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Aider son ado à conquérir son autonomie
La capacité d’agir seul, de faire des choix et de les assumer s’acquiert au terme d’un long apprentissage. À nous, parents, de donner confiance à nos ados, affirme la Professeure Marie Rose Moro, directrice de la Maison de Solenn à Paris.
« Les écrans ? Je suis obligé de le fliquer en permanence. » « Je lui ai fait confiance, mais sa fête à la maison a viré au drame. » « Avec son 2 sur 20, j’hésite à lui supprimer son portable. » Les parents s’arrachent les cheveux sur la conduite à tenir. Laisser leur enfant en roue libre ? Faire à sa place ? Contrôler ? Pourquoi le curseur est-il si difficile à placer ? Car tiraillé entre sa quête d’autonomie et sa peur de l’inconnu, sa recherche des limites et son opposition quasi systématique, l’ado est un paradoxe.
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« Il doit s’efforcer de gérer son besoin de distance vis à vis des parents et sa dépendance à eux, héritage encore nécessaire de l’enfance », résume Antoine Périer, psychanalyste et psychothérapeute à la Maison de Solenn, à l’hôpital Cochin, à Paris. Le bon dosage varie d’un ado à l’autre et demande aux parents un ajustement permanent.
Accepter ses tâtonnements

L’autonomie passe par de petites expériences : s’occuper des courses, laver la salle de bains, tenir un budget. Il importe également de laisser l’ado faire des choix : intégrer un CAP bijouterie, se teindre les cheveux… Parfois, nos peurs et nos jugements limitent ces opportunités d’apprentissage. Si nous restons dans le contrôle, comment peut-il avoir le courage d’oser et se sentir capable ? Bien sûr, il peut se tromper. Salir la cuisine en préparant son déjeuner, raconter des inepties dans une conversation d’adulte. Et alors ? « Si nous acceptions leurs tâtonnements, ils iraient beaucoup mieux », martèle Marie Rose Moro, psychiatre et cheffe de service de la Maison de Solenn.
Le laisser apprendre de ses erreurs

S’il est important de lâcher du lest, la liberté totale est aussi anxiogène. Marthe se souvient s’être sentie abandonnée par des parents qui lui laissaient tout décider seule. La discipline positive, démarche éducative en vogue qui s’appuie sur la fermeté et la bienveillance, invite les adultes à être dans une posture de copilotes : aider leurs jeunes à comprendre et rectifier leurs erreurs ; leur filer un coup de pouce quand ils peinent à avancer. « Ils ont besoin de nous pour les protéger, les encadrer, donner du sens à leur vie », insiste Marie Rose Moro. Et bien souvent, nous envoient des signaux pour nous le rappeler.
♦ (re)lire Sensibiliser les ados à la santé mentale par le beau et l’audio
Jauger le rapport demande d’autonomie/maturité
Être parent d’ado, c’est en permanence jauger le rapport demande d’autonomie/maturité : est-il assez responsable pour avoir un scooter ? Partir en vacances avec sa bande ? On peut comprendre ses désirs (et le lui dire), sans forcément être d’accord. Les limites, alors, s’imposent. Mais si elles structurent l’adolescent dans cette période mouvante, celles-ci ne doivent être ni arbitraires ni rigides.
Pour Marie Rose Moro, le « c’est comme ça et pas autrement » est contre-productif. En effet, il risque d’engendrer ressentiment, colère, découragement, rébellion ou repli. Impliquer l’ado dans la recherche de solutions lui permet d’acquérir les compétences essentielles pour l’autonomie, comme le respect de l’engagement ou la résolution de problèmes.

Le rejoindre au cœur de ses préoccupations
Cette coopération implique de rejoindre l’adolescent au cœur de ses préoccupations (les jeunes écoutent plus volontiers s’ils se sentent entendus), mais aussi de respecter les nôtres. Il est collé à son portable ? Parlons-lui de nos attentes (travail assidu, lecture…), convenons de temps de déconnexion, faisons preuve de cohérence : les règles que nous imposons sans les respecter nous-mêmes (en matière d’écrans, de consommation de stupéfiants) nous ôtent toute crédibilité et le privent de repères.
En cas de non-respect, les sanctions peuvent être une réponse, à condition d’avoir été annoncées avant, d’être en lien avec le problème et mesurées : si tu reprends ton portable, tu ne l’auras pas le lendemain ; si tu rentres à 4 heures du matin au lieu de 1 heure comme convenu, tu seras privé de la prochaine sortie. Faire preuve de fermeté et de constance sur le long terme reste sans doute le plus difficile. Mais c’est tellement important.

Ne pas les enfermer
Sécurité intérieure et autonomie sont intiment liées. Plus l’ado se sentira inconditionnellement aimé, mieux il s’envolera. « Les parents disent les aimer mais ne peuvent pas s‘empêcher d’éprouver de la déception », observe Marie Rose Moro. Bastien, qui était si proche de son fils, ne voit plus en lui qu’un « mollusque, geek et agressif ». « Nous avons tendance à les enfermer dans des images négatives. Les ados inquiets les intériorisent et peuvent même s’y conformer inconsciemment », prévient Marie Rose Moro. Elle préconise de les regarder tels qu’ils sont, pas tels qu’ils devraient être. « N’attendons pas des jeunes qu’ils se comportent comme des adultes et ne fixons pas leur personnalité à l’instant T. Leur cerveau n’est pas fini », rappelle-t-elle.

Savoir encourager
Les encourager à former des projets – passer un brevet d’animateur, partir un an aux États-Unis dans une famille, à faire du soutien scolaire –, sans les enfermer dans nos propres envies, renforce leur estime d’eux-mêmes et les incite à oser. S’intéresser à leurs goûts (rap, films d’horreur, mangas…), leur demander conseil (comment télécharger de la musique, réaliser un minifilm…) témoigne de l’intérêt que nous leur portons et encourage leur curiosité. Les accompagner vers l’autonomie, c’est aussi leur donner envie de se construire une vie d’adultes. Alors, à nous de leur montrer que celle-ci est belle, en parlant de nos ‘’kifs’’ de la journée, des obstacles rencontrés et des solutions trouvées.♦
Bonus
Témoignage
Julie, 47 ans : « Notre fils était en désamour scolaire, nous l’avons donc poussé en fin de 3e à faire les Compagnons du Tour de France dans la charpente. Au bout de deux ans, il a enchaîné avec un service civique dans une école primaire. Puis le concours des pompiers, qu’il a raté. On s’est aperçus que tous les conseils qu’on lui donnait échouaient. Et que la solution était qu’il fasse ses propres choix. Alors, on lui a demandé s’il était conscient de notre amour et s’il le recevait. Puis prié de prendre un appartement et un boulot. Enfin, on lui a dit que, quels que soient ses choix, ce serait très bien car ils viendraient de lui.
Après avoir travaillé pendant un an en usine, il a trouvé un bac pro en économie du bâtiment et une entreprise pour faire son stage. Le fait qu’il ait trouvé seul signifie qu’il est dans sa voie. Car ces chemins détournés, ces échecs assumés l’ont aidé à aller au fond de lui-même. C’est ainsi, dans cette liberté, qu’il est devenu adulte ».