Société
Christine Baille, Madame le tailleur pour homme
L’Héraultaise Christine Baille exerce un métier de passion et de qualité qui se perd. Spécialiste des uniformes militaires et administratifs pour la gendarmerie nationale, les sapeurs-pompiers ou encore le service de santé des armées, elle prend à cœur son ouvrage, comme le respect des matières durables et des tissus français et européens. Rencontre.
Si Albert Camus n’avait pas croisé la route de l’instituteur Louis Germain, il ne serait sans doute pas devenu l’homme de lettres connu de tous. Si Christine Baille n’avait pas rencontré Michèle Tabuis, professeure au lycée professionnel Le Grand Arc à Albertville, en Savoie, elle n’aurait certainement pas embrassé le métier qu’elle occupe encore aujourd’hui : celui de tailleur sur mesure pour homme.
Christine a alors 16 ans et cherche quelle activité professionnelle exercer quand elle tombe pour la première fois sur l’enseignante. « Elle était très gentille et pédagogue. J’étais aux anges en sortant de la visite de l’établissement où elle officiait. Si bien que j’ai voulu y poursuivre ma scolarité alors que je ne savais même pas coudre un bouton », se souvient-elle. Toujours est-il que cela fait vingt-cinq ans que cette Savoyarde d’origine, Héraultaise d’adoption, pratique sa profession, au savoir-faire minutieux qui se perd. <!–more–>
Le plus gros des troupes de tailleurs sur mesure concentré à Paris
Dans les années 50, dix mille tailleurs peuplaient le territoire tricolore. La Fédération nationale des Maîtres-Tailleurs de France recense aujourd’hui moins de 150 ateliers, principalement installés dans les grandes villes dont une concentration à Paris. Les indépendants, comme Christine Baille, se comptent sur les doigts des deux mains. La transmission du métier s’est peu faite. « C’est un sacré investissement et cela requiert beaucoup d’abnégation. Trouver des stages est assez difficile. Après l’école, faute de mieux, je suis allée chercher dans les livres anciens comment se réalisaient certaines retouches. En tâtonnant, je me suis formée moi-même », confie Christine.

Les tailleurs d’uniformes militaires sont encore plus rares au bataillon de la couture sur mesure. En général, ces derniers officient sur une base militaire, rachètent une charge. Christine a préféré le civil et tient bon malgré les aléas des commandes, le temps et la patience nécessaires pour assembler à la main les vêtements emblématiques de la garde-robe masculine et du vestiaire militaire.
Elle a eu le choix entre plusieurs options dans la couture lors de ses études mais elle voulu être formée au métier de tailleur pour bénéficier de l’encadrement de la professeure dont la passion l’a motivée. Ce qu’elle n’a jamais regretté. « Tout me plaisait : autant les cours généraux que les enseignements professionnels. J’apprenais vite avec une aiguille entre les mains. J’avais des facilités ». Elle passe ses CAP et BEP sans encombre. À 19 ans, le bac professionnel en poche obtenu avec la mention Bien, elle migre à Lyon où les débouchés sont plus nombreux.
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De la modification de vareuse à la confection d’un gilet d’arme
La jeune diplômée est embauchée dans une entreprise de retouches haut de gamme. « J’y ai beaucoup appris ». Trois ans après, elle est engagée dans une société de confection sur mesure qui travaille avec l’armée. Elle commence comme retoucheuse puis devient responsable de magasin. La clientèle se compose d’écoles militaires, de gendarmeries, de fanfares, de la marine marchande… « On les habillait de pied en cap ». De quoi parfaire sa spécialisation des uniformes sur mesure.
Dix ans et un licenciement économique plus tard, Christine Baille s’installe à son compte dans une boutique au cœur du quartier pittoresque des Pentes de la Croix Rousse à Lyon. Pour finir par atterrir dans l’arrière-pays héraultais où résident ses parents. « C’était difficile de joindre le deux bouts en commerce. J’ai décidé de ne plus travailler que via mon site internet vitrine et marchand. J’ai gardé ma clientèle locale de Lyon et en ai gagné une nouvelle plus diversifiée et nationale ».
Même si Christine peut travailler le sur mesure pour femme, elle œuvre principalement pour les messieurs. « Je fais un peu de tailleurs et d’accessoires féminins selon la demande. Les femmes ont plus de choix en prêt-à-porter en boutique. Mon métier est dévolu à 80% au sur mesure homme ». Et principalement pour les corps de métiers de l’armée. Cela va du militaire qui souhaite un gilet d’arme à la modification de médaille, en passant par le (re)galonnage ou la modification de vareuse pour les motocyclistes de gendarmerie.
Plusieurs heures ou semaines pour fabriquer certaines pièces
Chaque arme a ses règles et ses tenues vestimentaires propres. La gendarmerie diffère, par exemple, de la Marine nationale bien qu’un gilet d’arme sera toujours confectionné sur la même base. « Les formes d’uniformes ne sont pas similaires ainsi que les couleurs des tissus. À force d’expérience, j’ai constitué une quinzaine de références d’armes différentes que je peux habiller », témoigne l’artisane.

Le métier est pointu comme tout travail sur mesure. Chaque étape est longue et précise. Plusieurs heures, voire semaines, sont nécessaires pour fabriquer un costume ou un tailleur. Certaines pièces sont plus complexes à réaliser. Et tout doit être impeccable, des coutures à la coupe. « Je tiens à ce que mes uniformes soient portés le plus longtemps possible », commente Christine. Ainsi, elle insère beaucoup de valeurs de couture (marge ajoutée au patron qui permet d’assembler le vêtement sans perdre les dimensions et les proportions – NDLR) sur ses pièces. Ce qui s’est perdu dans le prêt-à-porter-industriel, « alors qu’on peut alors aisément les retoucher quand le client prend ou perd du poids ».
Christine a l’œil. Le sens du détail. Et l’expérience en sus. « Je suis capable en voyant la morphologie en visio de la personne qui me contacte, de comprendre comment procéder ». Une épaule plus haute que l’autre ne lui échappe pas. Peu de pièces lui sont renvoyées parce qu’elles n’étaient pas à la taille adéquate. « Je touche du bois mais cela n’est arrivé que deux ou trois fois ». Pour les carrures bien précises, Christine exécute une toile de coton blanc qui représente le vêtement terminé mais sans entoilage. « Je l’envoie au client pour l’essayage et je peux alors voir en visio quelles retouches sont nécessaires ».
Des fournisseurs essentiellement français et des tissus de qualité supérieure
Beaucoup d’uniformes sont confectionnés à l’étranger. La qualité laisse souvent à désirer et, surtout, il peut arriver qu’un évènement officiel exige que la tenue soit prête dans l’urgence. « C’est pour cela que les militaires ont besoin de quelqu’un sous la main qui soit capable de regalonner une veste, une vareuse, de faire des coussins de médaille, des gilets d’arme », témoigne Christine. Ses fournisseurs sont essentiellement français. Les tissus également, ainsi qu’italiens ou anglais. « On trouve de belles matières à Lyon, à Roubaix… ».
Certaines pièces ne sont pas comprises dans le package fournit par l’armée à ses hommes. C’est le cas du gilet d’arme. D’où la demande importante de confection. « L’uniforme est capital. Il présente l’arme et ça représente ceux qui y sont engagés. Autant qu’il soit beau et qu’il tombe bien ». Les uniformes fabriqués, de nos jours, ne le sont pas au cas par cas. Ou très rarement. De ce fait, ce n’est pas toujours saillant. Christine doit souvent retoucher la largeur des cuisses, une vareuse qui ne tombe pas bien…
Certains de ses clients, à la carrière avancée, ont été habitués à de beaux uniformes. Les nouveaux habits réglementaires, plus industriels, ne sont pas toujours à leur goût. « Il est arrivé qu’on me ramène une vieille vareuse d’école, qui plaisait, pour que je l’élargisse et la remettre d’actualité ». ♦