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Par Agathe Perrier, le 24 mars 2025

Journaliste

L’opéra prend la route pour s’ouvrir à de nouveaux publics

C'est l'artiste Yann Frisch qui a eu l'idée de créer un camion itinérant doté d'une scène et de gradins © Agathe Perrier

Parce que l’opéra est souvent vu comme un art réservé aux initiés, l’Opéra de Lyon a créé une œuvre résolument contemporaine, autant sur la forme que sur les ressorts de l’intrigue. Et pour toucher la plus grande diversité de publics possible, elle est interprétée dans un camion itinérant.

C’est un drôle de camion qui a récemment sillonné les routes le long du Rhône. Il s’est notamment parqué durant une semaine à Port-Saint-Louis-du-Rhône, commune de 8 000 âmes située à l’embouchure du fleuve du même nom. Derrière son apparente normalité, cette semi-remorque de 13,50 mètres de long cache en fait une salle de spectacle de 90 places, aux fauteuils drapés de l’incontournable velours rouge. L’Opéra de Lyon, qui l’a loué à la compagnie L’Absente de Yann Frisch (lire bonus), y a proposé « Le sang du glacier », une œuvre spécialement créée pour ce cadre atypique.

On doit cette idée à son directeur, Richard Brunel, qui a pratiqué la représentation en itinérance lors d’un poste précédent au Centre d’art dramatique de Valence. « Il a voulu continuer et a passé commande à trois femmes – la metteuse en scène Angélique Clairand, la compositrice Claire-Mélanie Sinnhuber et l’écrivaine-dramaturge Lucie Vérot Solaure – d’une œuvre racontant de nouveaux récits à de nouveaux publics », indique Delphine Marty, coordinatrice du projet. Autrement dit : une histoire contemporaine, sortant des opéras traditionnels, parlant au plus grand nombre et notamment aux jeunes.

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Une œuvre ancrée dans son temps

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En plus d’être joué dans un camion-opéra, l’histoire, les costumes et les décors du Sang du glacier cassent les codes de l’opéra traditionnel © Jean-Louis Fernandez

Cette histoire est celle de Sofia, une ingénieure hydraulique qui doit embarquer pour une mission d’études sur un fleuve. Son travail est subitement suspendu quand des algues rouges se déversent depuis le glacier en amont du cours d’eau, empêchant notamment toute navigation. Un phénomène bien réel – quoiqu’un peu exagéré ici – puisque les glaciers alpins prennent bel et bien une couleur rouge ou orangée au printemps en raison de la pullulation d’une algue microscopique (bonus). « Cet opéra traite à la fois d’un sujet d’actualité, le dérèglement climatique, et d’une histoire de famille », résume Delphine Marty. Car, au même moment, le frère de Sophia, Matteo, lui annonce que le corps de leur père, alpiniste disparu vingt ans plus tôt, a été rendu par le glacier en train de fondre. Le retour d’un fantôme du passé qui déboussole la jeune femme et tend les relations de la fratrie.

Outre l’histoire en elle-même, les costumes et décors cassent les codes de l’opéra traditionnel. Les personnages sont en tenue de ville, Sofia démarrant même vêtue d’un bas de pyjama en tartan. Et l’on est, du début à la fin, dans son laboratoire où elle se sert, entre autres, d’un ordinateur portable, d’un smartphone ou encore d’un ring light (ce trépied couplant un anneau lumineux, cher notamment aux influenceurs pour réaliser leurs vidéos). De quoi ancrer cette œuvre pleinement dans son siècle. On y retrouve toutefois l’un des principaux traits de l’opéra : des textes majoritairement chantés.

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Proximité totale

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À l’intérieur du camion-opéra, le premier rang n’est séparé de la scène que de quelques centimètres © CD69 – Julien Bourreau

Le petit espace consacré à la scène – huit mètres par six – crée une véritable proximité entre les artistes et le public. Avant d’être joué dans le camion-opéra, Le sang du glacier a fait l’objet de dix représentations au théâtre du Point du Jour, à Lyon. Et, d’après Delphine Marty, « l’impression n’était pas la même pour les spectateurs ». Il faut dire que dans la salle sur roues, ils ne sont qu’à quelques centimètres des chanteurs.

Un sentiment partagé côté scène. « On entend tout ce qu’il se passe dans les rangs, même les murmures », glisse Guillaume Andrieux, baryton prêtant ses traits à Matteo. Et Éloïse Poulet, la voix de soprano derrière Sophia, d’ajouter : « Ça demande d’être plus juste dans le jeu, comparé à une grande salle. D’être intense, sans en faire trop non plus ». A contrario, pas besoin de pousser sa voix au maximum, le public est tout près.

La différence porte aussi sur la diction. « Dans un opéra traditionnel, la technique vocale ne permet pas de toujours bien prononcer les mots. Or, ici, il faut avant tout transmettre le texte pour que le public comprenne l’histoire », souligne la chanteuse lyrique. Le contenu des dialogues ne leur a en revanche pas posé de difficultés. « On est modulables pour s’adapter aux répertoires, qu’ils soient contemporains, lyriques, classiques… », sourit son acolyte.

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Prêts pour de nouvelles aventures

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L’Opéra de Lyon espère reprendre prochainement la route avec le camion-opéra © Richard Brunel

À Port-Saint-Louis-du-Rhône, contrairement à d’autres villes, les représentations ont été gratuites. Un choix de la mairie pour que les habitants en profitent sans frein financier. Les trois dates destinées au grand public ont donc affiché quasi complet. Trois autres réservées aux scolaires ont permis à 270 collégiens et lycéens de découvrir cette œuvre originale. Et de se familiariser pour la première fois avec l’univers de l’opéra. « Au début, c’est souvent compliqué pour les jeunes tant ils n’y sont pas habitués. Mais ils sont très vite rentrés dedans », estime Delphine Marty.

Après neuf semaines d’itinérance, il est l’heure pour l’équipe de rentrer à bon port. Tout en se projetant sur la suite. « On espère pouvoir remettre des options sur le camion afin de repartir l’année prochaine. On réfléchit déjà à ce que l’on pourrait proposer », indique la coordinatrice. Ce pourrait être une reprise du Sang du glacier ou une nouvelle création. L’Opéra de Lyon espère en tout cas que cette nouvelle saison sur route, si elle se concrétise, sera plus longue. Et invite pour cela tous les intéressés, collectivités ou structures, à le contacter dès à présent. ♦

Intéressé par la venue du camion-opéra lors de sa prochaine itinérance ?
Contacter Delphine Marty :
dmarty@opera-lyon.com – 06 70 63 92 63

Bonus

# Un camion atypique – Fruit du rêve du magicien Yann Frisch, pour jouer ses spectacles en itinérance. Le camion se démonte et se replie pour rouler sous la forme d’une semi-remorque. Son espace scénique mesure huit mètres d’ouverture pour six mètres de profondeur, avec une hauteur de six mètres. Outre la scène et les gradins, un espace d’accueil de dix mètres de diamètre y est accolé. Ce dernier sert généralement d’espace buvette pour permettre aux spectateurs de se rencontrer.

Time lapse © David Guillaume

# Une algue fait saigner les glaciers alpins – Ce phénomène connu sous le nom de « sang des glaciers », est dû à la pullulation d’une algue microscopique appelée Sanguina nivaloides. Des chercheurs ont récemment montré qu’elle ne vit pas dans les cristaux de glace, mais se développe dans l’eau liquide qui circule dans la neige. Au printemps, pendant et après la fonte des neiges, elle se retrouve dans le sol et entreprend une véritable métamorphose pour s’adapter à ce milieu radicalement différent. Les scientifiques voudraient à présent comprendre ce processus encore jamais étudié. Plus d’infos en cliquant ici.