EnvironnementRecherche

Par Marie Le Marois, le 7 juin 2024

Journaliste

Et le vêtement en fin de vie devint bobine de fil

Les vêtements sont préalablement triés par composition et par couleur sur la machine avant d’être délissés et effilochés. @Ceita

Le recyclage en boucle fermée dans la mode est en vogue, mais reste encore très limité. En cause, certaines étapes en amont manuelles et coûteuses, comme le tri. Pour l’industrialiser, le bureau d’étude CETIA a mis au point des solutions automatisées et intelligentes. Il a inauguré en septembre 2023, à Hendaye (Pays basque), la première plateforme dinnovation en Europe dédiée au tri et au démantèlement des vêtements et des chaussures usagés ou invendus. 

[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]

Une chemise un peu abîmée peut avoir une seconde vie : être réparée, revalorisée ou, stade ultime, recyclée. Dans cette dernière option, elle finira dans 99% des cas comme matériau disolation ou rembourrage de matelas, quand ce n’est pas en combustible. En effet, seul 1% des tissus qui composent nos vêtements est recyclé en boucle fermée, c’est-à-dire utilisé pour produire de nouveaux vêtements. Idem pour les chaussures, dont la majorité ne sont pas recyclées ou quand elles le sont, c’est pour être broyées et servir, par exemple, à la composition de revêtement de sol.

Le recyclage se révèle important face aux défis qui attendent le monde de la mode. « Demain, on va avoir besoin de matière recyclée. Car les ressources en matières premières se tendent, l’impact environnemental devra être réduit et des contraintes seront peut-être instaurées », expose Chloé Salmon Legagneur, directrice de CETIA, à l’entrée du site. Le bâtiment de 1200 mètres carrés est situé dans la zone d’activité d’Hendaye, le long de la rivière Bidassoa.

Composition complexe

L’objectif de CETIA : préparer de la matière de haute qualité, en grande quantité, prête à être recyclée en boucle fermée. @CETIA

La première problématique et de taille : la composition des vêtements. « Quand on demande aux trieurs des tee-shirts 100% coton blanc, c’est compliqué. Sélectionner le blanc oui, mais trier par matière, c’est impossible. Car la plupart du temps, les vêtements ne portent plus d’étiquettes et beaucoup sont composés d’un mélange, dont du polyester », rapporte Chloé Salmon Legagneur. Quant aux chaussures, aucune filière dédiée permettant de traiter un important volume n’existe, « c’est le parent pauvre du recyclage », ajoute cette femme chaleureuse. Il faut savoir que les chaussures actuelles contiennent environ 40 composants !

Tri des vêtements par composition @Marcelle

De ces problématiques et besoins est né CETIA en 2019. Il est le fruit de CETI (Centre Européen des Textiles Innovants), basé à Roubaix, et de la Chaire BALI (Biarritz Active Lifestyle Industry) portée par l’école d’ingénieur ESTIA, à Bidart. « Le premier a toute la compétence au niveau textile, le second, dans la recherche appliquée au service des entreprises », étaye la jeune femme qui pilotait BALI avant CETIA. Quatre ans plus tard, ils ont concentré, pour la première fois en Europe, les technologies qui rendent possible l’étape clé de la préparation au recyclage des matières textiles et cuirs (bonus).

Les projets au sein de cette plateforme dinnovation sont menés par sept ingénieurs avec une quinzaine de partenaires – Décathlon, Petit Bateau, Zalando, lAtelier des Matières, Groupe Eram ou des acteurs du luxe – qui s’impliquent, viennent tester leurs produits sur les équipements et participent ainsi à leur optimisation. « CETIA n’est pas un centre de traitement, ni un prestataire, mais un centre technologique », tient à préciser la directrice. 

Trier, délisser et effilocher 

Étapes du vêtement recyclé : points durs, chiquettes, effilochés @Marcelle

Le tri est la clé du recyclage. « On peut développer les meilleures technologies, s’il n’y pas de tri en amont, ça ne marche pas, prévient-elle.  Mieux on oriente, plus on gagne en productivité. C’est notre feuille de route ». Dans le premier espace, une grande halle, CETIA a installé la machine belge Fibersort (bonus) pour trier le textile par composition (coton, polycoton, polymère, etc.) et par couleur. Cette machine peut traiter une pièce par seconde. Une fois trié, il s’agit d’enlever chaque ”point dur” des vêtements complexes, sans abîmer les fibres. À savoir tous les perturbateurs au recyclage : doublure, bouton, fermeture éclair, étiquette, etc. À cette fin, le bureau d’étude a fait une preuve de concept sur une machine de découpe laser pour venir découper autour des boutons.

Matière de haute qualité

Grâce à ces différents procédés, CETIA maîtrise la composition de leffiloché à la sortie. Et peut le transmettre au recycleur « afin de répondre à ses exigences en termes de qualité et de volume », souligne Chloé Salmon Legagneur. En sortie de la découpe Laser, on a des étoffes qui seront recyclées au CETI ». Actuellement, le Centre européen des textiles innovants parvient à réaliser des bobines de fil de coton avec 60% de recyclé complété avec de la matière vierge. « C’est un exploit. Le plus souvent pratiqué, c’est seulement 10% de matière recyclée pour 90% de matière vierge ».

♦ Aux USA, Polartec travaille à la mise en place du recyclage des textiles en circuit fermé.

Séparer les semelles

Re_SHOES @CETIA

Au bout de l’usine, dans une salle dédiée se trouve Re_SHOES. Développé par les ingénieurs de CETIA, cette machine est le premier pilote industriel sur la valorisation des semelles des chaussures (loisirs, sport et luxe) qui ouvre la voie à la préfabrication de semelles neuves à partir d’usagées. Cette prouesse est rendue possible grâce à la conception dune ligne 100% automatisée et composée de trois cellules innovantes : l’arrachage des semelles épaisses des chaussures collées, la découpe optimisée des semelles cousues, moulées par injection ou vulcanisées. Enfin, la détection et le tri par composition des semelles (PU, le TPU, l’EVA, Caoutchouc, etc.). Re_SHOES est capable de séparer des chaussures toutes les 30 secondes.

Lever les verrous technologiques

Les ingénieurs entraînent sans cesse l’IA @CETIA

Neuf mois après l’inauguration de la plateforme, le bilan est positif. L’équipe CETIA a réussi à lever le verrou technologique de la séparation des semelles. Il en existe d’autres. Par exemple, détecter des points durs cachés, tels que les pressions à l’intérieur du vêtement. « Nous devons lever les verrous un par un dans les dix, voire vingt prochaines années ». Les ingénieurs s’attellent aujourd’hui à démanteler et identifier la composition du vêtement « avec le plus de précision possible », souligne la directrice de CETIA. Ils entraînent ainsi l’IA à générer des trajectoires de découpe pour libérer l’étoffe ou à travailler sur de nouveaux capteurs. Un autre gros sujet s’impose également : automatiser la mise à plat des vêtements, aujourd’hui effectuée par un opérateur.

Travailler sur l’éco-conception

Et la chemise en fin de vie deviendra bobine de fil 5
”Innover à chaque étape de la préparation matière” @Marcelle

La technologie Re_SHOES, désormais éprouvée, CETIA souhaite la déployer à l’échelle industrielle, en la transférant aux acteurs (gestionnaires de déchets, recycleurs, etc.) Il souhaite également travailler en amont, pour que chaque vêtement ou chaussure soit recyclable. « Quand les semelles Decathlon sont difficiles à séparer, par exemple, on va chercher à comprendre avec eux l’assemblage et la composition de leurs chaussures pour travailler à l’amélioration des process de fabrication », appuie Chloé Salmon Legagneur. L’éco-conception est incontournable pour que tous les articles usagés ou invendus reprennent un jour le chemin de la mode.♦

Bonus

    • 2,4 millions d’euros, ont été investis dans des équipements et des pilotes industriels, dont 1,2 million par la Région Nouvelle-Aquitaine. L’Ademe (Agence de la transition écologique), l’Europe, le plan d’investissement France 2030 et Refashion (l’éco-organisme de la Filière Textile dhabillement, Linge de maison et Chaussure) financent des programmes d’innovation et des projets industriels.
  • Fibersort, développée il y a quatre ans dans le cadre dun programme européen, est une machine de tri textile. Elle utilise lIA pour identifier et séparer les textiles en fonction de la composition des fibres et des propriétés de la couleur. La machine prédit la concentration des fibres sur la base de scans de spectroscopie proche infrarouge (NIR). Et trie les textiles par couleur à l’aide d’une caméra RVB.
  • Programmes en cours. Re_Clothes : ligne modulaire connectée et semi-automatisée de préparation des vêtements simples et complexes. IDshoes : reconnaissance automatisée des modèles de chaussues.
  • Fil de viscose. La machine de démantèlement génère de la poussière de fibre. Des acteurs de la mode, comme Induo, travaillent à la valoriser en fil de viscose. 
  • Refashion propose quatre services : Refashion Pro, Eco design, Recycle. Enfin, Refashion Citoyen. Ce site donne accès aux particuliers aux informations sur les deuxièmes vies des textiles et chaussures usagés. Il permet didentifier facilement les points d’apport volontaire les plus proches. Ainsi que les consignes de tri et de dépôt. Enfin, il donne les clés pour réparer, réutiliser, recycler.
  • Le Groupe Eram propose deux services pour les chaussures usagées. La valorisation en les remettant dans le circuit seconde main. Et le bichonnage, une remise en beauté des chaussures.
  • Valoriser les chaussures de sport. Runcollect œuvre depuis 2017 pour valoriser les chaussures de running et de trail usagées sous forme de dons. Ou sous forme de recyclage si elles sont inutilisables.