Santé
Contre la douleur, l’hypnose en réalité virtuelle
Pour traiter la douleur, l’anxiété ou les troubles du sommeil, la société basque Virtual Therapia, créée en août 2022, a associé les bienfaits naturels de l’hypnose thérapeutique au pouvoir immersif de la réalité virtuelle. Après deux ans d’expérimentation, elle commercialisera dès décembre 2024 son innovation auprès des établissement médicaux et du grand public.
En jupe, baskets et déambulateur, Madame Gomez réside à Haizpean, un Ehpad d’Hendaye. Rien ne laisse présumer que cette femme guillerette et volontaire souffre en permanence. « Des cervicales, de la tête, tout », détaille-t-elle de son fort accent espagnol. Elle endure par ailleurs de troubles anxieux et du sommeil. « Par moment, je suis une pile », confie-t-elle, les mains crispées, à Célia Sauveur, la psychologue de l’établissement. La jeune femme lui propose chaque semaine une séance de Virtual Therapia – thérapie virtuelle. Il s’agit d’un programme personnalisé d’hypnose thérapeutique (bonus) au moyen d’un casque de réalité virtuelle (VR). L’octogénaire attend avec impatience ce moment : « À chaque fois, ça me fait beaucoup de bien ».
L’objectif est d’améliorer le bien-être physique et psychologique des individus en souffrance dans leurs parcours de soins médicaux. Les personnes âgées en Ehpad, les personnes en situation de handicap. Ainsi que les patients hospitalisés ou en cours de rééducation. <!–more–>
‘’L’hypnose induit chez le patient, par la parole, un état de conscience particulier. Il se caractérise par une indifférence à l’extérieur et une capacité fortement accrue à recevoir des suggestions. Cet état de conscience « hypnotique » peut être utilisé pour amplifier, chez le patient, les ressources internes de lutte contre l’anxiété et la douleur et faire disparaître des symptômes’’, in ministère de la Santé
Des films interactifs

L’outil est simple à utiliser car il ne possède pas de manettes. Et le casque facile à mettre en place, avec son système son intégré et son harnais amovible. Il a enfin une bonne tenue, tout en restant léger. « 800 grammes », spécifie Pierre Lapeyrade, l’un des deux cofondateurs, depuis son bureau-showroom avec vue sur la Rhune, au sein du Technopôle Izarbel, à Bidart.
Ce spécialiste de la réalité virtuelle (VR) a coconstruit cette innovation avec deux hypnothérapeutes, dont une rhumatologue. « Nous avons développé dix-huit programmes à ce jour. Et comptons en créer cinq nouveaux par an », explique ce réalisateur et motion designer de formation, qui a lui-même connu l’hypnose enfant, dans le cadre de son diabète. En France, la VR est déjà utilisée dans le milieu médical, pour soigner les phobies ou freiner Alzheimer. La singularité de Virtual Therapia est la visibilité à 360° de films scénarisés et interactifs. Guidé par la voix enregistrée de la thérapeute, le patient interagit avec des éléments familiers, comme des papillons ou des oiseaux, en utilisant ses mains (bonus).
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Des séances d’hypnose démultipliées

L’hypnose prodiguée ainsi est plus accessible pour un public peu coutumier de cette thérapie alternative. En effet, sans la VR, elle nécessite de se placer dans une forte intériorité. « Or, les personnes âgées sont moins enclines à se centrer sur eux, à visualiser, à être dans leur corps, dans l’ici et maintenant. Ils sont souvent dans la douleur et le vieillissement », développe la psychologue de Haizpean, formée à l’hypnose thérapeutique. Elle a découvert Virtual Terapia en intégrant son poste à l’Ehpad en octobre 2024. Avant d’ajuster le casque sur la tête de Madame Gomez, elle lui pose des questions sur son état global. Le bien-être ? « Moyen, je ne suis pas bien du tout ». L’inquiétude ? « Moyen, peut-être que je suis trop sensible, mais j’ai beaucoup souffert. J’ai perdu ma mère à 8 ans, puis mon fils et mon mari. Et tant que je ne meurs pas, je souffrirai ». Le sommeil ? « Je me réveille à quatre heures du matin, je suis plus fatiguée le matin qu’au moment du coucher ». Célia Sauveur la questionne ensuite sur son énergie du moment et ses douleurs.
Un effet antalgique naturel

Cet entretien l’aide à sélectionner l’un des quatre programmes : bien-être, sommeil, anxiété et douleurs chroniques. Elle propose le dernier. Confortablement installée dans sa chambre tapissée de photos familiales, au deuxième étage de l’Ehpad, Madame Gomez est immergée durant vingt minutes dans une forêt traversée par une rivière. Elle voit l’eau couler, entend le clapotis et le chant des oiseaux. La voix lui propose de tendre la main. Se pose alors un magnifique papillon, dont elle sent presque le battement des ailes sur sa paume. La vieille dame exprime alors un profond soupir de bien-être. À l’issue de la séance, la psychologue, qui est restée à ses côtés, lui pose à nouveau les questions sur son état. Elle confie ne plus avoir de douleurs ni d’anxiété. Un bienfait qui perdure encore quelques jours. « C’est comme si j’étais au paradis », souligne cette grand-mère qui aimerait passer à deux séances. Mais la psychologue, qui travaille à mi-temps, ne peut pas proposer plus.
Pour les patientes suivies en oncologie

Virtual Therapia a été soumis à 17 résidents sur les 65 de l’Ehpad. Seuls trois poursuivent le programme. « Les autres n’ont pas eu d’effets ou n’ont pas été intéressés », précise Célia Sauveur. Il a également été expérimenté dans quatre autres établissements, dont la Maison Goxaleku à Saint-Jean-de-Luz auprès de patientes suivies en oncologie. « Elles ont deux casques à disposition, réservables à tout moment grâce à un système en ligne. Elles peuvent l’utiliser en autonomie pour traiter la douleur, l’anxiété et la peur », précise Pierre Lapeyrade. Enfin, l’outil a été testé dans un foyer de vie, à Bidard, pour des personnes en situation de handicap mental. Vertical Therapia fonctionne « globalement sur toutes les personnes, mais particulièrement lorsqu’elles sont dans une démarche active », développe ce trentenaire. Et moins sur celles qui souffrent de troubles cognitifs. « Elles ont du mal, ne serait-ce que pour comprendre. Pour ce public, on a intégré davantage de contenu musical et auditif, et moins de texte ».
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Le frein du médical

Après deux ans d’étude d’usage et plusieurs versions digitales, Pierre Lapeyrade et Nanda Fernandez Brédillard commercialisent le produit à partir de décembre 2024 (bonus). Ils ciblent d’un côté les établissements médicaux – hôpitaux, Ehpad et handicap. Et de l’autre, le grand public : « Toute personne ayant besoin d’un soutien psychologique ou hypnothérapeutique ». Deux des cinq établissements tests ont déjà signé, l’Ehpad Haizpean et La Maison Goxa Leku. « Il y aura aussi très probablement le Centre Hospitalier de la Côte Basque (CHCB) à Bayonne, mais pas encore validé. Cependant, il sera notre partenaire pour nos prochaines études cliniques ». les deux associés se heurtent néanmoins à un frein : le milieu médical. « Il est très verrouillé, malgré une dynamique mondiale pour les thérapies alternatives. Notre programme est complémentaire à leur pratique, mais les professionnels manquent de temps pour l’intégrer dans leur routine », développe celui qui revient d’un déjeuner avec des médecins. La veille, il était à Bilbao pour présenter son innovation à une conférence sur la VR.
♦ Virtual Therapia développe son outil pour le grand public. “Il ne sera plus nécessaire de se déplacer pour voir un thérapeute”, Pierre Lapeyrade.
Le déclic

Nourri par de belles histoires, ce fan de surf et d’aviation garde sa motivation intacte. Il cite Nicolas qui souffre de troubles autistiques. « Lorsqu’il est contrarié, il peut péter les plombs. Dès la première séance, il n’a plus fait de crises pendant les deux semaines qui ont suivi ». Le jeune homme de 27 ans a surfé virtuellement Belharra, la vague mythique du Pays basque (bonus). Mais Pierre Lapeyrade doit vraiment son déclic – la confirmation « qu’il fallait foncer » -, à une autre vieille dame de l’Ehpad d’Hendaye. Elle avait le dos si courbé qu’elle ne voyait plus que ses pieds. « Dès la première séance, elle s’est laissée embarquer par le film. Au bout de dix minutes, elle regardait en l’air. Le personnel soignant, et même elle, n’en revenaient pas. Car elle était arrivée à l’Ehpad deux ans auparavant dans cette position ». Absorbée par Vertical Therapia, elle avait oublié ses douleurs.
Bonus
# Hypnoses, trois courants. Hypnose Eriksonnienne, humaniste et pleine conscience – le patient est dans un état de conscience modifié tout en gardant les yeux ouverts. Virtual Therapia est dans ce dernier courant.
# Des animaux en 3D. Virtual Therapia a filmé des décors naturels dans le Pays basque et le grand sud, dans lesquels ont été intégrés des éléments extérieurs modélisés en 3D par des artistes free-lance. Pierre Lapeyrade tend vers des animaux encore plus réalistes, « où l’on voit les poils, par exemple ». Il effectue la production en interne.
# Le coût ? L’outil (kit et accès intégral en illimité des programmes) coûte 5000 euros pour un abonnement annuel. Le prix n’est pas encore défini pour le grand public, « mais ce sera certainement une location ». Les deux associés sont désormais à la recherche d’investissement pour pousser Virtual Therapia au niveau supérieur d’une commercialisation à grand échelle et étendre son marché à l’international.
# ‘’Vivez Belharra’’ est accessible à la Cité de l’Océan, à Biarritz. À l’origine, le film réalisé par l’autre société de Pierre Lapeyrade, Space in VR, n’était pas thérapeutique, « mais en fait il est vraiment ‘’motivationnel’’. On va d’ailleurs l’intégrer dans les programmes », annonce Pierre Lapeyrade.