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Faire classe dehors pour que les enfants « fleurissent »
L’enseignement régulier en plein air est source de bien-être pour les enfants ! C’est la conclusion de recherches anglo-saxonnes, mais aussi du programme « Grandir avec la nature » coordonné depuis 2017 par le FRENE, Réseau français d’éducation à la nature et à l’environnement. Santé physique et mentale, sociologie, psychologie… : analysés, tous ces champs montrent de nombreux bienfaits. Que certains enseignants marseillais, adeptes de la « classe dehors », constatent au quotidien. Reportage à leurs côtés.
En passant trop de temps à l’intérieur, l’humanité s’exposerait à de nombreux problèmes de santé. En particulier les enfants. On appelle cela «le syndrome du manque de nature ». Selon le docteur Melissa Lem, professeur à l’Université de Toronto citée par le FRENE, «passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique. ». Elle s’appuie notamment sur des études concernant l’hyperactivité, l’obésité, l’hypertension, le diabète, la myopie, l’asthme, la dépression. Ou encore sur des retards de développement moteur et d’aptitudes sociales. Des conséquences très documentées outre-Atlantique, mais évoquées aussi dans un rapport de Birdlife international sur « Le bien-être grâce à la nature dans l’Union européenne ».
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Un diagnostic que partage Benjamin Gentils, cofondateur de la Fabrique des Communs Pédagogiques et coordinateur des Rencontres Internationales de la Classe Dehors (voir bonus). « En quarante ans, on a perdu 40% de nos capacités motrices car on est trop sédentaire, souligne-t-il. Sortir avec les enfants est un enjeu de santé physique… Et mentale. C’est aussi un outil pédagogique qui permet de travailler différemment, de mettre en place un cadre d’échange moins solennel, d’améliorer le climat scolaire. Cela favorise la coopération, la concentration, la mémorisation, l’apprentissage situationnel. Ça facilite la compréhension du vivant. Et apprend à porter un regard sensible sur la nature. » Donc à en prendre soin.
Jardinage, lecture, observation d’insectes…

Deux CE1 de l’école Bernard-Cadenat, en REP+ à Marseille, l’illustrent parfaitement. Un vendredi après-midi sur deux depuis la rentrée, les élèves quittent leur salle de classe de la Belle-de-Mai (3e) pour marcher ensemble jusqu’au jardin Levat. Un magnifique îlot de nature préservé dans un environnement très urbanisé. Dix minutes plus tard, ils sont assis dans l’herbe, à l’ombre d’un arbre, pour recevoir le foulard de couleur qui les affecte chacun à un des trois groupes.
Une institutrice animera un atelier lecture, une autre proposera de dessiner des insectes, enfin une jardinière assurant l’entretien des lieux guidera les apprentis sur leur parcelle de potager. Toutes les demi-heures environ, ils changent d’activité. Ravis de capturer (temporairement) des coccinelles pour les observer dans des boîtiers-loupes. De voir que leurs radis ont poussé, désherber, planter des laitues. Ou se plonger dans un livre sur les oiseaux.
“Un apprentissage différent”

Une première pour Géraldine Wolff. « J’étais beaucoup venue le midi l’an dernier, pour me ressourcer, et j’ai eu envie de le partager avec les enfants, raconte-t-elle. C’est génial. Sortir, observer, bénéficier de matériel de jardinage, d’un encadrement, c’est un apprentissage différent. Ils ont besoin de construire leurs propres références. De faire par eux-mêmes. » Et s’ils ne disposent que de six séances avec un jardinier et/ou une jardinière – ils passent ensuite le relais à d’autres classes – mais reviendront librement « pour voir le jardin sur une année, au fil des saisons ».
« En classe, parler des saisons, de la biodiversité, ça n’a pas trop de sens pour eux, prolonge Amélie Desigaux, qui investit le jardin avec ses élèves pour la troisième année consécutive. Alors que là, ils peuvent observer la croissance des végétaux, suivre leur rythme naturel. » Un exemple parmi beaucoup d’autres. Car « on peut faire plein de choses au vert : des arts visuels, des maths… prolonge-t-elle. Ramener ce qu’on a vécu au jardin en classe et inversement. On peut décentrer tous les apprentissages. »
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Un extérieur salvateur

Marine Rougé, elle aussi institutrice en CE1 à l’école Bernard-Cadenat, utilise l’espace extérieur depuis des années. Pour y faire de la course d’orientation, du repérage dans l’espace, du land art ou encore pour y écrire des haïkus… « Et avec des CM1-CM2, on peut aller plus loin en sciences, sur le climat, la biodiversité… » Tout en gardant le bénéfice premier du contact à la nature : « C’est important pour tous les enfants, mais encore plus en REP+. Ce sont des enfants qui ne sortent quasiment pas de chez eux. »
Des enfants, aussi, qui ont souvent des difficultés scolaires. « Certains se révèlent dans ces moments-là. Ils fleurissent, poursuit l’enseignante. Ceux qui ne tiennent pas en place en classe ou qui ne sont pas à l’aise par exemple avec l’écriture mais ont un sens pratique ou sont manuels. Ils trouvent une nouvelle place, c’est valorisant et ils retrouvent le plaisir d’aller à l’école. » L’an dernier, elle a accompagné sa classe toute l’année au jardin Levat, une semaine sur deux. Mais elle a fait des émules et a dû partager les créneaux de jardinage avec ses collègues cette année. Au total, neuf classes de CP et CE1 iront apprendre en plein air.
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Des élèves ravis

Et les élèves adorent. Ceux que Marine Rougé avait l’an dernier en gardent un merveilleux souvenir. Et se bousculent pour partager cette expérience. « C’était super ! On a planté des carottes, des petits pois, des fraises, des radis… » « Et on les a mangés ! » « Oui, on a un côté du jardin rien que pour nous ! » « Avec la maîtresse, on faisait plein de chasses au trésor ! » « Avec les copains, on creusait, on courait ! » « J’aimais explorer, connaître les fleurs, les insectes. » « On a fait le silence aussi, pour écouter les oiseaux, les bruits des herbes. » « On sort pour respirer, écouter le cœur qui nous dit quelque chose… » Et c’est avec envie qu’ils regardent leurs camarades filer vers cet espace qu’ils s’étaient approprié. Au point, pour certains, d’y retourner régulièrement avec leurs parents.
« C’était trop bien ! Alors qu’en classe, on travaille… » Au jardin aussi, mais ils n’en ont pas l’impression. Le matin, en classe, Amélie Desigaux a demandé à ses élèves leur jour préféré. « Le vendredi pour aller au jardin » a concurrencé le samedi « pour jouer à la console ». Pas étonnant quand on les voit rire, courir partout et se rouler dans l’herbe pour finir l’après-midi. ♦
♦ Bonus
La fabrique des communs pédagogiques (FabPeda) – Cette association est née en 2020 de la crise du Covid, quand le confinement et la fermeture des écoles ont été annoncés. Pour soutenir le service public d’éducation, partager des ressources, numériques notamment. Elle s’est ensuite organisée pour mettre en commun des expériences, les documenter, puis mettre en place des actions. Rapidement, elle a travaillé sur l’école hors les murs, poussée par les contraintes du protocole sanitaire, et sur la remobilisation du savoir. Interdisciplinaire, « elle crée depuis quatre ans un cadre de coopération entre architectes, élus, recteurs, médecins… pour élaborer une politique publique qui permette aux enfants d’apprendre dehors, de la petite enfance à l’université » résume son cofondateur, Benjamin Gentils. « Ce n’est pas une innovation pédagogique mais un droit. »
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Les Rencontres internationales de la classe dehors – Du 14 au 17 mai 2025, la FabPeda organise à Marseille la deuxième édition des Rencontres internationales de la classe dehors. Une biennale associant des rencontres professionnelles et « Les enfants enchantent Marseille ». Une opération qui invite les enseignants, éducateurs et animateurs à sortir au moins une demi-journée dans la ville, en autonomie ou avec l’appui d’un partenaire. L’objectif étant de se réapproprier les espaces naturels comme les lieux culturels pour y mener des activités pédagogiques, artistiques et citoyennes. En 2023, à Poitiers, ces rencontres avaient réuni plus de 400 intervenants, formé plus de 2000 professionnels et fait sortir 1300 enfants.
Aussi dans le secondaire – Plus pratiquée dans le premier degré, la classe dehors peut aussi être mise en place dans le secondaire. Même si c’est plus difficile. Du fait notamment du nombre de professeurs et de la complexité de la gestion des emplois du temps. Des obstacles que Nathalie Ferran surmonte au mieux.
Professeur de sciences physiques au lycée Jean-Perrin à Marseille, elle emmène ainsi ses « premières » sur l’île du Frioul pour analyser le site, et ensuite réfléchir à une stratégie pour le rendre autonome en énergie. Elle participe avec eux à un ramassage de plastiques qu’ils trient et répertorient ensuite pour participer à un travail scientifique organisé par la fondation Tara Océan. Enfin, elle utilise les extérieurs du lycée pour y prendre des mesures de lumière, de bruit ou encore y calculer des vitesses. « Ils ont besoin de bouger et apprennent mieux dans le mouvement, quand ils vivent les expériences avec leur corps, assure-t-elle. Ils sont aussi plus impliqués. »