Éducation
Les collégiens ignorent leur aptitude à fabriquer avec les mains
Depuis trois ans, l’association De l’or dans les mains propose à des artisans d’art de rencontrer des élèves en collège afin de leur transmettre leur savoir-faire. Ces jeunes découvrent alors tout un tas de métiers manuels, comme nous le raconte Gabrielle Légeret, à l’origine de l’initiative.
Le collégien confectionne un bouquet de fleurs, ravi. Non loin de là, ses camarades de classe découvrent les techniques d’une émailleuse ainsi que d’une verrière à la flamme. Ailleurs, d’autres élèves de collège, tout aussi concentrés et curieux, s’essaient à la conception d’objets en bois. Se lancent dans un projet de dorure et de restauration ou encore de marqueterie. Bien investis et intéressés, les jeunes tentent d’imiter les gestes de leurs aînés. La grande majorité n’avait jamais entendu parler de ces métiers d’art ou de ces professions manuelles.
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Gabrielle Légeret se questionne : « Comment peut-on dire aux élèves qu’ils ou elles peuvent devenir ébénistes, alors que ce métier n’est pas valorisé au cours de leur scolarité ? Les activités manuelles ont quasiment disparu des programmes scolaires… » En 2021, Gabrielle a fondé l’association De l’or dans les mains pour tenter de remettre l’artisanat au goût du jour. Depuis plus de trois ans, la trentenaire propose à des entreprises locales ou à des artisans d’art de montrer leur savoir-faire pendant des ateliers au sein de collèges.
Manque d’information
« On essaie de pallier le manque d’information. Les métiers manuels ont été effacés de l’imaginaire collectif, estime Gabrielle Légeret. Des menuisiers, par exemple, les collégiens n’en voient quasiment plus au quotidien. Au contraire de leurs grands-parents, qui pouvaient en croiser dans la rue, du temps de leur enfance. »

Le dispositif imaginé par l’association, présente dans six régions (et neuf académies), vise à épauler les enseignants volontaires. Des professeurs de toutes les matières jouent le jeu, tant en Science de la vie et de la terre qu’en mathématiques. Durant les heures de cours, ces derniers offrent à leurs élèves un temps dédié à l’apprentissage, loin des stylos et des cahiers de brouillon. Un cursus de 15 heures en tout leur est proposé, comprenant des moments de discussion, de convivialité et d’exercices concrets. « Les filles et les garçons apprennent de moins en moins par la manipulation d’objets et d’outils, regrette-t-elle. Alors qu’ils auraient plutôt besoin d’expérimenter. »
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Les yeux qui brillent
Son association, dont les huit salariés travaillent à Paris, vise à inciter les enfants à mettre la main dans le cambouis, afin qu’à terme ils et elles « changent de regard » sur tout un tas de professions loin des radars et des lumières. Une occasion en… or pour casser des stéréotypes qui ont la vie dure. Typiquement, qu’il s’agirait de voies professionnelles destinées aux élèves en difficulté. Ou encore qu’il existerait des métiers pour les hommes et d’autres pour les femmes… « Par exemple, on pousse pour qu’il y ait, durant les ateliers, des garçons qui tentent la broderie, et des filles, une activité de maçonnerie », pointe Gabrielle Légeret.
Et ça marche ! « Certains jeunes repartent de l’atelier les yeux qui brillent, fiers d’avoir su monter ou créer quelque chose. » Cela, pour le plus grand plaisir des professionnels, ravis d’avoir pu échanger avec des jeunes en vue de leur révéler des secrets de fabrication. « La transmission fait partie de leur ADN », précise Gabrielle. Elle l’a observé, notamment en Touraine où elle a grandi : les manufactures ont fermé les unes après les autres au cœur des communes. Les artisans partent en retraite, ne dénichent pas de repreneurs, d’autres mettent la clé sous la porte après des années de labeur… Alors, ce type de missions éducatives intergénérationnelles peut avoir de quoi leur redonner le sourire.
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Le métier de leurs rêves ?
En tout, 5 000 jeunes issus d’une trentaine d’établissements, en moyenne âgés de 12 ans, ont d’ores et déjà été accompagnés depuis 2022. « Les enseignants, indique la fondatrice, voient des élèves se transformer, certains se montrent durant les ateliers plus concentrés que d’habitude. » Dans le détail, six élèves sur dix, selon l’association, déclarent ne pas avoir eu conscience de leur capacité à construire avec leurs mains. Mieux : plus de cinq collégiens sur dix aimeraient poursuivre les activités manuelles dans la foulée de ce cursus.

Il y en a même qui confient avoir trouvé le métier de leurs rêves. Il est un peu tôt pour l’affirmer. Mais peut-être se tourneront-ils à l’avenir vers des professions manuelles ? Et, qui sait, peut-être ces adolescents transmettront-ils un jour à leur tour leurs expertises, en ouvrant la porte de leur atelier à la génération suivante…
De l’or dans les mains sensibilise à long terme
En tout cas, Gabrielle Légeret l’admet volontiers : elle s’est lancée, via son association et financée par de nombreux mécènes privés (voir le bonus), dans une aventure à long terme… Remettre au centre du jeu les métiers d’art dans la société prendra du temps. « Quelques années ne suffiront pas. Cela va nécessiter de repenser également notre manière de consommer et d’habiter la terre, glisse-t-elle. Beaucoup de jeunes ne savent pas comment sont fabriqués les objets du quotidien et optent pour des plateformes de vente en ligne au détriment des petits commerçants. »
En attendant, elle poursuit son chemin. Elle continue de sensibiliser, en particulier via son podcast afin de tendre un micro aux artisans. Sa voix a trouvé un écho jusqu’au sein de l’exécutif. La précédente ministre de la Culture Rima Abdul-Malak l’a nommée l’an dernier référente pour la jeunesse du plan du gouvernement en faveur des métiers d’art. Pour autant, pas question de s’enflammer. « Au vu de l’actuel contexte budgétaire compliqué, regrette-t-elle, il n’y aura pas de réforme structurelle visant à mieux valoriser les métiers manuels. » En revanche, en 2023, Gabrielle Légeret a formulé des propositions, dont certaines ont été retenues. « Aujourd’hui, via le Pass Culture, un jeune peut trouver un stage auprès d’une brodeuse, par exemple. Les structures d’initiation aux métiers d’art sont dorénavant considérées comme des structures d’éducation culturelle. »

En septembre 2025, Gabrielle Légeret sortira un livre aux éditions de L’Atelier, En finir avec les idées reçues sur les métiers manuels. Elle a missionné, pour ce projet, des entrepreneurs, des artisans ainsi que des scientifiques. « L’objectif est d’expliquer tous les bénéfices des activités manuelles sur le développement des enfants. » Et de continuer, comme à l’accoutumée, de lutter contre les fausses images. ♦
Bonus
# Les chiffres. 5 000 jeunes ont bénéficié de la formule depuis 2022. En moyenne ils sont âgés de 12 ans. L’association est présente dans six régions, neuf académies. 200 artisans (rémunérés pour l’occasion) sont d’ores et déjà intervenus dans une trentaine de collèges publics. Les collèges et les professionnels peuvent postuler auprès de l’association.
# De l’or dans les mains. Reconnue d’intérêt général, l’association a reçu l’agrément du ministère de l’Éducation nationale. Elle est financée à 85% par des mécènes privées, les fondations SNCF, Michelin ou encore Rémi Cointreau.