose la question de sa pertinence en termes de bilan carbone, par rapport à un achat dans un supermarché. CrowdFarming a mené une étude avec un cabinet spécialisé sur l’impact d’un kilo d’oranges bio produites à Valence et livré à Berlin. « Notre empreinte carbone est réduite de 22% avec notre système d’acheminement, par rapport à celui du supermarché », rapporte Juliette Simonin. Les raisons ? Un transport optimisé – « nos équipes logistiques déterminent les meilleures routes pour faire le moins de détours possible ». Des camions remplis au maximum et des produits qui ne patientent pas de longues semaines en chambre froide. 

Des ajustements

Certains Farmers confient au CrowdLog les tâches complexes de tri, d’emballage et d’expédition des produits. @DR

Depuis sa création, Crowfarming recherche en permanence des moyens d’améliorer ses opérations. Ainsi, en 2023, la société a lancé CrowdLog – son premier hub logistique à Valence, en Espagne. « On s’est rendu compte que l’envoi direct du champ au consommateur est très bien sur le papier, mais certains producteurs ne savent pas forcément faire, n’ont pas les moyens, ni les équipes. C’était un énorme frein pour beaucoup d’entre eux ». Le nouveau centre logistique prend désormais en charge, pour la plupart de ses Farmers espagnols, les tâches complexes de tri, d’emballage et d’expédition des produits, « sans les stocker », insiste Juliette Simonin. Ce centre permet également à l’entreprise de développer d’autres modèles de vente : des caisses de produits mélangés ponctuelles ou sur abonnement. Comme, kakis, grenades et kiwis. Trois autres hubs ont ouvert depuis : en Espagne, en France et en Italie.

Encore des efforts à faire

Le Verger Bio de Véronique, situé à Rivesaltes – France, a envoyé directement à Joséphine le colis de grenades @DR

Cette entreprise de 200 salariés cherche encore à réduire ses émissions carbone. Elle œuvre pour que le dernier kilomètre soit assuré par ses partenaires (Colis Privé, DHL…) au maximum en électrique. Elle aimerait également un système de consigne pour les colis, comme cela se fait par exemple dans les AMAP (Agriculture pour le maintien de l’agriculture paysanne). Car, même si les caisses sont en carton, elles ne sont pas sans impact environnemental. « Mais pour l’instant, aucun de nos partenaires ne propose un système de retour », regrette Juliette Simonin. Joséphine souhaiterait de son côté des plages de livraison moins étendues, « car à chaque fois, il faut que je patiente deux heures chez moi ».

Et le prix ?

Quinoa blanc complet BIO
Mudda Natur · Allemagne @DR

Le prix, fixé par les agriculteurs au début de la saison, reste le même jusqu’à la fin de la saison. « Ce qui les protège des fluctuations et des spéculations du commerce conventionnel et leur permet d’avoir un plan financier beaucoup plus stable », étaye sur son site CrowdFarming qui entend être le plus transparent possible sur le prix final (bonus). Ainsi, Joséphine débourse environ 20 euros les 2,5 kilos de mangue, 33 euros les 5 kilos (tout dépend de l’agriculteur choisi). Comparé aux mangues de son supermarché, de la même origine mais non bio, c’est un petit luxe (2,79 euros la pièce). Mais un luxe qu’elle s’accorde volontiers car il reste exceptionnel et vertueux. Pour l’agriculteur et l’environnement. 

Des produits français

Vache de la Coopérative Bouclans – France @DR

Jusqu’à présent, Joséphine achetait des produits qu’elle ne pouvait trouver en France, excepté les clémentines de Corse. Cette locavore préférait privilégier les paniers de producteurs de sa région, foisonnante. Fin septembre 2024, après avoir surfé sur l’onglet Agriculteurs français, la quadra a adopté une parcelle des Salines du Breuil, en Vendée, un noyer de Grenoble AOP. Enfin une vache Loula, dans le Jura, qui lui offrira cinq fromages Comté fruité AOP pour lesquels elle devra patienter jusqu’au 2 décembre. Le fermier explique sur le site qu’il envoie sa production après six mois d’affinage. Or, le pic de lait se situe en mai, « le moment de l’année où l’herbe est la plus belle ». Une réalité qui fait patienter Joséphine, tout en lui mettant l’eau à la bouche.♦  

Bonus

Au départ des oranges. CrowdFarming, c’est la jolie histoire de deux frères espagnols : Gonzalo et Gabriel Úrculo. En 2010, ils se mettent au défi de replanter des orangers dans le verger abandonné de leur grand-père. Leurs proches s’impliquent dans l’aventure en finançant des orangers. Le concept prend de l’ampleur et des consommateurs de toute l’Europe deviennent parrains. Encouragés par ce franc succès, les frères invitent de nouveaux producteurs à participer : c’est le lancement officiel de CrowdFarming. Les frères Urculo ont été rejoints par Juliette Simonin, experte en finance, et Moises Calviño, informaticien.

♦ (re)lire Des paniers bio et locaux pour les plus modestes

Le prix. Le prix de vente de base est fixé par l’agriculteur. Les services de Crowdfarming et la TVA sont ensuite ajoutés à ce prix, en fonction du pays de destination. En déduisant cette TVA, voici ce que chaque partie reçoit : 50% pour l’agriculteur, pour la culture et la récolte du produit, 25% pour le transporteur, 22% pour CrowdFarming, 3% de commission pour les méthodes de paiement.

CrowdFarming travaille en amont. L’entreprise a ses propres ingénieurs agronomes qui se déplacent sur le terrain pour accompagner au maximum ses producteurs, notamment en Espagne, Italie, France et Allemagne. Comment récolter à la demande, ramasser le fruit sur l’arbre, gérer la récolte après des pluies. Mais également comment aller plus loin en pratiquant une culture biorégénérative. C’est-à-dire qui améliore les sols et la biodiversité, économise l’eau, réduit l’empreinte carbone et produit des aliments plus nutritifs.