EnvironnementSociété

Par Zoé Charef, le 24 octobre 2024

Journaliste

Grenoble : comment vivre en ville avec 50°C ?

Le 4 octobre dernier, Grenoble accueillait le Climat Libé Tour autour des questions du dérèglement climatique. Lucie Castets, Christophe Ferrari, Valérie Masson Delmotte et Aymeric Bosneagu débatent devant une salle comble. © Pierre Jayet / Grenoble Alpes Métropole

À l’horizon 2050, des territoires urbains tels que Grenoble, en Isère, enregistreront des températures avoisinant les 50°C, et ce pendant de longues périodes. Malgré les nombreuses alertes et connaissances scientifiques, les spécialistes regrettent l’inaction politique et le manque de moyens financiers. Pour adapter les villes au réchauffement climatique, mais surtout les rendre viables pour leurs habitants. Retour sur la conférence du Climat Libé Tour dédiée au sujet.

« Finalement, il faut remettre les choses fondamentales sur le devant de la scène. Qu’est-ce qu’une ville habitable ? Qu’est-ce que respecter la dignité des personnes et leurs droits ? », synthétise Valérie Masson-Delmotte, membre du Haut Conseil pour le climat et ex-coprésidente du groupe 1 du Giec. La paléoclimatologue poursuit : « À quoi tenons-nous vraiment ? Comment éviter une mal-adaptation des villes et améliorer les conditions de vie pendant les épisodes de chaleurs de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses ? »

Mais aussi, comment financer les mesures d’adaptation au changement climatique ? Et que prioriser ?

Tant de questions posées et autant de réponses à trouver lors de la conférence « Grenoble à 50°C » : comment mieux vivre en ville ? qui s’est tenue le vendredi 4 octobre dans le cadre du Climat Libé Tour. Pour en débattre, aux côtés de la paléoclimatologue étaient ainsi présents Christophe Ferrari, président divers gauche de Grenoble-Alpes Métropole, Aymeric Bosneagu, membre de la Convention citoyenne métropolitaine pour le climat et Lucie Castets, ex-candidate du Nouveau Front Populaire et fondatrice du collectif Nos services publics

« Comment encaisser les conséquences du réchauffement climatique ? »

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Le 4 octobre dernier, Grenoble accueillait le Climat Libé Tour autour des questions du dérèglement climatique. Ici, Lucie Castets et Christophe Ferrari. © Pierre Jayet / Grenoble Alpes Métropole

Journaliste spécialisée dans les questions d’environnement à Libération, Aurore Coulaud, contextualise d’abord la situation actuelle en France : « Les territoires urbains sont particulièrement sensibles à la chaleur et cette vulnérabilité se renforce avec l’accélération du changement climatique. Si rien n’est fait, en 2050, petites et grandes agglomérations seront invivables. » À Grenoble, les prévisions suggèrent des températures à plus de 35 degrés pendant 43 jours par an, avec une multiplication par six du nombre de nuits tropicales (quand la température ne descend pas en dessous de 20°C). Alors, la métropole (et plus largement le pays) dispose-t-elle des outils nécessaires pour anticiper et « encaisser » les conséquences d’un réchauffement climatique à +4 degrés d’ici 2100 ?

Plusieurs fois repoussé et réclamé par la Cour de comptes, le Haut conseil pour le climat et diverses associations écologistes, le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique vient de paraître. Outil essentiel mais pas au niveau, maintenant que « nous avons eu plusieurs matérialisations des limites à nos capacités de réponse, explique Valérie Masson-Delmotte. Les pluies extrêmes et inondations graves augmentent avec le climat qui se réchauffe et en sont un bon exemple. Tout comme le nombre record de nuits tropicales à Nice. On voit que les mécanismes de gestion de crise ont été dépassés et que ces vulnérabilités sont très difficiles à porter politiquement. Les documents stratégiques permettent-ils de mieux nous préparer ? Force est de constater qu’aujourd’hui, ce n’est pas le cas. »

Manque de financement criant… 

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Grenoble, ville de montagne coincée entre la pollution et la chaleur, cherche des solutions. ©DR

La paléoclimatologue explique à l’audience le décalage entre les connaissances scientifiques acquises, le cadre réglementaire inadapté et la difficulté d’investir de manière résiliente. Le président de la métropole de Grenoble acquiesce. « L’accroissement prévu des épisodes caniculaires, en durée mais aussi en amplitude, est tel que si rien n’est fait, notre agglomération deviendra difficilement viable. » 

Bien que les collectivités soient déjà à pied d’œuvre sur la dimension de santé publique d’urgence, Christophe Ferrari souligne le besoin d’accélération des stratégies de la métropole. « On le fait avec les moyens qui sont les nôtres, c’est-à-dire des budgets de collectivité qui ne suffisent pas pour rénover et adapter les logements, désimperméabiliser la ville, planter des arbres, construire des réseaux de chaleur urbains avec des énergies renouvelables… Le Plan national d’adaptation est une impérieuse nécessité car nous devons passer à la vitesse supérieure. Mais il nous faut des moyens financiers – colossaux, on le sait – à la hauteur. On a vraiment besoin de la puissance d’action de l’État, de l’Europe et de chacun et chacune. »

… et inaction politique 

« Aujourd’hui, l’État réduit les budgets du Fonds vert pour les collectivités [de 2,5 à 1 milliard d’euros, NDLR], regrette Lucie Castets. Non seulement on n’investit pas massivement dans l’adaptation, mais en plus on recule ! Pour financer ces investissements, il faudrait mettre en place trois leviers : le fiscal, l’endettement public, et une meilleure orientation de nos dépenses. »

La fondatrice du collectif Nos services publics poursuit sa démonstration. Elle estime que pour déterminer les priorités, il faut « s’appuyer sur les connaissances scientifiques et délibérer collectivement sur le chemin à prendre. Il faut penser les politiques publiques dans leur ensemble, avec des réussites et des échecs car c’est normal de tâtonner dans une situation aussi difficile. Or, pour l’instant, l’État n’œuvre pas dans le sens de la transition écologique », déplore-t-elle. Christophe Ferrari insiste, à la volée : « L’effort fait par la Métropole n’est pas soutenu à la hauteur des enjeux par l’État : ni en moyens financiers, ni en stabilité des dispositifs d’aide, ni en adaptabilité géographique des normes. » 

Grenoble la pionnière

Malgré ces freins, « la métropole de Grenoble, pionnière en matière de transition écologique, développe de nombreux dispositifs face au réchauffement climatique », note Libération. En 2005, Grenoble-Alpes Métropole était la première collectivité à se doter d’un plan climat pour protéger ses quelque 450 000 habitants. Ainsi, 70% des espaces publics des nouveaux quartiers seront désimperméabilisés (contre 7% autrefois) pour permettre l’infiltration des eaux pluviales et éviter l’accumulation de chaleur.

Grenoble : comment mieux vivre en ville à 50°C ?
L’affiche des débats du Climat Libé Tour à Grenoble en 2024.

Aymeric Bosneagu liste les propositions faites lors de la Convention citoyenne métropolitaine pour le climat à laquelle il participait en 2022. « Hormis les montagnes voisines qui sont une bonne solution pour trouver de la fraîcheur, de nos discussions est ressorti le besoin de végétaliser notre ville. Tout comme l’idée de mutualiser certains lieux publics, notamment les cours d’école, disponibles l’été et ombragées. » Peindre les toitures en blanc, comme la salle de spectacle Bifurk, ou encore rénover les anciennes fontaines pour en faire des espaces de fraîcheur, sont quelques unes des solutions envisagées par Grenoble. Ce à quoi le président de la métropole ajoute l’isolation thermique des bâtiments. « Mais le problème est que nous sommes assaillis de priorités ! Entre les infrastructures, la mobilité, l’alimentation, l’industrie… », souffle Christophe Ferrari.

Alors, compte tenu des publics vulnérables et de l’augmentation des températures, comment éviter la mal-adaptation d’une ville ? Si Valérie Masson-Delmotte fait la démonstration que le chemin est encore long, elle reste toutefois optimiste. Et prône des adaptations à l’échelle des quartiers, « souvent la bonne échelle pour avancer dans le bon sens et éviter les sources de conflits. »