Économie
De bonnes idées qui tournent court #6 : les cosmétiques naturels Clever Beauty
[Série] Une croissance dans le vert et des ventes au rendez-vous. En juin dernier pourtant, Clever Beauty, marque aixoise de maquillage naturel et anti-gaspi, a mis la clé sous la porte. Preuve, s’il en fallait, que l’entrepreneuriat n’est pas un long fleuve tranquille. Maëva Bentitallah, sa fondatrice, revient sur cette aventure à la fin prématurée.
Des produits de maquillage aux formules naturelles, fabriqués de façon responsable et dans des packaging éco-conçus : tel a toujours été l’ADN de Clever Beauty. Un créneau sur lequel surfent nombre de marques aujourd’hui, mais encore une niche lorsque Maëva Bentitallah a lancé sa start-up en fin d’année 2017, à Aix-en-Provence. Elle débarque alors sur le marché de la beauté avec son idée de vernis à ongles écolo – sans benzophénone notamment, suspecté d’être un perturbateur endocrinien – et doté d’un bouchon anti-gaspi (lire bonus). Une première gamme qui trouve rapidement son public, en témoigne le succès de la campagne de financement participatif qui permet d’amorcer la production.
« Suite aux vernis, nos clientes nous ont demandé un dissolvant. On a été les premiers à en avoir créé un, conditionné dans un flacon en verre consigné. Puis on a sorti notre gamme « Les amochés », destinée à donner une seconde vie aux rebuts de production. On a aussi été avant-gardiste là-dessus », glisse la chimiste de formation devenue cheffe d’entreprise. Les nouveautés se succèdent au fil des ans, parmi lesquelles un mascara, des rouges à lèvres ou encore des crayons pour les yeux, rapidement devenus des best-sellers. Un fort succès qui a paradoxalement contribué à faire plus de mal que de bien à la marque.
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Mourir de croissance

Entre 2023 et 2024, Clever Beauty enregistre une croissance de 26% avant d’atteindre les 30% sur les douze mois suivants. C’est sur internet que les ventes explosent particulièrement. Elles sont telles que les stocks se révèlent insuffisants pour répondre à la demande, notamment pour les crayons pour les yeux, la faute à une trésorerie faible depuis la pandémie de Covid-19. Maëva Bentitallah a bien rapidement sollicité ses fournisseurs pour les renflouer, creusant au passage un peu plus les finances. Nouveau handicap : un délai de production long d’un an.
En attendant le retour des produits chouchous, les retards de paiement s’accumulent. Sans solutions pour les affronter. « On n’avait plus le droit de contracter un prêt, car j’avais lancé l’entreprise avec des fonds propres négatifs. Le seul moyen de remonter la pente aurait été d’initier une troisième levée de fonds, mais je ne me voyais pas faire entrer des personnes dans ma barque alors qu’elle était en train de couler », explique l’entrepreneuse. La cessation de paiement est actée à l’aube de l’été 2025, malgré des commandes au rendez-vous et des clientes fidèles.
Vague d’amour

Au choc de la réalité succède une procédure ultra rapide. À peine trois semaines plus tard, Clever Beauty ferme ses portes, après une mise en liquidation judiciaire (bonus). « C’est une période qui a été très dure, reconnaît Maëva Bentitallah. Au début je ne pouvais pas en parler sans être émotive. Cette entreprise, c’est huit ans sur le papier et dix de ma vie », rappelle-t-elle.
Bien que l’émoi soit encore palpable aujourd’hui, la pétillante trentenaire a retrouvé le sourire. Notamment lorsqu’elle repense au dernier jour de vente où le chiffre d’affaires a atteint des records : +1 800%. « Je n’ai rien gagné là-dessus car l’entreprise ne m’appartenait plus le lendemain. J’ai mis les stocks en vente pour que les clientes puissent en profiter une dernière fois. Ça a été génial de voir tout cet engouement », se souvient-elle.
La cheffe d’entreprise a reçu en parallèle de nombreux messages de soutien. Une « vague d’amour » comme elle aime à dire. « Voir qu’on a réussi à créer quelque chose, à toucher les gens, ça me bouleverse encore », confie-t-elle. Et lui a donné la force de se remettre en selle rapidement. Désormais à la tête d’une microentreprise, elle conseille et accompagne plusieurs marques, notamment sur leur stratégie digitale.
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Que vive Clever Beauty !

Clever Beauty n’est peut-être pas totalement enterrée. Suite à la liquidation judiciaire, l’entreprise a été mise en vente et une offre de rachat au moins a été officiellement déposée. Si elle est validée, les nouveaux propriétaires pourraient relancer la marque… ou non. « Ils pourront faire ce qu’ils veulent, indique Maëva Bentitallah, j’espère en tout cas qu’elle aura une seconde vie dans la continuité de la première. Je les accompagnerai avec plaisir s’ils le souhaitent ! », lance-t-elle en guise de bouteille à la mer.
Sans doute éprouvera-t-elle un petit pincement au cœur de voir « son bébé » continuer d’exister sans elle… Cependant, l’Aixoise ne nourrit aucun regret. « J’aurais sûrement pu faire mieux, différemment. Quand on a la tête dans le guidon on ne voit pas toujours toutes les options. Mais peut-être que le résultat aurait été identique », relève-t-elle. Avant de résumer : « Ça été une très belle aventure et un apprentissage énorme que je n’aurais jamais connus en étant salariée quelque part ». Elle ne ferme d’ailleurs pas totalement la porte à un prochain projet entrepreneurial. « Pour le moment, j’aime aider les autres et les voir briller », conclut-elle. ♦
Bonus
# Au-delà du naturel, l’innovation comme moteur – Les produits Clever Beauty se sont distingués par les touches d’innovation imaginées par Maëva Bentitallah. Ce, dès les tous premiers vernis. Ces derniers étaient dotés d’un bouchon avec un bouton sur le dessus, permettant au pinceau d’atteindre le fond du pot. Fini ainsi le gaspillage de produit, chiffré par la marque à quelque 210 tonnes chaque année en France. Autre exemple avec la gamme de rouges à lèvres, sortie en 2023. Trois ans de travail ont permis à l’équipe d’obtenir une formule mêlant hydratation et longue tenue, deux caractéristiques rarement associées dans ce type de produit, selon l’entrepreneuse.
# Une liquidation plutôt qu’un redressement judiciaire – Lorsque Clever Beauty s’est retrouvé en situation de cessation de paiement, sa fondatrice aurait pu pencher pour un redressement judiciaire. Cette procédure a pour objectif la poursuite de l’activité de l’entreprise via l’adoption d’un plan de redressement destiné à rembourser les dettes. La liquidation, elle, entraîne généralement l’arrêt immédiat et définitif de l’activité. Une solution que Maëva Bentitallah a préférée car aucun plan de redressement n’était pas viable à ses yeux. Elle aurait notamment dû se séparer de son unique employée et bras droit, Marianne Perignac. « Cette aventure se vivait à deux, je ne me voyais pas poursuivre seule », confie-t-elle.