Agriculture

Par Agathe Perrier, le 5 juillet 2024

Journaliste

La figue de barbarie, prometteuse face au réchauffement climatique

Jean Walter, maraîcher, et Xuan-Laï Dao d'Agribio13 © Agathe Perrier

Les terres provençales risquent de souffrir de plus en plus de la sécheresse. Le réchauffement climatique rendant en effet de plus en plus difficiles certaines cultures actuelles, à l’image de la vigne ou de l’olivier. Pour que le secteur agricole ne soit pas pris au dépourvu, l’association Agribio 13 teste dès à présent des fruits et plantes peu gourmands en eau, comme le figuier de barbarie mais aussi le fruit du dragon ou la réglisse. 

À l’est de Marseille, Jean Walter s’est lancé dans le maraîchage bio il y près de trois ans. Et, depuis trois mois, aux côtés de ses légumes, il cultive des figuiers de barbarie. Ce petit cactus, importé du Mexique à parti du XVIe siècle, à des fins ornementales, produit des fruits au goût doux et légèrement sucré. Six variétés ont été plantées sur sa parcelle, « sur un espace plutôt très sec, assez sableux, où les légumes poussent mal ». « Lorsqu’il pleut, l’eau s’infiltre rapidement à cet endroit, si bien que les figuiers risquent de ne pas en avoir beaucoup », ajoute le maraîcher. Cela ne devrait pas leur poser problème puisqu’ils en ont peu besoin.

C’est notamment pour cette caractéristique que cette plante a été choisie. Car la ressource en eau va s’amenuiser au fil du temps en Provence, réchauffement climatique oblige, mettant en péril des cultures historiques.

« La vigne est déjà en difficulté : de nombreuses parcelles sont vouées à être arrachées. Et les champs d’oliviers le seront s’ils ne sont plus irrigués à l’avenir, comme c’est le cas depuis toujours », explique Xuan-Laï Dao, ingénieur agronome pour Agribio 13. D’où l’idée de cette association, qui soutient et promeut l’agriculture bio dans les Bouches-du-Rhône, d’expérimenter la culture de fruits exotiques, tel le figuier de barbarie. « Le but est de voir si ça marche et comment. D’emmagasiner de la connaissance pour offrir aux agriculteurs des moyens de se diversifier et de continuer à vivre de leur activité », souligne-t-il.

♦ Lire aussi l’article « Les premiers pistachiers de Provence ont porté leurs fruits »

Des évolutions suivies de près

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Une première fleur est déjà apparue moins de trois mois après la plantation de ce figuier de Barbarie © Agathe Perrier

Outre sur l’exploitation de Jean Walter, des figuiers de barbarie sont en test et se dorent au soleil de quatre autres sites du sud de la France. Deux dans les Bouches-du-Rhône, à la Fare-les-Oliviers et Roquevaire, les autres dans le Var et le Gard voisins. Chacun a ses spécificités, que ce soit en matière de sol, d’ensoleillement, de pluie, ce qui enrichit l’expérimentation.

Les six variétés ont été sélectionnées parce qu’elles produisent des fruits. Les plants ont été importés de divers pays où elles sont déjà cultivées. Sur la parcelle marseillaise, ils ont été placés en ordre serré pour, à terme, se rejoindre et former une haie. « Chaque variété va se comporter différemment et c’est ce qu’on va analyser. Pour savoir lesquelles sont les plus résistantes au froid et aux ravageurs, leur réaction avec ou sans apport d’eau, la quantité de production, etc », liste Xuan-Laï Dao.

Les premières récoltes sont attendues d’ici deux à trois ans et la production devrait atteindre son maximum trois à quatre ans plus tard. « Ça met du temps à se développer », reconnaît l’ingénieur agronome. Mais une fleur apparue sur une raquette d’un des figuiers – l’équivalent d’une feuille pour une plante traditionnelle – le ferait presque mentir. Ce n’est bien sûr pas le signe de l’arrivée prochaine des premiers fruits. Plutôt la preuve que cette expérimentation risque de lui réserver de nombreuses surprises, qu’il espère les meilleures possibles.

Des plantes plébiscitées pour leurs débouchés

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Le figuier de Barbarie est prisé pour ses fruits, ses raquettes, ses pépins et son mucilage © Agathe Perrier

En parallèle du figuier de barbarie, des tests sont en cours sur le fruit du dragon (ou pitaya). Cette fois à Berre l’Étang, dans les Bouches-du-Rhône, et à Carqueiranne, dans le Var (en partenariat avec l’association Agribiovar). Également de la famille des cactacées, il « est connu pour ses très faibles besoins en eau et sa croissance vigoureuse. Il est cultivé pour son fruit coloré, rafraîchissant et son intérêt nutritionnel », présente Agribio13. Et est de plus en plus dans les supermarchés et les desserts de pâtissiers. Un potentiel commercial primordial. « Car il faut que les cultures que l’on expérimente offrent des débouchés pour permettre aux producteurs d’en vivre », pointe Xuan-Laï Dao.

Justement, ceux du figuier de barbarie sont multiples. Grâce à ses fruits d’abord. « Au Maroc par exemple, c’est une vraie “madeleine de Proust” », glisse l’ingénieur. Et pour ses raquettes. « Elles sont consommées jeunes, notamment au Mexique, car certaines n’ont pas de piquants », sourit-il. La plante intéresse également pour l’huile de ses pépins et son mucilage, substance visqueuse, épaisse et bien utile. « On la trouve de plus en plus dans des produits cosmétiques (ndlr – elle aurait des propriétés hydratantes ou protectrices). Elle peut aussi servir à purifier l’eau ». Le potentiel est grand. Reste néanmoins à structurer les filières. Et surtout attendre les résultats des cultures tests.

♦ Lire aussi l’article « Remettre les fruits oubliés au goût du jour »

D’autres tests en cours ou dans les cartons

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Agribio13 veut mener des expérimentations sur d’autres plantes, à condition qu’elles offrent des débouchés aux agriculteurs © Agathe Perrier

L’expérimentation dispose de financements de l’Agence de l’eau pour les deux prochaines années. Agribio13 espère en décrocher d’autres afin de poursuivre après les premières récoltes et ainsi, en assurer le suivi.

L’association porte en parallèle un programme sur la réglisse, plante résistante à la chaleur et au stress hydrique prolongé. « On sait qu’elle pousse en Provence puisqu’il y avait des champs dans le passé. La difficulté se situe au moment de la récolte, qui commence au bout de quatre à cinq ans. Car ce sont les parties souterraines qui doivent être ramassées », précise Xuan-Laï Dao Un travail long et fastidieux lorsqu’il est fait à la main, c’est pourquoi l’association cherche une façon de le mécaniser en réfléchissant à un prototype de machine. Quant aux débouchés, de grandes entreprises locales se sont déjà montrées intéressées par la production – qui entre dans la composition du pastis ou de confiseries notamment.

D’autres plantes encore sont dans le viseur d’Agribio13, comme l’aloe vera. « En gardant en tête qu’il faut trouver un marché », insiste l’ingénieur. La recherche sur ces nouvelles cultures ne fait que démarrer en Provence. ♦

 

Bonus

# Dans les calanques, le figuier de barbarie persona non grata – Car considéré comme une plante exotique envahissante. Le Parc national des Calanques en a recensé 80 sur son périmètre, dont 40 particulièrement menaçantes pour les espèces endémiques. Le figuier de barbarie figure parmi elles. « En remplaçant les plantes locales, les espèces invasives exotiques modifient le milieu pour la faune associée, comme les pollinisateurs. Or, un milieu comportant une diversité moindre aura des capacités plus réduites pour s’adapter à des modifications (changement climatique, arrivée d’un parasite ou d’un pathogène…) », est-il expliqué sur son site internet. C’est pourquoi, depuis 2019, ses équipes mènent régulièrement des opérations d’arrachage (notre reportage ici). Dans le cadre de son expérimentation, Agribio13 s’est d’ailleurs associée au Conservatoire botanique national méditerranéen, qui travaille sur les espèces envahissantes, pour étudier si celles choisies le sont et les éventuels risques.

# La réglisse, ancienne culture du sud de la France – Notamment en Camargue. Mais « la production locale ne suffisant pas à la consommation, on en importait d’Espagne, d’Italie ou du Moyen-Orient », explique l’office de tourisme du Gard. « L’implantation des premières fabriques de réglisse dans le sud de la France s’explique par la proximité des zones portuaires ». La réglisse était appréciée pour ses vertus censées faciliter la digestion ou encore soulager certaines affections (gorge et organes respiratoires). « Peu à peu, ces propriétés médicamenteuses [ont laissé] la place aux confiseries et à la fabrication de tisanes », précise l’organisme. La suite en cliquant ici.