Santé
Cancer du sein : “Moins de 50% des femmes participent au dépistage organisé”
Le cancer du sein, c’est 60 000 nouveaux cas par an. Voilà pourquoi son « dépistage organisé » a été généralisé en France : le diagnostiquer à un stade précoce. Pourtant, moins de la moitié des femmes concernées y participe. Explications avec le Dr Brigitte Seradour, présidente de l’association nationale des Centres régionaux de coordination des dépistages des cancers.
Le cancer du sein, sous les feux des projecteurs en ce mois d’octobre rose, est le plus fréquent en France, avec plus de 60 000 nouveaux cas par an selon Santé publique France. C’est aussi celui qui cause le plus de décès chez les femmes, plus de 12 000 chaque année. Alors qu’il peut être découvert à un stade précoce -ce qui augmente les chances de rémission- par une mammographie.
Une technique qui a permis la généralisation de son dépistage, depuis vingt ans, puis sa pérennisation. Sous l’impulsion du Dr Brigitte Seradour (voir bonus), radiologue à Marseille, aujourd’hui présidente du Centre régional de coordination des dépistages des cancers Sud Paca et de l’association nationale des CRCDC (voir bonus).
Mais deux décennies plus tard, il faut encore convaincre les femmes de rejoindre ce programme national gratuit. Il repose sur la « mammo » et un examen clinique des seins, tous les deux ans, chez les femmes de 50 à 74 ans ne présentant ni symptômes, ni facteur de risque particulier. Selon Santé publique France, seulement 46,5% des femmes ciblées y ont participé sur la période 2022-2023. C’est encore moins qu’en 2021-2022 (47,7%). Ce que regrette cette infatigable pionnière, qui nous a reçue dans son bureau du CRCDC Sud Paca.

Plus de 2,5 millions de femmes intègrent le programme de dépistage organisé du cancer du sein chaque année : un taux de participation encore trop faible. Plus de la moitié des femmes qui reçoivent le courrier invitant à se faire dépister ne le font pas. Comment l’expliquez-vous ?
Dans les Bouches-du-Rhône, les chiffres sont même pires que dans le reste de l’Hexagone avec moins de 40% de femmes qui répondent à l’invitation. C’est un des plus mauvais élèves avec Paris et la Corse. Alors qu’à l’opposé, dans l’Ouest, près de 60% des femmes entrent dans le programme.
Pour répondre à votre question, dans le cas des Bouches-du-Rhône, environ 30% préfèrent recourir au dépistage individuel, sur prescription de leur gynécologue. Souvent dès la quarantaine. Et les autres ne font rien. Notamment au sein de la population la plus pauvre, qui est peu réceptive à la prévention de manière générale. On l’a vu avec la vaccination contre le Covid, on le voit avec celle contre les papillomavirus (HPV). D’une manière générale, la politique de santé publique n’est pas suivie rigoureusement. C’est pareil par exemple pour les dons de sang, qui sont plus bas ici.
Y a-t-il encore des leviers à actionner pour toucher ces populations ?
C’est difficile. Prenez par exemple une femme qui ne sait pas lire, on pourra difficilement la toucher… Évidemment, on peut aller dans les centres sociaux, dans les prisons, faire de la sensibilisation. Mais ça concerne un nombre infime de personnes. Pour moi, il aurait peut-être fallu que le dépistage individuel soit un peu moins bien remboursé que le dépistage organisé.
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Ce cadre « organisé » apporte davantage de garanties notamment la « deuxième lecture ». C’est-à-dire que tout cliché jugé normal ou bénin par le radiologue est relu par un autre radiologue, aguerri. Pourquoi ne convainc-t-il pas les femmes ?
Il y a d’abord une question d’habitude pour celles qui font déjà régulièrement des mammographies prescrites par leur gynécologue. Dès 40 ans souvent et parfois même tous les ans. Ce qui est dangereux parce qu’être trop souvent exposé aux rayons augmente le risque de cancer. Passé 50 ans, elles continuent à consulter dans ce cadre-là. D’autant que 80% des gynécologues ne soutiennent pas fermement le dépistage organisé. Ils n’incitent pas les patientes à rejoindre ce dispositif. Quant aux généralistes, ils sont peu prescripteurs, certainement par manque de temps en consultation. Enfin certaines femmes n’ont pas envie de devoir revenir 15 jours plus tard pour récupérer le compte-rendu de la deuxième lecture avec leurs clichés.
Qui pourtant peut sauver des vies…
Au démarrage du dispositif, dans les Bouches-du-Rhône, 15% des cancers n’étaient vus qu’à la deuxième lecture. Avec le temps, on est plutôt à 7%. Notamment parce que les radiologues sont plus expérimentés. Les femmes ne le savent pas mais pour qu’un radiologue puisse faire des mammographies dans le cadre du dépistage organisé (Ndlr : une liste des radiologues habilités est fournie avec l’invitation), il doit avoir suivi une formation et en faire au moins 500 par an. Parce que le diagnostic est visuel et qu’il faut être entraîné.
Ils s’engagent par ailleurs à faire contrôler leur matériel tous les six mois par une société indépendante agréée par l’État. C’est une autre garantie pour les patientes. C’est capital parce que si le matériel est de mauvaise qualité, on ne peut pas détecter les petites lésions. Et on peut recevoir une trop grande quantité de rayons.
Participer au dépistage organisé, c’est aussi participer à un travail statistique…
Oui. C’est important, le dispositif est évalué par Santé publique France qui analyse le taux de cancers trouvés, les différences par classe d’âge ou encore entre milieux urbain et rural. C’est une source de données.

Le taux de réponse est-il plus faible justement en milieu rural ? Dans les déserts médicaux ?
Non, les radiologues ne manquent pas. Et même si le matériel nécessaire aux mammographies n’est pas disponible partout, notamment dans les petits hôpitaux, le taux de participation est plus élevé dans les départements ruraux. Dans le Vaucluse, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes, il atteint 50%, soit environ la moyenne nationale.
C’est vraiment davantage une question de comportements. Dans certains départements, c’est difficile de faire adhérer à la mammographie « dans les règles ». Même quand on fait tout pour l’encourager.
Octobre Rose y contribue ?
Octobre rose était le mois du dépistage du cancer du sein. C’est devenu celui de la lutte contre le cancer du sein. Mais ça nous donne une visibilité qu’on ne néglige pas. D’autant que la population est plutôt moins attentive. En 2011, on enregistrait notre meilleur taux de participation national : 51%. Puis on est redescendu, sans parvenir depuis à dépasser les 49-50%. ♦
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⇒ Plus d’informations sur le dépistage organisé du cancer du sein sur le site du CRCDC Sud Paca.
Bonus
[pour les abonnés] – Le dépistage organisé, dès 1989 à Marseille – Une organisation départementale puis régionale – Le dépistage des autres cancers –
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⇒ Depuis 1989 à Marseille. Le Dr Seradour est à l’origine du dépistage organisé du cancer du sein en France, depuis Marseille. Après l’inauguration d’un premier appareil de mammographie à l’hôpital de la Timone à la fin des années 70, elle a créé un centre de radiologie à l’hôpital privé Beauregard, où elle exerce toujours. « Tout l’intérêt du dépistage, c’est de diagnostiquer des patientes chez qui on ne détectait rien à la palpation, explique-t-elle. Et avec les anciens appareils, on ne voyait pas grand-chose. » Là, tout change.
Elle s’est formée au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas, qui étaient en avance sur le dépistage organisé. Comme l’Italie, l’Espagne, la Belgique… « Mais chez eux 98% des mammographies se faisaient dans des camions mobiles des hôpitaux publics alors qu’en France, 90% des femmes faisaient cet examen dans le privé. Elles sont 95% aujourd’hui. Il a fallu former les radiologues et manipulateurs radio. Tester le dispositif dans les Bouches-du-Rhône, le Rhône et le Bas-Rhin, dès 1989. Puis l’étendre à tout le pays en 2004. »
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⇒ Une organisation départementale devenue régionale. Jusqu’en 2018, le programme de dépistage organisé du cancer du sein était coordonné au niveau départemental. Depuis le 1er janvier 2019, le programme est coordonné au niveau régional par les Centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) qui s’appuient sur les structures de gestion de leurs départements. Cela devant permettre à l’État d’avoir moins d’interlocuteurs. Depuis, le Dr Seradour a créé en 2020 l’association nationale des CRCDC, qu’elle préside. Objectif : pouvoir parler d’une seule voix et avoir davantage de poids auprès des tutelles.
⇒ Cancers colorectal et du col de l’utérus. Missionnés par le ministère de la Santé, les CRDC organisent les programmes de dépistage des cancers du sein, mais aussi colorectal et du col de l’utérus. Là encore, l’Assurance maladie transmet des invitations. Pour le col de l’utérus, un frottis est proposé aux patientes qui n’en ont pas fait depuis trois ans. Un examen cytologique ou un test HPV sont réalisés. Et 60% des patientes répondent à l’invitation, en PACA comme en France.
Pour le colorectal, « ça marche moins bien que pour le sein », reconnaît le Dr Seradour. « Mettre un bâton dans ses selles puis dans une enveloppe, ça n’a pas un franc succès. » C’est en effet le principe du « kit » permettant de prélever des excréments. Pour y détecter une éventuelle présence de sang non visible à l’œil nu. C’est destiné aux hommes comme aux femmes de 50 à 74 ans, tous les deux ans. Mais le kit peut aussi être demandé à son médecin, en pharmacie ou en ligne.