Solidarité
Locations solidaires pour loger des sans-papiers
À Mulhouse, l’association Cent pour un hébergement lutte depuis 2012 pour loger les personnes sans-papiers – on en compte environ 400 000 en France, exclues des dispositifs d’aide publique. Grâce aux dons et à un réseau de solidarité, elle offre un toit à des familles en détresse. Une mission essentielle, mais de plus en plus difficile à mener face à la hausse des loyers et à la méfiance croissante des propriétaires.
Orgen Rexhepi a 20 ans. Arrivé en France avec sa famille en 2015, il a entamé une demande d’asile dans la foulée et a pu être hébergé pendant la durée de la procédure. Mais à la fin de l’année suivante, le jeune Albanais et ses parents se sont retrouvés sans logement. « Mes professeurs d’école m’ont alors parlé de Cent pour un hébergement, confie-t-il. Ça m’a vraiment beaucoup aidé parce que je n’avais ni ressources financières, ni le réseau pour trouver un logement. L’asso a réussi à nous en trouver un début 2017. »
Ainsi, Orgen Rexhepi a pu sortir de sa situation précaire. « En plus d’un toit, d’un accompagnement dans les démarches administratives, ça m’a offert une certaine stabilité. » Résultat ? Des papiers français et un appartement pour Orgen et sa famille. « Une situation bien plus sereine », souffle-t-il. Toute la famille bénéficie, aujourd’hui encore, du soutien de l’antenne mulhousienne de Cent pour un hébergement.
Sans papiers, pas d’aide financière pour se loger

Sentiment d’impuissance, besoin d’aider, culpabilité de ne pas pouvoir régler « toute la misère du monde »… « On en avait marre de voir qu’il y avait tant de gens sans papiers et sans hébergement, donc on s’est demandé ce qu’on pouvait faire », entame Béatrice Wieser, membre du Conseil d’administration de Cent pour un hébergement. Avec une dizaine d’autres bénévoles déjà engagés dans l’aide aux migrants, elle décide d’agir en 2012. Tous connaissent l’initiative Cent pour un hébergement, mise en place par l’Emmaüs de Tours, et qui trouve des hébergements aux Sans-papiers. Ils en reprennent l’idée et ouvrent leur antenne alsacienne.
« Dans un premier temps, on a pu héberger une dizaine de familles dans un couvent vide qui nous a été prêté pour l’hiver. Mais à la fin du mois d’avril, il a été vendu. On n’allait pas remettre les gens à la rue ! », s’indigne la bénévole. Les membres de l’association cherchent alors des logements en location dans l’agglomération de Mulhouse et se portent garants pour ces familles non régularisées. « On loue à des particuliers et on paie la totalité du loyer parce que, sans papiers, ils n’ont pas accès aux aides au logement », présente-t-elle, très investie.
♦ (re)lire : Contre le mal logement, les chtites maisons solidaires
« S’il nous reste de l’argent, on ouvre les aides à d’autres familles »

En 2021, l’association, qui aide toujours plus de sans-papiers, se retrouve avec 31 familles complètement à charge. « C’était énorme, commente Béatrice Wieser. Surtout qu’avec le Covid, les finances ont commencé à diminuer. Ça risquait de capoter et on ne voulait pas prendre des engagements qu’on ne pourrait pas assumer auprès des familles. Ça les mettrait dans le pétrin, elles aussi. » Or, même si certaines familles finissaient par être régularisées et à toucher des aides au logement, le besoin restait grand pour d’autres arrivants.
La solution ? Des aides partielles au loyer, mises en place dès 2022. « Tout en accompagnant complètement trois ou quatre familles, on en soutient aussi de nouvelles à hauteur de 200 ou 300 euros par mois, pour des loyers de 400 ou 500 euros. Et sur une durée de six mois. »
À ces aides s’ajoutent, une fois par an, des coups de pouce ponctuels « s’il nous reste de l’argent dans la caisse. » Une centaine d’euros pour le loyer, une facture EDF ou de l’électroménager, de quoi soulager temporairement.
Des soutiens financiers restreints

En 2024, ce sont à peu près 177 000 euros qui ont été dépensés par l’association dans des logements pour les sans-papiers arrivant à Mulhouse. L’association ne touche pas d’aide financière de la Région, du Département ou de la ville de Mulhouse. Logique, selon Béatrice Wieser, d’autant qu’elle aide des personnes sous obligation de quitter le territoire (OQTF). « On se fait un peu discrets », concède-t-elle. Les fonds proviennent donc d’Emmaüs Cernay (commune voisine de Mulhouse), partenaire qui leur verse 1 000 euros par mois. Et, plus largement, des dons des citoyens qui fluctuent entre un et des centaines d’euros.
Outre le logement, Cent pour un hébergement est membre du collectif Urgence Welcome Mulhouse et participe à diverses actions collectives. C’est, avec une dizaine d’autres associations locales (comme l’AADA et la Pastorale des Migrants), une Pause solidaire chaque samedi matin pendant la trêve hivernale. Ou une opération à la rentrée des classes, « pour équiper les enfants dans le besoin en fournitures scolaires. » Et un forum, une fois par an, pour discuter précarité et solidarité. Le prochain, en avril, portera sur les extrêmes en France : « Comment les comprendre, faire face et vivre avec ces idées et leurs porteurs ? », liste la bénévole.
♦ Lire aussi : Sortir de la rue les migrantes exploitées sexuellement
Le loyer augmente, la méfiance des propriétaires aussi

Depuis quelques années cependant, les loyers augmentent et il devient donc de plus en plus difficile de trouver des logements, même dans l’agglomération élargie. « Les coûts s’accentuent, les propriétaires sont de plus en plus méfiants. Au départ, on n’avait aucun problème de la sorte, se désole Béatrice Wieser. Certains propriétaires très conciliants nous proposaient même des logements. Savoir que c’est l’association qui paie chaque mois leur offre pourtant une certaine sécurité ! »
L’enjeu actuel est de continuer à trouver des finances comme des donateurs, et de « discerner qui en a besoin. Une question délicate, car l’affect entre en jeu…, souligne Béatrice Wieser. On se sent bien sûr incapables de mettre quelqu’un dehors et de stopper nos aides d’un coup ! » ♦