Solidarité

Par Agathe Perrier, le 11 mars 2024

Journaliste

Des transports gratuits pour l’humanitaire

Depuis le lancement de cette initiative en 2012, plus de 4 500 conteneurs humanitaires (ici pour Action Contre la Faim) ont permis d’acheminer 38 000 tonnes de matériel dans 82 pays © Fondation CMA CGM, DR
La logistique constitue souvent un casse-tête et un budget pour de nombreuses associations et ONG. Plusieurs d’entre elles bénéficient cependant d’un transport gratuit de matériel pour assurer leurs missions humanitaires. Un service que leur propose depuis plus de dix ans la Fondation CMA CGM, via son programme « Conteneurs d’Espoir ». Et sans contrepartie. Environ cinq conteneurs sont ainsi acheminés chaque jour à destination de pays en difficulté.

Chaque année, sur les millions de conteneurs qui traversent les mers par navire (lire bonus), certains sont chargés de biens de première nécessité destinés à l’action humanitaire. Depuis 2012, la Fondation CMA CGM propose en effet à des associations et ONG de convoyer une partie du matériel essentiel à leurs missions dans les pays en difficulté. Et ce gratuitement, en assumant le coût financier et en déléguant la logistique à son entreprise mère, numéro un français et trois mondial du transport maritime de conteneurs. L’opérer à leur place « permet de les décharger de cette tâche et d’économiser des ressources pour les allouer à d’autres opérations : acheter plus de nourriture pour soigner plus d’enfants, mobiliser plus de médecins pour traiter plus de patients… », résume Marion Dupuy, responsable de cette structure fondée en 2005.

Quand l’aide humanitaire s’achemine gratuitement 4
Seule condition pour les associations : remplir les conteneurs avec des biens de première nécessité © Pixabay

Sur-mesure


Près d’une dizaine d’associations ont à ce jour signé un partenariat pour bénéficier de ce programme baptisé « Conteneurs d’espoir ». Dans la pratique, chacune s’accorde avec la fondation sur un nombre de conteneurs à mobiliser d’une année sur l’autre. Puis, à l’instar de n’importe quel client payant sa prestation, elle réserve un routage en choisissant la date ainsi que les ports de départ et d’arrivée. Les conteneurs sont spécialement affrétés pour l’ONG demandeuse – il n’y a pas de mutualisation. C’est toutefois cette dernière qui s’occupe du préacheminement, à savoir le transport du matériel jusqu’au port. Idem à l’arrivée, du port jusqu’au lieu de la mission humanitaire.

« Outre la réduction des coûts, ce partenariat nous apporte des avantages qualitatifs qu’on ne peut pas quantifier. On a développé une relation de confiance, une connaissance mutuelle importante, on est traité comme un compte premium », expose Victoire Baillot, responsable des partenariats entreprises chez Médecins Sans Frontières (MSF), l’une des premières associations à avoir adhéré au programme. Un avis partagé du côté de la Croix-Rouge. « La fondation sert d’intermédiaire avec la compagnie CMA CGM et facilite la mise à disposition des conteneurs et la réservation de la place sur un navire. Cela nous permet de concentrer nos moyens sur d’autres enjeux que la logistique ».

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Les associations se chargent du pré et du post-acheminement du matériel © Fondation CMA CGM, DR

Un transport crucial

Les associations sont libres de remplir les conteneurs avec ce que bon leur semble, à condition qu’il s’agisse de biens de première nécessité. « Pour notre association, ce sont notamment des sachets de nourriture thérapeutique, qui servent à traiter les enfants malades de sous-nutrition. 95% de nos besoins de transport pour ces aliments sont couverts par ce programme. Il est donc crucial pour nous », indique Marie-Laure Oger, responsable des partenariats entreprises pour Action contre la faim, une des premières structures adhérentes là encore. Denrées alimentaires et nutritionnelles, matériel médical et médicaments, équipements d’assainissement et d’hygiène, sont globalement les familles de produits les plus envoyées via Conteneurs d’Espoir, toutes associations confondues.

La Fondation CMA CGM ne communique pas sur les coûts financiers que l’opération représente annuellement, mais délivre néanmoins quelques chiffres. Plus de 4 500 conteneurs humanitaires (équivalent vingt pieds) ont permis d’acheminer 38 000 tonnes de matériel dans 82 pays. Dont un tiers pour la seule année 2023, ce qui témoigne de son développement et, malheureusement, de l’augmentation des besoins des ONG. « Presque cinq conteneurs ont chaque jour pris la mer pour le compte de nos partenaires l’année dernière », appuie Marion Dupuy. À titre d’exemple, 200 ont été affrétés pour MSF. Ce qui a représenté près de 40% du total des conteneurs destinés à ses missions. Action contre la faim devrait en avoir 100 dédiés en 2024.

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La Fondation CMA CGM peut également mettre à disposition du transport par la route ou les airs © Fondation CMA CGM, DR

Répondre aussi à l’urgence

Reste que le transport par voie maritime est long et parfois incompatible avec une mobilisation rapide de l’aide humanitaire. C’est pourquoi la Fondation CMA CGM peut également mettre à disposition de ses partenaires d’autres moyens d’acheminement. Ainsi, depuis bientôt trois ans, le matériel transite parfois par la route et les airs. « Pour ces opérations exceptionnelles, la priorité est d’agir dans les délais les plus courts, car chaque heure compte. C’est donc très complémentaire d’offrir des alternatives aux associations », explique Marion Dupuy. Une opération a été menée au profit de l’Inde pendant la crise du Covid-19 (premier vol humanitaire réalisé dans ce cadre). Puis pour l’Ukraine, suite à l’invasion de l’armée russe, ainsi que la Turquie après le violent séisme de février 2023.

Pour l’avenir, la fondation entend poursuivre cette diversification tout en privilégiant le trafic par voie maritime. Ce dernier reste plus avantageux d’un point de vue économique et écologique. Concernant la situation en mer Rouge (où la plupart des armateurs – dont CMA CGM – ne font plus naviguer leurs navires en raison des attaques menées par les rebelles Houthis – bonus) les perturbations ont entraîné un rallongement des trajets et donc des coûts, mais sans impact pour les ONG grâce à Conteneurs d’espoir. « Ce partenariat est d’autant plus précieux qu’il nous protège des aléas de la situation géopolitique internationale », souligne la Croix-Rouge. Ce n’est d’ailleurs pas la première crise dans cette région du monde. Chacun reste toutefois vigilant à l’évolution de ce climat de tension, afin que l’aide humanitaire ne s’interrompe pas. ♦

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Médecins Sans Frontières a bénéficié de 200 conteneurs en 2023 via Conteneurs d’espoir © MSF, DR
Bonus
  • En mer Rouge, les tensions géopolitiques perturbent le commerce mondial – Depuis novembre dernier, des rebelles yéménites mènent régulièrement des attaques de navires dans ces eaux situées entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, qui servent d’ordinaire à relier l’Europe et l’Asie. Ils visent les bateaux qu’ils estiment liés à Israël, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, territoire pilonné et assiégé par l’armée israélienne depuis l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

La plupart des armateurs préfèrent donc éviter la zone. Ils contournent l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance au sud du continent, ce qui rallonge d’environ deux semaines les trajets. Si bien que le transport maritime de conteneurs par la mer Rouge a chuté de près de 30% sur un an, selon le Fonds monétaire international (FMI). Avant le conflit, entre 12% et 15% du trafic mondial transitait par cet axe, d’après l’Union européenne.

  • 173 millions de conteneurs ont traversé les mers en 2022 – Selon les chiffres du bureau d’études Container Trade Statistics. Il s’agit de conteneurs « équivalent vingt pieds ». Cette unité de mesure utilisée dans le secteur permet de simplifier les calculs. Elle se base sur le volume d’un conteneur de vingt pieds (6,1 mètres de long). Un pied correspond à un tiers de verge anglaise (yard) et est divisé en douze pouces. Depuis l’accord international de 1959, le pied vaut 0,3048 mètre.
  • La Fondation CMA CGM – Elle est dédiée à l’aide humanitaire et à « l’éducation pour tous ». Elle est présidée depuis 2019 par Tanya Saadé Zeenny, la sœur de Rodolphe Saadé. Ce dernier est le PDG de l’entreprise de transport maritime éponyme. Pour la petite histoire, la CMA CGM est issue de la fusion en 1996 de la Compagnie maritime d’affrètement (CMA), fondée par leur père Jacques Saadé, et de la Compagnie générale maritime (CGM).