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Par Agathe Perrier, le 13 juin 2024

Journaliste

Quand les cheveux aident les légumes à pousser

Courts, longs, naturels, colorés... La société Capillum recycle tous les types de cheveux © Agathe Perrier

4 000 tonnes de cheveux jetées chaque année en France : pourtant ces déchets présentent de réels atouts, notamment dans les cultures où ils permettent de réduire l’arrosage et de lutter naturellement contre les nuisibles. La société Capillum, qui commercialise ce type de paillage, planche sur de nouvelles innovations pour faire du cheveu « la fibre de demain ».

Au salon de coiffure Pascal Coste d’Allauch, commune jouxtant Marseille, l’équipe a adopté une nouvelle habitude depuis six mois. Après chaque coupe, les cheveux à terre ne sont plus jetés à la poubelle mais déposés dans un grand carton. Courts, longs, naturels, colorés… tous sont ramassés, sans exception. « Lorsque deux bacs sont pleins, j’appelle Capillum qui dépêche un livreur pour les récupérer », explique Nathalie Chappat, à la tête de cet établissement franchisé.

Comme elle, 5 000 salons de coiffure à travers la France ont recours à cette société basée à Clermont-Ferrand, qui se présente comme une « référence du recyclage des cheveux ». « On apporte les bacs dans notre centre de transformation. Les cheveux sont mélangés à de la laine, elle aussi recyclée. On obtient alors un produit de paillage que l’on vend directement aux professionnels ainsi qu’aux particuliers », expose Clément Baldellou, cofondateur et président de cette jeune pousse créée au printemps 2019 avec son associé James Taylor.

Le cheveu, allié des cultures

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Les paillages de Capillum se présentent sous la forme de disque ou de rouleaux © Capillum, DR

Les disques ou rouleaux Capinea – leur nom commercial – s’utilisent comme n’importe quel paillage. La différence réside dans les propriétés de leur composition 100% naturelle. Capillum affirme que sa solution permet de diviser par deux l’apport en eau et de limiter la pousse des mauvaises herbes, les effets du vent et les écarts de température. Elle fait également office de barrière physique aux escargots et limaces. « Notre paillage est biodégradable et nourrit le sol », ajoute l’entrepreneur. Sans risque pour les cultures, selon lui, même si certains cheveux ont été colorés chimiquement. « Dans notre process, qui dispose de quatre brevets, on arrive à rendre le produit « safe » (ndlr : sans danger) sans ajouter d’eau ou d’adjuvant chimique. Et ce qu’on peut trouver dans le cheveu, comme des traces de médicaments par exemple, n’a pas de concentration élevée » pour présenter un risque, précise-t-il.

Côté tarif, comparé aux autres paillages naturels, les Capinea se révèlent plus chers que ceux en jute, néanmoins décriés pour leur impact environnemental car généralement fabriqués en Asie. Leur prix est en revanche équivalent à ceux en chanvre, dont certains sont aussi produits en France. « C’est l’alternative écologique la mieux positionnée sur le marché », assure toutefois l’entrepreneur, compte tenu des caractéristiques citées plus haut.

♦ Lire aussi l’article « Des cheveux pour dépolluer les océans »

Des innovations dans les cartons

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Les deux fondateurs de Capillum, Clément Baldellou et James Taylor © Capillum, DR

Les paillages Capinea sont vendus en ligne et dans 200 magasins – jardineries et enseignes spécialisées dans le bricolage. Pour le moment. Car la start-up affiche l’ambition de s’étendre encore davantage. Elle a pour cela signé un partenariat avec Evergreen Garden Care, qui détient notamment la marque Fertiligène, pour accélérer la distribution de ses produits au niveau national. Le déploiement est prévu pour cette fin 2024.

Capillum ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Notre pôle R&D va sortir des innovations extraordinaires à la fin de l’année », glisse Clément Baldellou. À savoir « d’autres produits fabriqués à partir de cheveux, dans l’univers du végétal », ajoute-t-il, gardant le mystère.

Appel aux coiffeurs volontaires

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Pour Nathalie Chappat recycler les cheveux « s’inscrit dans une volonté de faire mieux » © AP

En parallèle du volet innovation, la start-up travaille à élargir son réseau de coiffeurs partenaires. Actuellement, grâce aux 5 000 salons déjà adhérents, 10 tonnes de cheveux sont collectées chaque mois, soit 120 à l’année. Puisque 4 000 seraient jetées par an, la marge de progression est large.

Pour inciter les coiffeurs à étoffer ses troupes, Capillum leur « offre une solution de service qui ne change pas leur quotidien et dont ils ressortent gagnants », assure le chef d’entreprise. Elle leur fournit pour cela le matériel nécessaire au stockage des cheveux coupés et à la communication auprès des clients. Concernant la collecte, deux formules sont proposées. Soit le coiffeur dépose les bacs remplis en point relais, soit un livreur passe directement à son salon. Le coût entre les deux varie de 70 à 180 euros par an. Un prix loin d’être un frein aux yeux de Nathalie Chappat, qui a opté pour la seconde option. « C’est largement supportable et tellement pratique de ne pas avoir à s’en occuper », souligne-t-elle.

D’après la start-up, les déchets capillaires représentent 60% des déchets totaux des salons de coiffure. Les recycler réduit donc considérablement le volume de leurs poubelles. « C’est important de participer s’ils peuvent avoir une utilité. Ça s’inscrit de toute façon dans notre volonté de faire mieux, dans la mesure du possible », ajoute la franchisée qui a par ailleurs généralisé le tri des emballages et installé des réducteurs d’eau dans son établissement. Pour Clément Baldellou, au-delà des enjeux environnementaux, se lancer dans une telle démarche est bénéfique commercialement parlant. « Les consommateurs sont déjà attentifs au fait que leur coiffeur soit engagé. Et plus le temps va passer, plus cela va s’imposer comme un critère de sélection », estime-t-il.

♦ Lire aussi l’article « Couper ses cheveux pour la bonne cause »

De la place pour tous

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Capillum a pour ambition de dupliquer son modèle à l’étranger pour valoriser un maximum de cheveux © AP

Outre Capillum, l’association Les Coiffeurs Justes fait aussi des cheveux sa matière première. Elle les collecte pour concevoir des boudins servant à dépolluer les eaux chargées en hydrocarbures, les cheveux ayant la faculté d’absorber jusqu’à huit fois leur poids. L’association SolidHair les récupère également pour les vendre à des perruquiers dans le théâtre et le cinéma. L’argent généré est redistribué aux personnes en difficultés financières atteintes d’un cancer et de pelade universelle, afin qu’elles puissent s’offrir une prothèse de qualité. Dans ce cas précis, les conditions de collecte sont strictes : au moins 25 centimètres de longueur de cheveux naturels (notre reportage à retrouver ici). « Nous ne sommes pas en concurrence les uns avec les autres. Le cheveu est une matière tellement abondante que ce n’est pas gênant d’être nombreux », juge Clément Baldellou.

L’entrepreneur mûrit l’ambition, à moyen terme, de dupliquer son modèle à l’étranger pour valoriser un maximum de cheveux qui constitue, à ses yeux, « la fibre de demain ». « C’est un des seuls déchets qui a des propriétés extraordinaires, est inépuisable et existe partout dans le monde », appuie-t-il. Ce serait dommage de s’en priver. ♦

Bonus

# Où trouver un coiffeur partenaire ? Capillum les recense sur une carte interactive mise à disposition sur son site internet. Une liste à retrouver ici.

# Les particuliers à contribution – Afin d’entrer dans la démarche, Clément Baldellou invite tous les clients sensibles à cette démarche à parler de Capillum à leur coiffeur. « En en parlant, et en choisissant un coiffeur partenaire, vous aurez vous-mêmes fait un geste », lance-t-il. Un millier de particuliers ont envoyé leurs mèches de cheveux coupés à la société, pour apporter leur pierre à l’édifice.

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