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Cantina donne de la dignité à l’aide alimentaire
L’association marseillaise Cantina fait de l’aide et de la lutte contre le gaspillage alimentaire son double combat. Elle a monté pour cela un réseau de collecte d’invendus de fruits et légumes, qu’elle trie et reconditionne pour leur redonner toute leur splendeur. De beaux produits qu’elle distribue ensuite à des structures accompagnant des personnes en difficulté.
Les chiffres du gaspillage alimentaire ont de quoi donner le tournis. 8,7 millions de tonnes ont été perdues en France en 2020, selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture (lire bonus). Or, une bonne partie de ces aliments pourraient être consommés. Les sauver est la mission que s’est donc donnée l’association marseillaise Cantina. En ciblant les invendus des professionnels. « On récupère des denrées hors calibre ou en surplus. On les trie et les reconditionne, puis on les livre à des structures partenaires qui prennent en charge des bénéficiaires de l’aide alimentaire », résume Ilia Carfora, cofondatrice de cette structure avec Renata Balaclav et Zoé Howarth. Trois tonnes de fruits et légumes sont ainsi valorisées chaque mois.

Producteurs et grossistes sollicités
Tous les mardis, c’est le branle bas de combat pour l’équipe de Cantina. Tôt le matin, rendez-vous est donné au MIN des Arnavaux (14e arrondissement), énorme marché réservé aux professionnels de l’industrie alimentaire. C’est ici qu’elle récupère la majorité des fruits et légumes invendus.
« On ne sait jamais sur quoi on va tomber », sourit Aubin, en charge de l’aide alimentaire. Ce jour de mi-février, les cagettes sont remplies de poireaux, navets longs et choux-fleurs. Hiver oblige… ou pas. « Ce ne sont pas toujours des produits de saison puisqu’on s’approvisionne chez des producteurs et des grossistes. C’est un peu la difficulté mais, d’un autre côté, ça nous assure une certaine diversification », souligne-t-il.
En parallèle, chaque semaine, l’équipe se rend chez des producteurs. En plus de repartir avec leurs invendus, elle leur propose de glaner les fruits et légumes des parcelles qui n’ont pas été ramassées. « Beaucoup ont des surfaces de production qu’ils ne collectent pas car ils savent qu’ils ne réussiront pas à vendre ces produits. On essaye de se créer un réseau de producteurs qui nous laissent nous en charger », indique Aubin. Six opérations de ce type ont été menées l’année dernière.
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Précieux bénévoles
L’avantage du glanage ou de la cueillette est que les denrées sont récupérées en très bon état. A contrario, les invendus sont souvent (un peu) abîmés. Avant d’être distribués, ils passent donc par la case « tri », dans la cuisine du Plan de A à Z, tiers lieu alimentaire co-créé notamment par les fondatrices de Cantina (bonus).
Les salariés de l’association peuvent pour cela compter sur l’aide de bénévoles. Ce mardi de février, elles sont six – uniquement des femmes, ce qui n’est pas toujours le cas. La moitié a eu vent de cette action via la plateforme Benenova, qui met en relation associations et citoyens désireux de s’engager (bonus). Toutes ont répondu présentes mues par l’envie de mettre leur temps à profit d’une « action avec une utilité sociale ». Les petites mains retirent des cagettes les légumes pourris. Pour ceux à feuilles – comme les poireaux – elles les débarrassent des dégradées. Une étape de tri loin d’être anodine. « Notre volonté n’est pas seulement de distribuer des fruits et légumes mais de fournir une alimentation digne. Cela passe par de beaux produits », expose Quentin. Avec Marion, il fait partie des Coursiers Solidaires, assurant la distribution des précieuses denrées aux partenaires de Cantina.

Des distributions sur-mesure
Les treize structures bénéficiaires sont diverses et variées. Parmi elles : un foyer d’hébergement d’urgence, un hôtel social, des associations réalisant des maraudes et même des cuisines solidaires, à l’image de la Cuisine du 101 (notre reportage à retrouver ici). Les deux coursiers les livrent chaque semaine grâce à leur vélo cargo suivant un planning défini. Et ce sont eux qui choisissent le contenu des paniers, en l’adaptant à chaque fois. « On les a chacune interrogées sur ce qu’elles préfèrent avoir ou ne pas avoir, afin de coller au mieux aux besoins des personnes qu’elles accompagnent », précise Quentin. Sans grande surprise, oignon, carotte et tomate sont fortement plébiscités.
Il arrive que les bénéficiaires de l’aide alimentaire ne connaissent pas certains légumes reçus. Pour justement les aider à savoir comment les préparer, un atelier spécial leur est dédié, dans la cuisine du Plan de A à Z. Au programme : découverte et apprentissage de nouvelles recettes. « Ces personnes n’ont généralement pas besoin de cours de cuisine, car ce sont déjà de super cuistots ! Juste d’idées pour adopter ces produits nouveaux pour elles », glisse le coursier solidaire.
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Une cuisine ouverte à ceux qui n’en ont pas
L’association ouvre aussi cette cuisine à ceux qui n’en ont pas, comme les personnes résidant en hôtel d’urgence. Il ne s’agit pas ici d’atelier mais de permanence : les jeudis après-midi, chacun est libre de venir cuisiner ce qu’il souhaite et repartir avec ses plats. Six à sept personnes peuvent y être accueillies simultanément. « On met à leur disposition une base de denrées sèches et ce que l’on a dans la chambre froide », indique Salomé, responsable des animations chez Cantina. Un dispositif initié par le traiteur engagé La Table de Cana avec la Bagagerie, une association d’aide aux sans-abris, et l’ONG Action contre la faim.
Expérimenté une fois par mois entre septembre et janvier, décision a été prise de le perpétuer et même de le renforcer. « À raison de deux fois par mois pour favoriser l’engagement », précise-t-elle. Cantina souhaite également enrichir son réseau de collecte et, plus globalement, améliorer son action. Afin d’aider encore plus de monde tout en sauvant des tonnes de denrées de la poubelle. ♦
Bonus
- Des ateliers auprès des scolaires – Cantina assure aussi des ateliers de sensibilisation à l’alimentation durable dans les écoles. Ce, dans le cadre du plan « Marseille en grand » lancé par l’État en septembre 2021. Au niveau de l’éducation, ce programme permet notamment de débloquer des fonds pour rénover les établissements et financer des interventions extérieures.
- Un tiers lieu alimentaire dans le centre de Marseille – Ilia Carfora et Zoé Howarth ont œuvré à l’ouverture du Plan de A à Z en juin 2023. Cet établissement est à la fois une cantine, un café et un bar populaire antigaspi. C’est là que Cantina organise ses activités de distribution et ses permanences cuisine. Les deux structures sont toutefois complètement indépendantes.
- Une plateforme recensant les actions de bénévolat – C’est ce que propose Benenova. Objectif : faciliter l’engagement en mettant en lien associations et citoyens pour des missions ponctuelles et conviviales. Après Paris, Rennes, Lille et Nantes, l’association s’est déployée à Marseille en juillet 2023. Plus d’informations dans notre reportage à retrouver ici.
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- Des millions de tonnes gaspillées chaque année en France – Un nouveau cadre de surveillance des niveaux de déchets alimentaires a été instauré par la Commission européenne. Selon lui, le gaspillage alimentaire a représenté 8,7 millions de tonnes en France en 2020. La majorité (47%) provient des ménages français. Le reste se répartit entre les industries agroalimentaires (20%), la production primaire (14%), la consommation hors domicile (12%) et la distribution (7%). En 2016, l’agence de la transition écologique (Ademe) avait sorti son propre chiffre : les pertes et gaspillages alimentaires représentaient 10 millions de tonnes de produits par an selon elle. Il est « très difficile de comparer [ces] données, celles-ci n’ayant pas le même périmètre du fait de définitions européennes et françaises du gaspillage alimentaire qui ne se recoupent pas complètement », explique le gouvernement. Dans les deux cas, c’est énorme et bien trop.