Société

Par Audrey Savournin, le 3 décembre 2024

Journaliste

L’audiodescription ouvre les stades aux déficients visuels

Julien Wachowski (à droite) a créé l'association W sports avec Vincent Volume (à gauche). Objectif : développer l'audiodescription des événements sportifs. © DR

Dans le monde, 253 millions de personnes présentent une déficience visuelle selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé). En France, elles sont près de deux millions, toutes confrontées à des problèmes d’accessibilité. Un film sur cinq et quatre émissions de télévision sur cent sont audiodécrits… et privilégient bien souvent la culture ! Journaliste installé à Marseille, Julien Wachowski s’est spécialisé dans l’audiodescription d’événements sportifs. Pour que tous les supporters puissent vivre des matches de football ou de rugby en direct des stades. Même sans les voir.

Assis dans la tribune de presse du stade Vélodrome à Marseille, Julien Wachowski est dans son élément. Micro-casque sur les oreilles, ce jeune journaliste de 29 ans vit son « rêve de gosse » : être commentateur sportif. Accélérer le débit à chaque action de jeu, s’enflammer sur un but, s’étrangler sur une erreur d’arbitrage… « Faire vibrer les gens comme Thierry Gilardi m’a fait vibrer, » résume ce ch’ti d’origine polonaise, installé à Marseille depuis une vingtaine d’années. « Je me souviens même du moment où j’ai décidé de faire comme lui : je regardais le match entre l’OM et Newcastle, en 2004, dans ma petite chambre de Dunkerque. J’avais 9 ans…» À l’époque, il supportait le RC Lens, même si personne ne l’a initié au foot dans sa famille. Depuis, il est « tombé dans la marmite » olympienne.

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Julien Wachowski et Vincent Volume, co-fondateurs de l’association W Sports. © DR

Mais Thierry Gilardi travaillait pour la télévision. Julien, lui, s’époumone en audiodescription. Il fait vivre les rencontres en direct, depuis le stade, aux spectateurs malvoyants. Et a cofondé l’association W sports (voir bonus) qui propose ce « service » aux clubs comme aux collectivités. Convaincu qu’« il faut démocratiser l’audiodescription pour rendre les enceintes sportives plus accessibles. C’est plus développé au cinéma, au théâtre… Alors que si je regarde un match à la télé et que je lâche l’image, je ne sais pas vraiment ce qui se passe. »

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Décrire pour donner à voir

Disons qu’il fait « presque » de la radio. Au Vélodrome d’ailleurs, ses commentaires sont retransmis via la FM. Les supporters déficients visuels peuvent demander à bénéficier d’un des vingt casques disponibles pour l’écouter… Tout en étant au cœur de l’événement, en s’imprégnant de l’ambiance, en participant pleinement. Car l’audiodescription, ce n’est pas « simplement » de la radio. Cela s’adresse à une cible bien précise, à qui il faut tout détailler. « La personne qui nous écoute doit savoir à chaque instant où se trouve le ballon, comment il se déplace, quel joueur a la balle, dans quelle direction il regarde par exemple, à quoi il ressemble physiquement, s’il fait un intérieur ou un extérieur du pied, lire sur les lèvres, imager… » énumère Julien Wachowski, intarissable « passionné de tout ». Mais « pas sportif pour un sou, avoue-t-il en riant. J’ai deux mains gauches, deux pieds gauches ! »

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Audiodécrire c’est ne rien oublier, ni du jeu, ni de l’ambiance. celle. © Photo d’illustration Pexels

Tout dire donc. Sans s’interdire « du hors match et un peu de légèreté. Il ne faut jamais oublier la passion ! Il y a aussi un côté bar des supporters. » D’où l’obligation d’officier en binôme, encore plus qu’en radio ou télé. Pour pouvoir reprendre son souffle. Ou se remettre de ses émotions. Comme lors de la médaille d’or de l’équipe de France de cécifoot (foot à cinq pratiqué par des déficients visuels) aux Jeux paralympiques de Paris l’été dernier. Un moment historique que Julien Wachowski a partagé au micro avec 90 auditeurs en direct au pied de la Tour Eiffel. « C’était gigantesque, j’en ai pleuré », raconte -t-il. Un souvenir gravé à jamais.

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Être utile

À l’image de son premier match audiodécrit, lors de l’Euro de football en France en 2016. « Le CAFE (Centre for access to football in Europe), devenu AccessibAll (voir bonus), menait des actions pour rendre le spectacle accessible, rembobine-t-il. Ils lançaient l’audiodescription en France avec ASA France (voir bonus) et formaient de jeunes audiodescripteurs. J’ai eu l’information par l’IEJ (Institut européen de journalisme) où j’étais étudiant. Je me suis lancé bénévolement. Et ça m’a complètement chamboulé. Après le premier match, on a fait un débrief avec des malvoyants. Non seulement c’était des personnes formidables, mais j’ai eu le sentiment d’être utile, d’avoir donné de la joie… Ils ne s’étaient jamais sentis aussi impliqués. D’un coup, ils avaient leur place au stade. Je me suis dit que je ne voulais faire plus que ça.»

150 matchs commentés

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Julien Wachowski avec l’équipe marseillaise de W Sports au Vélodrome. © DR

« Impensable » donc de ne pas continuer après l’Euro. D’autant que le matériel de diffusion restait dans chacun des stades. Avec ASA France, ils font ainsi un nouveau test match au Vélodrome fin 2017. « Et on n’a plus jamais arrêté » résume fièrement l’audiodescripteur aux 150 matches commentés. Du foot et du cécifoot (football à cinq pratiqué par des déficients visuels) donc, mais aussi du rugby et il espère bientôt du handball, du water-polo et du volley-ball avec la Métropole Aix-Marseille Provence. Voire du hockey avec les Spartiates. « La base du public, c’est le foot, précise-t-il. Mais ça prend bien aussi pour le tennis, l’athlétisme, la natation, le judo… » Cet été, six sports sont ainsi devenus accessibles lors de JO, puis neuf lors des Jeux paralympiques. Grâce, cette fois, à une appli et un QR code à scanner.

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Les supporters de football de Lille, Lens, Reims ou encore Lyon peuvent eux aussi avoir accès à l’audiodescription. Comme ceux du XV de France. « La France a bien progressé, avec de gros événements, se réjouit celui qui est aussi ambassadeur d’AccessibAll et formateur à l’audiodescription. Mais le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Belgique sont plus avancés sur ces questionsEt les personnes malvoyantes sont tellement mises de côté que c’est difficile de les faire venir au stade. » À Marseille, par exemple, W sports s’est rapproché du Handi fan club de l’OM. Il échange aussi avec l’Union nationale des aveugles et déficients visuels (Unadev). Des relais précieux pour faire connaître un dispositif encore trop confidentiel. ♦

Bonus

# ASA France, le pionnier – L’association All Services Access France (ASA France) a été créée par la Fédération des aveugles et amblyopes de France (FAAF) en 2016, quand sa proposition a été retenue par l’UEFA. L’Union des associations européennes de football avait lancé un appel à projet pour organiser une formation en direction des jeunes journalistes afin de commenter les matches de l’Euro en audiodescription. Soit 52 rencontres commentées dans les dix stades accueillant les matches. Une convention a alors été signée avec la Fédération internationale de football (FIFA) et l’association anglaise Centre for access to football in Europe (CAFE), devenu AccessibAll. Si 40 jeunes étudiants en école de journalisme ont été formés, seulement une vingtaine d’entre eux ont été retenus. ASA France est ensuite devenue autonome dans sa gestion. Elle a notamment été retenue pour former de nouveaux audiodescripteurs avant la coupe du monde féminine de football en France en 2019. Et intervient depuis à Marseille, Lille, Lyon et Paris.

# W sports, le petit dernier – W sports a été créée en cette rentrée 2024 par Julien Wachowski Ronca, qui était le chef de projet pour ASA France à Marseille, et Vincent Volume. Elle regroupe une quinzaine de personnes dont sept audiodescripteurs indépendants et a la volonté de professionnaliser cette pratique. Elle commente les matchs de l’OM pour la saison 2024/2025 et devrait bientôt disposer de son propre matériel pour intervenir sur différents événements sportifs.

# AccessibAll, l’anglais – Depuis 2009, AccessibAll se veut le défenseur de l’accessibilité et de l’inclusion dans le sport. Anciennement Centre for access to football in Europe (CAFE), cette association anglaise travaille avec les supporters, les clubs, les fédérations, les décideurs, pour que dans le monde entier les personnes en situation de handicap puissent assister aux événements sportifs. Mais aussi pour qu’elles puissent exercer en tant qu’entraîneurs, administrateurs, leaders… Elles représentent 20% de la population et la moitié d’entre elles n’ont jamais assisté à un événement en direct.