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Végétaliser les assiettes des cantines : le pari de la startup Fayo
Moins gourmandes que la viande en eau et en surfaces, positives pour les sols et pour la santé, les légumineuses offrent une solution particulièrement intéressante pour réduire l’impact environnemental de notre alimentation. Pourtant, la consommation patine. Et si la restauration collective permettait de changer la donne ? C’est le pari de la startup marseillaise Fayo. Sa recette : des gammes de produits à base de légumineuses locales, bio, très peu transformées et faciles à cuisiner. Déclinées en fonction des terroirs.
«Que ta nourriture soit ton médicament » disait Hippocrate. Et si elle était aussi un remède pour notre planète ?
« L’élevage pourrait être la première cause de réduction de la biodiversité », indique ainsi dans un rapport l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Citant son impact sur la déforestation (65 % de la déforestation est causée par l’élevage bovin), la dégradation des sols, les pollutions, le changement climatique ou encore la surpêche. Il y a urgence à changer notre alimentation, et en particulier à la végétaliser. Et sur ce point, les légumineuses offrent une alternative particulièrement intéressante.
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Moindre impact environnemental
D’après l’Ademe, alors que la production de 100 g de bœuf cru émet 3,5 kg de gaz à effet de serre, celle de légumineuses n’en émet en moyenne que 120g. Par ailleurs, explique l’agronome et directrice de recherche à INRAE Marie-Hélène Jeuffroy : « Les légumineuses ont la propriété de fixer l’azote atmosphérique. Leur culture ne nécessite donc pas d’engrais azotés ». Engrais azotés qui ont la vertu de doubler voire tripler les rendements. Mais qui posent de nombreux problèmes d’un point de vue environnemental. Parmi eux : une fabrication dépendante du gaz russe, et l’émission de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre près de 300 fois plus polluant que le CO2 au moment de l’épandage … Ces engrais sont également impliqués dans diverses pollutions de l’air, du sol et des eaux.
Pourtant, malgré leurs qualités, les légumineuses – légumes secs plus spécifiquement- sont tombées en désuétude ces dernières décennies. Leur consommation a ainsi été divisée par quatre en vingt ans. «Après guerre, on les a considérées comme les protéines du pauvre. Tandis que la viande était perçue comme un signe de richesse », observe Marie-Helène Jeuffroy. Un message largement mis en avant par les défenseurs de l’industrie de la viande, dont la capacité d’influence sur l’échelon politique est très forte. Face à cela, pas facile d’invoquer la responsabilité individuelle en demandant aux citoyens de changer leurs habitudes de consommation au quotidien. La bataille est culturelle. Et elle ne se joue pas à armes égales.
Devenir le Fayo des cantines
Néanmoins, il est un territoire où les défenseurs de la végétalisation de notre alimentation ont une marge de manœuvre pour impulser le changement : la restauration collective. Depuis 2018, la loi Egalim impose aux établissements de la restauration collective de proposer dans leurs menus une certaine part de produits bio, locaux, sous signes de qualité … ainsi que des menus végétariens. Ce, à raison d’une fois par semaine. C’est dans cette brèche que souhaite s’engouffrer une toute jeune entreprise marseillaise. La dénommée Fayo.
« Fayo, cela veut dire haricot sec en langage familier. Et Fayot, c’est aussi celui qui veut être le chouchou. Notre slogan, c’est justement d’être le chouchou des cantines. Pour cela, nos produits essaient de cocher toutes les cases. De faire les choses bien. Donc d’une certaine manière, d’être de bons fayots », explique Arthur Thuet, directeur commercial de l’entreprise.
Des produits végétaux bio, locaux et faiblement transformés
Fayo sort de terre mi 2023. Elle germe de l’idée de ses trois fondateurs. Arthur Thuet est de ceux-là. Il a travaillé pour un fonds d’investissement en Afrique. Et il s’intéresse beaucoup à la cuisine et à l’évolution des pratiques alimentaires. À ses côtés, Thibault Suly, un ami d’enfance, est passionné par la préservation du vivant. En particulier dans l’agriculture. La troisième de la bande est Laura Maindivide. Une ingénieure agroalimentaire qui a touché de près les méfaits de l’ultra-transformation alimentaire.

Une équipe complémentaire du champ à l’assiette. Et une envie commune : celle de bousculer le catalogue des produits végétaux que l’on propose habituellement comme substituts à la viande. «Nous trouvions que les produits proposés étaient beaucoup trop transformés, standardisés, avec des ingrédients qui ressemblent plus à des médicaments qu’à des aliments ». À la place, ils veulent proposer un univers de produits conforme à leur vision de ce qu’est une bonne alimentation. Bonne aussi bien pour la santé que pour la planète, et l’économie locale.
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Une démarche qui commence dès le champ. « Notre premier pilier est de nous appuyer sur une agriculture durable, bio, locale ». Équitable aussi. «On ne négocie pas les prix. On demande aux producteurs d’un territoire quelles sont les légumineuses qu’ils peuvent nous proposer et on construit nos recettes à partir de cela ». Dans le Sud-Est, où a démarré l’activité de l’entreprise, la recette se compose ainsi de lentilles, pois chiches, petit épeautre, eau, sel, poivre, et jus de citron. Des ingrédients simples, donc. Et une transformation la plus douce possible. «On ne recourt qu’à des process relativement doux : trempage, broyage, mélange, cuisson ». Comme à la maison en somme. De sorte que les produits Fayo ont obtenu l’allégation « Ingrédients simples » qui distingue les produits industriels proches du fait maison.

Une gamme territorialisée
À terme, la marque prévoit d’élargir sa gamme au gré de son étalement géographique. Après sa gamme Sud-Est commercialisée depuis septembre 2024, elle en lance une seconde pour le Nord-Ouest : haricots rouges, pois cassés, épeautre, blé, engrain. À terme, la production est censée être réalisée dans un atelier de production dans chacune des grandes régions. « Pour le moment, nous externalisons notre fabrication auprès d’une entreprise partenaire dans le Luberon. Mais nous prévoyons d’ouvrir notre premier atelier dans le Sud-Est d’ici fin 2025 ». D’autres suivront dans les autres territoires, au gré du développement commercial.
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À la sortie d’usine, Fayo distribue aux restaurants collectifs (scolaires dans l’immense majorité des cas) trois formats de son produit. Un lingot de 2,5 kg, des pépites pour remplacer de la viande hachée, ou encore des palets, pensés pour se faufiler à l’intérieur d’un hamburger ou d’une tartelette. « Ces produits sont assez neutres en goût, ce qui permet de les intégrer à toutes sortes de recettes ». Lasagnes, hachis, chili, gratins, légumes farcis … « Nous travaillons avec un chef référent qui opère lui-même dans une cuisine centrale. Il crée pour nous des recettes et les teste auprès de ses jeunes convives, ce qui lui permet d’avoir immédiatement des retours et de les adapter si besoin ». Car face au palais exigeant des enfants pour qui les substituts habituels à la viande ne sont pas toujours appréciés, la question du goût est capitale. « Si l’on veut revenir tous les mois dans les menus, il faut que nos recettes plaisent et que le gaspillage ne soit pas trop important ».
Travail de fourmi
En 2025, Fayo prévoit de vendre entre 30 et 40 tonnes de produits pour passer à 70 en 2026. Pour cela, il faudra poursuivre le travail de fourmi entamé depuis le lancement de la marque : repérer les restaurants collectifs et identifier leurs gestionnaires : des collectivités publiques dans 60 % des cas, mais aussi des grands groupes qu’il faut du temps pour conquérir. Si cette mission est pour le moment assurée essentiellement par Arthur, des commerciaux devraient bientôt venir l’épauler. « Nous allons lancer des recrutements pour le quart Nord-Ouest ».
Pour rentabiliser son activité, la jeune entreprise doit aussi trouver sa place dans les rouages de la distribution. « Ce n’est pas facile de trouver les bons grossistes, les bons partenaires logistiques … Ils ont l’habitude de travailler avec de gros acteurs et hésitent parfois à laisser leur chance à de petits acteurs comme nous », regrette le directeur commercial de Fayo.
Pour l’heure, l’entreprise distribue ses produits auprès d’une soixantaine de cuisines. Parmi elles, bon nombre sont gérées pas des sociétés de restauration collective particulièrement engagées sur le bio, le local et la lutte contre l’ultra-transformation. À l’instar de Garrig, Dupont Restauration ou Sud-Est Restauration. De quoi inspirer les mastodontes du secteur ? « Des discussions sont en cours », assure Arthur Thuet.
Vers une marque grand public ?
Si l’entreprise a choisi de commencer par la restauration collective, c’est parce qu’elle sait que ce marché est appelé à beaucoup évoluer grâce à la loi Egalim. « C’est aussi plus avantageux au niveau des volumes, de la récurrence, et on sait immédiatement si le produit plaît ou pas ». Et en ciblant les jeunes palais, elle espère contribuer à l’éducation aux goûts de ces derniers. Ce, dans un contexte où le sujet de la réduction de notre consommation de viande fait souvent crisser les discussions. En témoignent les attaques contre les appellations de « steaks végétaux ».
« Les gens, y compris dans la restauration collective, sont attachés à la cuisine traditionnelle. Avec notre Lingot, l’idée n’est pas de copier la viande, mais de prendre de la hauteur avec un produit végétal qui valorise le terroir tout en collant à l’univers gastronomique de nos clients. »
Pour mener la bataille culturelle, Fayo envisage aussi de proposer des gammes à destination du grand public. D’abord en fournissant des fabricants de plats cuisinés. Puis, pourquoi pas, avec une marque qui lui serait propre. « Ce ne sont pas les mêmes enjeux marketing, cela coûtera beaucoup plus cher. Mais c’est de cette manière que nous pourrons vraiment créer un univers de marque qui donne envie de consommer plus de légumineuses ». ♦
Bonus
#Légumineuses : une filière prometteuse, mais sous-investie – Boudées par les consommateurs, les légumineuses ont aussi souffert d’un manque d’investissements ces dernières années. En résulte un certain retard en matière d’innovation. Tant sur les variétés, l’agronomie, que sur les outils facilitant le travail des collecteurs. Ou encore sur les processus de transformation. Pourtant, ces innovations sont essentielles pour relancer la filière. Pour massifier la consommation de légumineuses, il faudra peut-être être en mesure de les transformer à échelle industrielle. Ce qui nécessite de disposer de variétés adaptées aux différentes recettes. Plusieurs initiatives ont été lancées en ce sens. Parmi elles, Semences de Provence, filiale recherche du groupe coopératif Arterris, a lancé Im’Pulse Seeds, un programme de création de variétés de légumes secs.
#Approvisionnement – Pour l’heure, Fayo s’approvisionne auprès d’un moulin et de deux coopératives d’agriculteurs en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Occitanie. Si elle s’appuie pour l’heure sur la production disponible, elle commence à se pencher sur la contractualisation. Histoire de s’assurer des volumes sur de plus longues périodes.