ÉducationSociété
Apprendre aux enfants à écouter pour vivre ensemble
Eloquentia a élaboré à destination des collégiens un parcours pédagogique baptisé ‘’1001 écoutes’’. Expérimenté à Marseille depuis septembre 2023 dans des classes de CM2 et 6e, il entend répondre à un enjeu de taille : le manque d’écoute dans notre société et son impact sur le ‘‘vivre ensemble’’. L’association ambitionne d’exporter ce format en Île-de-France.
Plus besoin de leur répéter ce qu’ils doivent faire. Les élèves de 6eC du collège Sévigné, à Marseille, sont rompus à l’exercice. Dès leur arrivée en classe, ils installent les chaises en arc de cercle, de manière à être tout ouïe. C’est la cinquième séance 1001 Écoutes et une seconde année pour cet établissement privé d’un quartier populaire du nord-est de la ville. Avant de démarrer l’atelier, l’animateur Eloquentia, Olivier Plancquaert, leur rappelle le cadre défini par l’association : Respect – « on respecte tous les avis », Écoute – « on écoute ce que dit l’autre » et Bienveillance – « on ne se moque pas de ses camarades ». <!–more–>
Tout le monde parle et personne n’écoute

Ce parcours pédagogique, financé par la Fondation Bayard et FDVA (fonds pour le développement de la vie associative), est né d’un échange entre le responsable de l’antenne marseillaise Eloquentia et les cofondateurs de la Fabrique du Nous. L’objet de la première association est de permettre aux jeunes de se révéler par la prise de parole éducative (bonus). Celui de la seconde, de faire émerger et accompagner des projets à impact à Marseille. Leur constat est sans appel : tout le monde parle et personne n’écoute. ‘’Dans un monde clivé et en tension, un monde de bruits, de bashing, de rumeurs et de clashs, il s’agit de rendre l’écoute sexy et désirable, autant que l’éloquence’’, martèle La Fabrique du Nous sur son site. Il existe autant de façon d’écouter que de personnes, d’où ‘’1001 écoutes’’.
Un remède à certains maux de la société

Savoir écouter permettrait de répondre à plusieurs problématiques contemporaines, « dont le harcèlement », estime Awen Le Goff, référent pédagogique du projet Eloquentia. Il s’explique : « Si on fait un pas vers l’autre et qu’on l’écoute un peu plus, on est plus à même de l’accepter tel qu’il est. Cette approche peut, par exemple, améliorer le climat scolaire ». Peu importe si l’établissement est privé ou public, en zone d’éducation prioritaire ou pas, l’association propose le parcours aux écoles volontaires, à la demande de professeurs. C’est le cas de Nathalie Payet, professeure de français des 6e5, qui a déjà éprouvé le concept l’année précédente. Elle anime par ailleurs bénévolement des ateliers de prise de parole pour les classes de première et terminale de Sévigné.
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Apprendre à s’écouter soi avant d’écouter les autres

Le parcours est composé de six séances de deux heures, menées en demi-groupe par des animateurs Eloquentia. Ils sont formés à la méthode pédagogique de l’association ‘’Porter sa voix’’ et à celle de ‘’l’escalier’’ de 1001 écoutes. « Il faut d’abord atteindre le premier objectif pour accéder au suivant, savoir d’abord s’écouter soi pour écouter l’autre », résume Awen Le Goff. Il détaille le contenu de chaque séance. La première est ’’Je prends conscience de l’écoute et de son importance’’. La seconde, ’’Je m’écoute moi’’, a pour objectif que les élèves deviennent capables d’écouter leurs différentes émotions. « Car si je suis énervé, je ne suis pas en capacité d’écoute », étaye ce trentenaire. La troisième est ‘’J’écoute les autres’’, suivie de ‘’J’écoute les autres et je le montre’’. Elle permet à l’animateur d’aborder différents thèmes, dont l’écoute active, « l’écoute réelle ».
“La posture pour une écoute active ? Regarder son interlocuteur dans les yeux, rebondir sur ce qu’il a dit, etc.” Olivier Plancquaert
Un parcours ludique

Les séances sont ponctuées d’exercices ludiques. Ce matin-là, Olivier Plancquaert propose à son groupe le jeu des ‘’ou bien’’. À tour de rôle, les élèves positionnés en cercle doivent demander à leur voisin de choisir entre deux propositions. « Tu préfères t’habiller en blanc une semaine ou en noir ? », « Si tu avais des super pouvoirs, tu préférerais porter des objets lourds ou te téléporter ? », « Barça ou l’OM ? », « Camille ou tes potes ? ». À chaque fois, il est demandé aux élèves de bien écouter la question et de motiver leur choix. Et, bien sûr, à ceux qui la posent, de respecter la réponse de leur interlocuteur. L’animateur note une évolution depuis le premier exercice où les élèves, debout, devaient dire leur prénom. « Ça ricanait », rapporte ce directeur commercial à la retraite.
…et concret
À l’occasion de la cinquième séance, les élèves rencontrent un professionnel de l’écoute, « pour rendre le sujet plus concret » souligne Awen Le Goff, qui fut formateur d’animateurs et de directeurs de structures de loisirs, avant de basculer animateur Eloquentia. Les profils des professionnels sont variés : infirmier, commercial, journaliste, etc. Marine Samzun, journaliste à radio RCF, est ainsi intervenue pour expliquer en quoi l’écoute est primordiale dans son métier. Elle a également mené quelques jeux, dont celui de l’intervieweur/interviewé.
Un bilan mitigé

Le parcours 2023-2024 était expérimenté avec des élèves de 3e. Le bilan a montré une progression intéressante, mais pas dans toutes les classes. « Les résultats varient selon le climat de la classe. S’il n’est pas serein, le parcours ne change rien. Six séances, c’est peu. Elles ne permettent pas de faire évoluer les mentalités aussi facilement. Le collège, c’est un peu la loi de la jungle », observe Awen Le Goff. C’est une des raisons pour laquelle il a choisi pour la saison 2024-2025 des CM2 et 6e. Le prochain bilan dira si l’écoute est mieux entendue dans ces classes. Mais à entendre les retours des 6eC, déçus d’être « déjà ! » à la cinquième séance », nul doute qu’il sera positif.
« Prendre la parole est même devenu un plaisir »

Annabelle : « On sait mieux ce qu’il faut faire pour que la personne se sente en confiance quand on l’écoute : la regarder dans les yeux et ne pas se moquer ». Raphaël, Lili et Louisa expliquent qu’ils sont devenus moins timides. Ils osent davantage parler devant les autres, car ils ont appris la bienveillance. « Prendre la parole est même devenu un plaisir », confie Louisa. Sa voisine, Rahna a appris à respecter les désaccords et à mieux écouter, « car souvent on est concentré sur soi-même ou son téléphone ». Pour Annabelle, les séances n’ont pas changé grand-chose, elle continuera à vraiment écouter ses « copines ». D’une oreille distraite les « gens qui racontent leur vie » et pas du tout « ses parents qui [lui] crient dessus ».
Nathalie Payet, la professeure de français des 6eC observe un effet bénéfique de l’atelier sur ses élèves. « Il leur permet de développer l’empathie, l’assurance, la confiance en soi. Ils développent des compétences dans les différentes disciplines, comme le Français. Dans la vie également, pour vivre ensemble ». Même écho de l’AEHS (accompagnant d’élèves en situation de handicap), qui assiste en classe Isaac et Nadim. Elle observe un effet sur le second, qui ose davantage prendre la parole. Et sur la classe, bien plus bienveillante à leur égard.
Des petites graines
L’objectif est de porter le projet 1001 écoutes en Île-de-France, de continuer à le développer dans le sud et de chercher des enseignants volontaires. Awen Le Goff ne déclare pas une méthode miracle, surtout avec un format si court, mais il reste persuadé que le parcours permet de planter des petites graines qui pousseront un jour ou l’autre. ♦
Bonus
# Eloquentia est une association nationale fondée en 2012 par Stéphane de Freitas, artiste, réalisateur et entrepreneur social. Il notamment écrit et réalisé le documentaire “À voix haute”. Il est parti du constat que nous sommes inégaux devant notre capacité à prendre la parole – notamment pour des raisons socio-culturelles, éducatives ou émotionnelles – Eloquentia entend permettre aux jeunes de tous horizons « de prendre confiance en eux et de s’émanciper grâce à la prise de parole en public par des formations et des concours », résume Awen Le Goff, référent pédagogique à Marseille. Basé à Paris et Marseille, l’association déploie 40 équipes concours à travers toute la France et dans les pays francophones, avec plus de 400 jeunes bénévoles.
# La prise de parole éducative, telle que la définit Stéphane de Freitas dans la pédagogie ‘’Porter sa voix’’, est le développement de la confiance en soi par l’enseignement des techniques d’expression orale en développant le questionnement, le dialogue et l’empathie, au sein d’un collectif. Celui-ci aide chaque participant à se révéler aux autres et à lui-même.
