AgricultureEnvironnement

Par Frédérique Hermine, le 28 juin 2024

Journaliste

Des arbres dans les vignes de Ruinart

Les haies doivent jouer un rôle tampon dans un contexte de multiplication des épisodes de gel, de grêle et de canicules dans ce rude climat champenois ©Ruinart
La Maison de champagne Ruinart mène depuis trois ans une opération de replantation d’arbres et de haies dans son vignoble historique de Taissy, sur la montagne de Reims. Un projet de grande envergure pour diversifier le paysage, augmenter la biodiversité dans cet océan de vignes et tenter de lutter contre le dérèglement climatique.

C’est une parcelle unique d’une quarantaine d’hectares d’un seul tenant, plantée en pinot meunier et chardonnay, classée en Champagne premier cru. Cette vaste plaine au sud de Reims avec ses vignes à perte de vue est bordée par la forêt de Montbré. Ruinart y mène depuis trois ans une ambitieuse opération de vitiforesterie en collaboration avec l’entreprise environnementale Reforest’Action.

Outre la volonté de diversifier le paysage et la monoculture, il s’agit d’y créer des puits de carbone en régénérant la forêt. Mais aussi de réduire l’impact des gelées printanières en constituant des haies coupe-vent. Mais également de restaurer la biodiversité pour attirer des oiseaux, insectes, chauves-souris et coccinelles… Autant de bêtes qui peuvent se révéler d’excellents prédateurs contre les ennemis de la vigne, en particulier le mildiou.

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Vignoble Ruinart Taissy©F.Hermine

Une quarantaine d’essences endémiques

« Des haies ont été plantées en bordure de parcelles et nous pensons arracher quelques rangs de vigne pour aménager des petits bosquets et créer de véritables corridors écologiques », explique Victor Gandon, responsable du projet chez Ruinart. Une quarantaine d’essences endémiques (cornouiller, aubépine, sorbier, saule marsault, chêne sessile, charme, hêtres verts…) ont donc été choisies avec Reforest’Action, notamment pour leur adaptation au sol. Elles doivent jouer un rôle tampon dans un contexte de multiplication des épisodes de gel, de grêle et de canicules dans ce rude climat champenois. Ont été exclues les espèces susceptibles d’apporter des maladies dans la vigne tels les noisetiers et les poiriers. « Dans le bois, nous avons surtout opté pour des feuillus, en particulier des chênes-lièges afin de limiter le nombre de pins. Tout en diversifiant, nous nous attachons à débroussailler pour une gestion durable ».

Au total, plus de 20 000 arbres et arbustes ont été plantés en trois ans ainsi que 5,5 km de haies, 2000 m2 d’îlots de biodiversité, 4 hectares de couverts végétaux. Par ailleurs, nichoirs, hôtels à insectes, abris à chauves-souris ont été installés avec une écologue.

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Plantations au bord de la forêt de Montbré ©DR
♦ Relire l’article : Resforest’Action implique citoyens et entreprises

Des outils de mesure de la biodiversité toujours plus pointus

Ruinart s’est fait accompagner par des naturalistes qui ont répertorié pendant un an la faune et la flore, dénombrant une soixantaine d’espèces animales. « Mais ces inventaires classiques par observation des animaux, de leurs traces et de leurs déjections ne sont pas adaptés à la faune microscopique, regrette Diane de Chevron Villette, cheffe de projet Environnement chez Ruinart. Nous avons donc fait appel à l’ADNe, l’ADN environnemental mis au point par le laboratoire d’expertises scientifiques, Spygen. À partir d’un échantillon de sol, il peut déterminer les ADN contenus dans la terre afin d’identifier champignons, bactéries, vers de terre, insectes, arachnides. Au bout de quelques mois, le suivi de l’évolution de la vie dans le sol permet de mesurer l’impact de nos actions. Les données ainsi récupérées nous aident à établir une stratégie de conduite de vignoble plus fine ».

Des prélèvements mensuels dans les environs des haies avec des capteurs climatiques mesurent l’impact réel de la vitiforesterie. Cet indicateur de la santé du sol est une base de données précieuse, mais également un outil de surveillance et de prospective. « Le suivi des champignons et des bactéries quasiment en temps réel permet d’agir plus vite pour protéger la vigne, insiste Diane de Chevron Villette. Et le séquençage de l’ADNe a débouché sur la cartographie des terroirs. De quoi mieux mesurer l’évolution de la biodiversité et l’impact du réchauffement climatique. On gagne vite en nombre d’espèces puisqu’on en a recensé 55 en 2021, 89 à fin 2022 ».

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capteurs vignoble©F.Hermine

Lutter contre la machine qui s’emballe

Ruinart espère faire des émules. Trois de ses fournisseurs de raisins se sont déjà portés volontaires pour mettre en place chez eux la vitiforesterie.

« Cette pratique peut participer à la lutte contre le dérèglement climatique en favorisant des microclimats, estime le chef de caves Frédéric Panaiotis. En trente ans, la température a augmenté de 1,1°C dans la région, raccourcissant le cycle de la vigne avec des vendanges de plus en plus précoces. Et la machine s’emballe depuis les années 2000, surtout depuis 2017. Le problème quand nous vendangeons en août, c’est que nous sommes confrontés à une hausse des sucres et une baisse d’acidité. Ce qui n’est pas idéal pour élaborer du champagne ».

« Nous sommes également confrontés au problème de dépérissement des sols, trop travaillés mécaniquement, et il est important d’y apporter de la vie » insiste Victor Gandon chargé du projet Vitiforesterie. Et de rappeler qu’au siècle dernier, les parcelles de vigne étaient plus petites et séparées par des rangées d’arbres, des buissons et des zones non cultivées.

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Les artistes se sont aussi mis au vert

Les artistes ont également été mis à contribution pour promouvoir l’opération et apporter leur pièce à l’édifice. Ruinart leur donne chaque année carte blanche pour plancher sur le sujet. C’est ainsi que sont apparues en 2022, dans la parcelle de Taissy, les installations géantes de Nils-Udo : trois grands nids géants fabriqués en troncs de chêne, branches de pin et sarments de vigne, qui auraient pu abriter en d’autres temps quelques théropodes géants. Ils sont aujourd’hui colonisés par des insectes et des oiseaux moins impressionnants. « Les déjections observées nous ont confirmé qu’ils sont utilisés par des buses, affirme Diane de Chevron Villette. Et deux couples de faucons crécerelles s’y sont installés ».

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Nils Udo-Taissy @Ruinart

Cette année, carte blanche a été donnée à six artistes, dont le britannique Marcus Coates, à la fois ornithologue, peintre, photographe, poète, vidéaste… Après quelques séjours dans le vignoble et une participation aux vendanges, il s’est constitué un réseau d’informateurs : naturalistes, ornithologue, mycologue, viticulteurs… y compris les chargés d’environnement de la maison et le chef de caves Frédéric Panaiotis.

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Marcus Coates ©F.Hermine

« Pour traduire la biodiversité du vignoble de Taissy, je voulais mieux cerner le cycle de la nature, explique l’artiste. Comme une araignée, j’ai en fait tissé un réseau d’observateurs et de scientifiques pour répertorier la faune et la flore d’ici. J’ai ensuite fait de cette récolte un calendrier de la nature ». Cette éphéméride composée de petites phrases, comme des haïkus japonais, est une véritable ode au vignoble. L’œuvre de Marcus Coates fera également l’objet d’affichages sur de grands drapeaux au siège des Crayères de Ruinart à Reims à partir de cet automne. Un manifeste de la nature sur au moins une année. ♦

Bonus

Une seconde peau plus écolo. Le vignoble de Ruinart est certifié depuis 2014 HVE (Haute Valeur Environnementale) et VDC (Viticulture Durable en Champagne). La maison n’utilise plus d’herbicides dans ces vignes. De plus, elle affiche une baisse drastique de l’utilisation des intrants et une forte utilisation des produits de biocontrôle.

Des arbres dans les vignes de Ruinart 3Elle a également étoffé sa politique environnementale en lançant en 2020 un étui seconde peau 100% papier particulièrement novateur. Éco-conçu, réutilisable et entièrement recyclable, il épouse parfaitement la forme des flacons. Neuf fois plus léger que la génération précédente (40 g au lieu de 460 g), il réduit de 60% l’empreinte carbone du packaging. Par ailleurs, plus de 90% de l’eau utilisée pour sa fabrication est recyclée et rejetée propre dans la nature.

La maison avait déjà réduit le poids de ses coffrets et supprimé les suremballages plastiques en 2015. « Et depuis dix ans, nous n’expédions plus de bouteilles par avion mais à 85% par voie maritime, le reste par voie terrestre. Ce qui a été notre plus gros challenge », assure Frédéric Panaiotis.