Santé
L’écoute et l’entraide pour prévenir les suicides
Le Centre régional de prévention du suicide a ouvert ses portes il y a tout juste un an à Marseille. Regroupant les équipes de trois dispositifs ayant déjà fait leurs preuves, il a vocation à réduire le nombre de passage à l’acte. En écoutant les personnes et, surtout, en leur montrant qu’aide et espoir existent.
Le 25 janvier 2023, le Centre régional de prévention du suicide de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (CRPS Paca) a reçu ses premiers appels téléphoniques. Au bout du fil, des personnes en détresse, voire des proches et des soignants démunis. Car c’est bien à ces trois types de profils que la structure s’adresse. Avec un objectif clair et revendiqué : réduire le nombre de suicides et tentatives de suicide sur le territoire (lire bonus).
Il regroupe pour cela trois dispositifs de prévention du suicide et de la récidive suicidaire. « Ce qui marche le mieux, c’est de mettre en place des approches multiples qui ont chacune une cible et une modalité d’intervention différentes », explique Jean-Marc Henry, avec la triple casquette de coordinateur de cette structure, psychiatre au sein de l’AP-HM* et chef de service des urgences psychiatriques de l’hôpital de la Timone à Marseille.

Numéro national, écoute régionale
Parmi ces outils, la ligne d’écoute 3114. Aussi connue comme le numéro national de prévention du suicide, elle est en fonctionnement depuis le 1er octobre 2021. « L’État l’a déployée au sortir du Covid pour que la souffrance psychique puisse s’exprimer. Et, surtout, que les personnes soient orientées, en fonction de leurs besoins, vers des soins ou organismes pouvant les aider », rembobine Jean-Marc Henry. Outre Marseille, seize autres villes disposent de leur centre d’appels connecté au 3114. « C’est plus pertinent d’avoir des antennes régionales qu’une unique plateforme nationale. Cela permet une meilleure connaissance des spécificités de chaque territoire et, ainsi, de bien aiguiller les personnes », indique Karine Amerigo, cadre de santé infirmier au CRPS Paca.
N’importe qui peut composer gratuitement ces quatre chiffres, sept jours sur sept et 24 heures sur 24. L’appel est automatiquement dirigé vers le centre le plus proche. Si aucun répondant – nom donné aux salariés de ce dispositif – n’a décroché au bout de deux minutes, il est alors basculé vers un centre voisin. « Quand vous appelez de Marseille, deux fois sur trois vous tombez chez nous », assure le coordinateur. Le taux d’appel décroché atteint ainsi les 90% au CRPS Paca. Pour comparaison, il est de 18% chez SOS Amitié, association qui assure une permanence téléphonique reposant sur le bénévolat.
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Le suivi, clé contre la récidive
Les deux autres dispositifs incorporés au CRPS Paca, VigilanS et Asma, ciblent quant à eux la récidive suicidaire. Le premier a été expérimenté dans six territoires français à partir de 2015 avant d’être élargi à presque tout le pays – il couvre aujourd’hui 99 des 101 départements. Le second est une spécificité régionale : cette association marseillaise lutte depuis 2002 contre la récidive auprès des enfants et adolescents.
Concrètement, leur numéro est donné aux personnes ayant fait une tentative de suicide par l’hôpital les ayant pris en charge. Surtout, les équipes récupèrent elles aussi leurs coordonnées pour les recontacter à leur sortie, par téléphone ou via l’envoi de cartes postales. « Cette stratégie existe depuis les années 1970 et a montré qu’elle est en mesure de diminuer la récidive », expose Jean-Marc Henry (bonus). Chiffres à l’appui : pour VigilanS, une étude sortie en septembre dernier et menée par Santé publique France fait état d’une diminution de 38% du risque de réitération suicidaire (passage aux urgences ou hospitalisation pour tentative de suicide ou décès par suicide) dans les 12 mois suivant la tentative de suicide. Du côté d’Asma, l’association indique que le taux de récidive dépassait les 20% avant son déploiement, contre une variation de 5% à 15% selon les années depuis sa mise en œuvre.
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Conseil et empathie au bout du fil
Si Asma dispose de ses propres employés, les répondants de VilgilanS et du 3114 ont pour point commun d’être des professionnels du soin, infirmiers ou psychologues. En l’occurrence, au CRPS Paca, les sept salariés à ce poste sont tous infirmiers. Ils disposent d’une expérience passée dans un service d’urgences psychiatriques, mais ont néanmoins suivi une formation spéciale avant d’intégrer le CRPS. Si bien qu’ils savent comment aborder et répondre aux crises. « Être au téléphone est forcément différent qu’être face à la personne. On doit gérer la situation en se basant sur ce qu’elle dit, sans voir ses expressions corporelles. Il faut donc également être très attentif à ce que l’on entend autour », précise Cynthia. Chacun des salariés a tout de même suivi une formation spéciale avant d’intégrer le CRPS.
Les appels durent en moyenne trente minutes. Il n’y a cependant pas de règle, l’important étant d’apaiser la détresse. « On peut proposer aux personnes de les rappeler selon les cas, pour leur donner le nom d’un médecin ou s’assurer qu’elles ont entamé la démarche dont on a parlé ensemble. C’est souvent bien vécu et elles sont toujours touchées quand on le fait », ajoute Claire. Un geste loin d’être anodin : pour une personne suicidaire, savoir que quelqu’un s’inquiète pour elle peut briser le cercle vicieux de la douleur et de l’isolement. Et lui faire prendre conscience que, derrière l’aveuglement provoqué par la crise, des solutions existent. Il ne faut donc pas hésiter à composer le 3114 sur son téléphone pour se faire aider et les trouver. ♦
* L’AP-HM est le parrain de la rubrique « santé » de Marcelle. Cet article n’est toutefois pas une commande puisque ce rôle ne donne ni droit de regard, ni ingérence dans le choix des sujets et la ligne éditoriale de notre média. Plus d’informations en cliquant ici.
Bonus
- Le taux de décès par suicide ne cesse de baisser en France – Il a chuté de près de 33,5% entre 2000 et 2016. Malgré ce recul, il est encore nettement supérieur à la moyenne de celui de l’Union européenne (13,07 pour 100 000 habitants contre 10,15 en 2019, selon l’Observatoire du suicide). Près de 10 000 décès par suicide sont recensés chaque année en France. Soit trois fois plus que les accidents de la route, d’après le ministère de la Santé. Plus de chiffres sont à retrouver sur le site du 3114.
- Jérôme Arthur Motto, pionnier de la stratégie de recontact – Ce psychiatre américain a eu l’idée de mettre en place une veille pour limiter les risques de récidive après une tentative de suicide. Il a ainsi imaginé un système simple : des courriers personnalisés, manuscrits, concis et bienveillants pour s’enquérir de l’état des personnes et leur montrer que quelqu’un pense à elles. L’envoi des lettres était périodique (huit la première année suivant la tentative de suicide, puis quatre par an pendant quatre ans). D’autres initiatives ont par la suite vu le jour, qui ont notamment inspiré le dispositif VigilanS.
- Prendre aussi soin des répondants – L’équipe encadrante du CRPS Paca veille à ce que le poids de leur travail n’impacte pas psychologiquement les répondants. « On débriefe quotidiennement des situations rencontrées la veille, des psychologues font des analyses de pratique deux fois par mois pour leur permettre de se décharger. On les amène aussi sur le terrain pour qu’ils partagent leur expérience avec d’autres organismes. C’est important de varier les activités et de les faire sortir du casque de téléphone », souligne Karine Amerigo.