ÉconomieEnvironnement

Par Nesrine Belhaj, le 28 juin 2025

Étudiante à l'Institut européen de journalisme de Marseille

Avec Tomo 4.0, les JO jouent les prolongations en mode durable

Fanny Vion, fondatrice de Tomo 4.0, porte une veste de sport conçue à partir des bâches des JO 2024 © Nesrine Belhaj

À Marseille, l’entreprise Tomo 4.0 transforme les bâches des Jeux olympiques 2024 en sacs, vestes et accessoires uniques. Un projet qui tisse mode, impact social et mémoire collective.

Le mistral a cessé de souffler sur les bâches des Jeux olympiques 2024 qui décoraient la Marina olympique de Marseille. Mais leurs traces persistent ailleurs. Dans les coutures d’une veste ou le tissu d’une trousse… Ces fragments d’un été intense, Tomo 4.0 les réinvente. Cette entreprise marseillaise, fondée par Fanny Vion en 2020, redonne vie aux bâches PVC et toiles textiles utilisées lors de cette compétition internationale. Réincarnés en vestes, sacs de sport et accessoires divers, ils deviennent ainsi des objets uniques. Des pièces qui portent en elles les cicatrices, les couleurs et les souvenirs qui relèvent d’une mémoire collective.

L’idée est simple, mais redoutablement efficace : transformer des matières déjà existantes, souvent vouées à la décharge, en pièces uniques et durables. Pour Fanny Vion, « tout commence par une matière ». Et souvent, c’est celle-ci qui inspire le design. « Ce sont les contraintes qui rendent la création plus forte », explique-t-elle.

Redonner vie aux matières oubliées

Pourquoi ces matières-là précisément ? Parce qu’elles portent « une forte charge émotionnelle » liée au sport et à la compétition, facilitant « une sensibilisation par l’objet ». « Entre un t-shirt floqué à l’autre bout du monde et une veste qui a vu passer les voiliers olympiques, il y a un monde. Une mémoire », renchérit Fanny. Ces matières sont aussi choisies pour leur résistance et leur polyvalence. En optant pour l’upcycling, Tomo 4.0 souhaite « changer le regard porté sur ce qui est considéré comme un déchet » et montrer que l’on peut « faire du beau avec de l’existant ». L’entreprise n’achète aucune matière première. Elle travaille uniquement avec des textiles voués à l’abandon, issus de l’événementiel, du sport ou du spectacle.

Cette démarche d’upcycling nécessite aussi une véritable expertise technique. La métamorphose se fait donc en collaboration avec des ateliers locaux, comme l’Atelier La Ficelle, spécialisé dans la sellerie et la tapisserie. Créé en 2020 en réponse à la crise sanitaire, ce chantier d’insertion marseillais s’est peu à peu tourné vers l’upcycling. Yolande Lombardo, sa responsable de production, raconte : « Nous formons les salariés à la confection à raison de 14 heures par semaine. En deux mois, ils sont capables de produire des pièces techniques et soignées. »

Une employée en insertion professionnelle coud la fermeture éclair d’une trousse Tomo, dans l’atelier marseillais La Ficelle, partenaire de la marque ©NB

Échapper au cliché insertion = prix bas

Le partenariat entre Tomo et La Ficelle relève également d’une volonté de combattre les idées reçues. « On veut sortir du raccourci insertion égal prix bas. Une pièce bien faite, c’est du temps, du savoir-faire, de la précision. Et nos salariés, une fois formés, ont tout cela , affirme Yolande Lombardo. Le défi est autant politique que technique. » Fanny insiste : « L’objectif est de prouver qu’une production locale et solidaire peut être aussi qualitative qu’une production industrielle classique. »

Autre parti pris, faire en sorte que chaque pièce confectionnée raconte une histoire : une trousse garde ainsi l’œillet original des bâches olympiques. D’autres arborent des morceaux de bracelets d’accès VIP. « Ce n’est pas un simple morceau de tissu, c’est une trace tangible de ce qu’a été l’événement, commente Fanny. Les bâches ont subi le vent, la pluie, l’effervescence des compétitions. Elles ont été témoins directes des émotions vécues par les athlètes et le public ».

Pour cette cheffe d’entreprise, le sport est un spectacle populaire, porteur d’émotions fortes, qui touche un large public pas toujours sensible aux enjeux environnementaux.

Technologie, mémoire et émotion

Mais l’expérience ne s’arrête pas à l’objet. Chaque article de Tomo intègre en outre une puce NFC dans son étiquette. De quoi accéder, en y posant son smartphone, à une page dédiée retraçant son origine, son parcours de transformation et les coulisses de sa confection. Pour chaque création créée à partir des bâches des JO, une carte d’authentification est même fournie, avec pour ambition de constituer une véritable communauté autour de ces objets chargés d’émotions.

Car Tomo n’est pas une simple marque : c’est un « nœud ». Celui qui relie les matières, les histoires, les savoir-faire, les entreprises et les personnes. « Je veux que chaque projet devienne une rencontre, confie Fanny. Je ne vais pas juste déposer un cahier des charges et attendre que ça soit produit, je passe du temps avec les ateliers, on élabore les modèles ensemble. »

Son objectif : que ces connexions perdurent. Elle espère en effet instaurer une conscience environnementale durable au sein des entreprises, les inciter à poursuivre ces bonnes pratiques de manière autonome, et donner plus de visibilité à la cause écologique. « Le but, c’est que les liens que je contribue à créer deviennent durables. Et que les différents acteurs puissent ensuite continuer sans moi. L’intention écologique doit l’emporter. C’est ça, l’impact. »

Un duffle bag, une trousse de toilette et une banane Tomo 4.0, fabriqués à partir de fragments de bâches olympiques visibles en bas à gauche © NB

Des partenariats pour la vente

Si elle refuse pour l’instant de vendre en ligne, c’est par conviction. « Je préfère les partenariats aux circuits fermés », explique-t-elle. La vente se fait ainsi par le biais de structures partenaires, comme le Comité régional olympique sud et, plus récemment, Décathlon ou La Redoute.

Si les matières textiles ont changé, l’intention est restée la même : donner du sens à la consommation. Et cette mémoire, Tomo la fait vivre. Avec ses partenaires, ses ateliers, ses clients. Dans chaque couture, une émotion. Dans chaque pièce, une trace du monde d’avant, devenue partie prenante du monde d’après. ♦