ÉducationEnvironnement

Par Paola Da Silva, le 23 septembre 2024

Journaliste

De futurs ingénieurs capables de construire un monde résilient

Les étudiants ingénieurs ont mené un projet en partenariat avec Roland Jourdain sur l’aménagement de son catamaran WeExplore. ©DR

À Nantes, la prestigieuse École Centrale, qui forme des ingénieurs depuis plus de cent ans, a donné en 2022 un sérieux coup de pied dans la fourmilière des études supérieures scientifiques. En ouvrant une option « ingénierie des low-techs », elle s’est donnée pour objectif de « former des ingénieurs capables de construire un monde résilient et sobre ». Cette première dans le monde des grandes écoles a le goût d’une révolution et commence à faire des petits un peu partout en France.

Il a fallu un déclic pour que les choses puissent bouger. Ce déclic, c’est le discours de Clément Choisne en septembre 2018, ingénieur tout juste diplômé de l’École Centrale de Nantes, lors de sa remise de diplôme. Et ses mots, forts – « je suis incapable de me reconnaître dans une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation ». Son questionnement sur la place accordée à l’éthique et la sobriété, dans sa formation comme dans son métier, fait alors bouger les lignes.

« Le discours de Clément Choisne a libéré la parole de beaucoup d’étudiants au sein de l’école sur leur quête de sens », raconte Jean-Marc Benguigui, enseignant en éco-conception, économie circulaire et responsable de plusieurs cursus au sein de l’École Centrale. Cette dernière alors « a fait sa bascule sous leur pression. » La rencontre entre le nouveau directeur, Jean-Baptiste Avrillier, et le navigateur Roland Jourdain qui, via  le fonds de dotation Explore, héberge le low-tech lab de Concarneau, précipite les choses. « Le directeur m’a, suite à cela, convoqué pour me proposer de monter une formation sur la démarche low-tech ».

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Une formation en mode projet

L’option « ingénierie des low-techs » est lancée en septembre 2022. C’est alors la première formation en France de ce type à ouvrir ses portes dans une grande école d’ingénieurs. « C’était véritablement un cap franchi, car les low-techs s’attaquent directement au mythe de la high-tech, sur laquelle travaillent beaucoup d’ingénieurs. Particularité supplémentaire, notre formation s’appuie sur une pédagogie par le projet, détaille Jean-Marc Benguigui. Nos étudiants bénéficient d’un tiers de cours théoriques et deux tiers en mode projet… ce qui leur fait plutôt peur, car ils sont habitués depuis la prépa à passer toute leur année sur de la théorie. »

L’objectif de cette option en un an, proposée soit en deuxième, soit en troisième année d’études, est de concevoir des objets, des systèmes ou des services simples qui intègrent la technologie selon les trois grands principes des low-techs. « Le projet doit tout d’abord être utile, c’est-à-dire qu’il doit répondre à un besoin réel. Il doit être durable dans son approche, donc économiser les ressources et allonger leur durée de vie. Enfin, il doit être accessible financièrement et intellectuellement, c’est-à-dire simple à comprendre et facile à reproduire et à réparer. » À cette définition, l’ADEME a rajouté deux conditions : le projet doit être local et favoriser l’autonomie.

Aménager un catamaran pour Roland Jourdain

Les deux premières années, les étudiants ont mené un projet en partenariat avec Roland Jourdain sur l’aménagement de son catamaran, WeExplore. L’objectif principal était de l’équiper grâce à une démarche et des technologies low-techs, pour le rendre le plus autonome et le moins carboné possible.

« Roland Jourdain souhaitait réduire l’impact environnemental des bateaux de course au large, explique Jean-Marc Benguigui. Les étudiants ont étudié plusieurs techniques pour dimensionner les low-techs à y implémenter. » Avec, à l’arrivée, par exemple, le projet Webike. Ce pédalier générateur d’électricité (tel une dynamo) vient compléter la charge de la batterie du bateau et peut alimenter divers appareils à bord. « C’est un projet qui a tout son sens pour produire de l’énergie sur un bateau, appuie Terence Gaget, l’un des étudiants ayant participé. Ensuite, une fois à quai, il sera modifié pour être utilisé en cyclo-logistique ».

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L’habitat rural à la rentrée 2024

La rentrée 2024 voit le partenaire de l’option changer. Et de fait, la thématique de travail des étudiants. « Nous avons commencé à travailler il y a quelques jours sur le thème de l’habitat low-tech en milieu rural », rapporte Jean-Marc Benguigui. Le sujet sera abordé avec l’entreprise Kerlotec Habitat, basée en Bretagne. Son dirigeant, Alain Fustec, (propriétaire du château de Brélidy, qui a pour vocation d’expérimenter des low-techs pour diminuer son empreinte écologique), l’avait au préalable contacté. « Il m’a dit : je veux vous rencontrer, j’ai des stages et des emplois à proposer aux étudiants ».

La question des débouchés d’une telle filière pourrait en effet poser question. Or, les opportunités d’évolution affluent. « Beaucoup d’entreprises veulent recruter chez nous, spécifiquement dans cette filière. Car elles recherchent un certain état d’esprit. Elles veulent des étudiants qui se posent les bonnes questions. » Certains d’entre eux choisissent ensuite de se diriger dans les grands groupes afin de changer les choses de l’intérieur. D’autres se dirigeront vers une thèse.

Donner envie aux autres

Terence Gaget a désormais fini son année d’option, qui l’a ensuite mené vers un stage au sein de l’Ademe. Il témoigne de l’apport d’un tel cursus. « J’avais besoin de sens dans mes études. Là, j’ai utilisé mes cours pour atteindre mes objectifs. On a appris, puis expérimenté. On a également développé notre esprit critique. Et même si on sait que ce n’est pas simple d’effectuer une transition vers un mode de vie plus sobre, on se bat pour une cause. Et c’est hyper épanouissant. »

Le prestige de l’École Centrale a par ailleurs permis à l’option de se faire connaître. « Nous disons à nos étudiants que ce sont eux qui doivent gérer au mieux l’image de l’option afin d’emmener un mouvement. De donner envie aux autres écoles de faire la même chose, relate Jean-Marc Benguigui. Et c’est exactement ce que nous voyons se développer en ce moment, un peu partout en France ! » ♦