Solidarité
La Halte Vincent remet de l’humain dans les prisons
Les proches des détenus se sentent souvent perdus et esseulés face au fonctionnement du système carcéral. Mais ils peuvent compter sur l’accompagnement et l’écoute des bénévoles de la Halte Vincent. Au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, à leurs côtés depuis quarante ans, ils insufflent de l’humanité entre ces murs qui en manquent tant.
Comment obtenir un parloir avec un détenu ? Et quelles affaires est-il possible de lui apporter ? Comment lui envoyer de l’argent ? Autant de questions qui assaillent les familles de personnes se retrouvant derrière les barreaux. Et autant de réponses que sont prêts à donner les bénévoles de la Halte Vincent. Ils disposent pour cela de leur propre bureau au sein de la maison d’arrêt pour hommes d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône). Et se positionnent aussi directement dans l’espace d’accueil de l’établissement, au plus près des visiteurs qui s’y regroupent en attendant l’heure de leur parloir. « On arrive à être présents toute l’année, même pendant l’été. Du mardi au samedi (ndlr : jours ouverts au parloir), dès 7h15 et jusqu’à 17h30-18h », souligne Marie-Noëlle Butignot, présidente de cette structure appartenant à la Fédération française des équipes Saint-Vincent (lire bonus).
Précieux renseignements

Le collectif aixois ne compte pourtant que 25 membres. Des personnes pleinement actives et investies : chacune assure a minima une permanence d’une demi-journée par semaine. « On donne des renseignements d’ordre pratique sur le fonctionnement de la prison et des parloirs. En anticipant des tas de choses que les familles ne peuvent pas savoir », explique Marie-Noëlle Butignot. Comme de ne pas porter de soutien-gorge avec des baleines, qui risquent de faire sonner le portique de sécurité. Ou de prévoir un sac cabas avec fermeture éclair afin de passer du linge à un détenu. Autant d’informations souvent essentielles qui, lorsqu’elles sont ignorées, peuvent avoir de lourdes conséquences – l’annulation du parloir notamment.
La Halte Vincent a en outre aménagé dans un coin de l’accueil un espace pour les enfants. Livres, coloriages, jeux… De quoi les occuper. Car l’attente est longue dans l’enceinte pénitentiaire. « On demande aux familles de venir 30 minutes avant l’heure du parloir. Celui-ci dure 55 minutes mais avec les contrôles en amont et aval, il faut prévoir au moins deux heures de présence. S’il n’y a pas de retard… », indique Chantal, à la double casquette de trésorière et bénévole.
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Chaleur humaine

Au-delà des informations et renseignements, c’est de l’humain qu’offrent les bénévoles de la Halte Vincent. « En étant présents physiquement, on apporte un sourire aux familles », glisse la présidente. Loin d’être anecdotique dans un univers carcéral froid et austère. Ce que dénoncent d’ailleurs les proches de détenus (bonus). « On est pris de haut, les explications sont sèches et difficiles, il n’y a aucune humanité », regrette une conjointe. Et une autre d’ajouter : « On est souvent jugés. Ça fait du bien des gens comme [les bénévoles] à qui on peut parler sans avoir peur ».
Les familles accompagnées ne manquent jamais de remercier l’association. « Lorsqu’elles repartent, elles ont elles-mêmes le sourire », apprécie Martine, bénévole, également secrétaire de l’association. « Et quand nous on repart, on se dit qu’on n’est pas venus pour rien », complète Cassilda, emblématique membre de par son sourire et son dynamisme – et sa longévité avec trente années au compteur à la Halte Vincent. Un sentiment pleinement partagé par ses homologues. « On donne de notre temps et on reçoit beaucoup en retour. Cela nous touche car notre volonté est vraiment d’aider les familles. Il y a des besoins en bénévolat partout, mais ici particulièrement », appuie Marie-Noëlle Butignot.
Collectif d’associations

La Halte Vincent soutient une centaine de personnes chaque jour en moyenne. Preuve de son caractère essentiel. « Ce n’est tout de même pas normal que ce rôle soit assuré par des bénévoles et que l’administration pénitentiaire se décharge de l’accompagnement des familles », dénonce un proche de détenu. Néanmoins, l’équipe précise de son côté qu’elle accomplit sa mission aux côtés de salariés de l’administration pénitentiaire.
D’autres structures interviennent aussi auprès des détenus de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes et de leurs proches. À l’image de l’Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP), de la Croix-Rouge française ou du Secours Catholique. Toutes se sont réunies au sein du Groupe local de concertation des prisons (GLCP) d’Aix-en-Provence. Ensemble, elles préparent, par exemple, des colis de Noël pour les détenus dits « indigents » (ceux qui ne reçoivent pas d’aide financière de leur entourage).
Par ailleurs, le GLCP organise chaque année une exposition pour sensibiliser aux conditions de vie en prison et casser les idées reçues à ce sujet. Et s’appuie pour cela sur la réplique d’une cellule type de 9 m². « Certains visiteurs nous disent : “C’est la taille d’une chambre d’étudiant”. Sauf que les étudiants ne sont pas deux ou trois dans cet espace, n’ont pas de barreaux à la fenêtre et peuvent sortir à leur guise », souligne Chantal. La France a d’ailleurs été à plusieurs reprises épinglée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en raison des mauvaises conditions de détention dans ses prisons (bonus).
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Quarante ans mais ce n’est pas fini !
La Halte Vincent d’Aix-Luynes accueille toute nouvelle force volontaire pour agrandir ses troupes. Elle vient d’ailleurs de fêter cette année son 40ème anniversaire. « À nos débuts, la prison se situait dans le centre-ville d’Aix-en-Provence. Il n’y avait pas à l’époque de lieu d’accueil pour les familles, si bien qu’elles attendaient devant la porte, dans la rue », rembobine Marie-Noëlle Butignot.
Face à ce manque de considération, des « madame tout le monde » (car les équipes Saint-Vincent étaient dans le passé seulement constituées de femmes) ont entrepris la démarche auprès des institutions pour en ouvrir un. Et lorsque la maison d’arrêt de Luynes a été construite et a pris la relève en 1990, l’association a directement disposé de son local. Une histoire qui n’est pas prête de s’arrêter compte tenu des besoins. ♦
Bonus
# Pour rejoindre ou contacter l’équipe de la Halte Vincent Aix-Luynes : 07 86 96 56 92 – halte.vincent.aix@gmail.com
[pour les abonnés] – Six Haltes Vincent en France – « Femmes de l’ombre », quand les mères et conjointes des détenus témoignent – Conditions de détention : la France très mauvaise élève –
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# Six Haltes Vincent en France – Outre Aix-Luynes, d’autres équipes se trouvent à Marseille, Nanterre, Paris, Lannemezan et Versailles. Elles font partie de la Fédération Française des Équipes Saint-Vincent, qui compte 66 équipes dans 44 villes. Chacune a pour but « d’agir avec tous ceux qui vivent des situations de souffrance, de pauvreté, d’injustice, de violence, contre toutes les formes de détresses matérielles, physiques ou morales, dans le respect des personnes et sans discrimination d’aucune sorte ». Selon les situations locales, elles développent différentes actions de solidarité dans le but de favoriser le lien social. Leur liste et activités sont à retrouver en cliquant ici.
# « Femmes de l’ombre », quand les mères et conjointes des détenus témoignent – Ce projet a été réalisé par cinq étudiantes. En deuxième année de formation d’éducateur spécialisé, elles ont passé deux jours avec la Halte Vincent d’Aix-Luynes dans le cadre d’un projet collectif sur le thème de la parentalité. Elles ont recueilli le témoignage des mères et conjointes de détenus. Leurs mots ont été exposés en novembre sur les murs de la cellule reconstituée par le Groupe local de concertation des prisons. La Halte Vincent réfléchit désormais à rendre ce travail accessible.
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# Conditions de détention : la France très mauvaise élève – À la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, la surpopulation est telle que l’établissement compte 2 000 détenus pour 1 400 places. Un cas loin d’être isolé. Au 1er avril 2024, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), l’autorité indépendante chargée du contrôle des établissements pénitentiaires, dénombrait 77 450 détenus pour 61 570 places de prison. Le taux d’occupation moyen des maisons d’arrêts atteint ainsi près de 150%. Pour ces raisons, la France a été condamnée ou rappelée à l’ordre à de multiples reprises et par différents organismes (Cour européenne des droits de l’homme, Comité des ministres et Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, Nations Unies, institutions nationales indépendantes…). Sans que de grandes améliorations n’aient pour autant lieu.