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Il faut sauver le soldat loutre !
[bestiaire] La Société française pour l’étude et la protection des mammifères pilote depuis quatorze ans le plan national d’actions en faveur des loutres d’Europe. Cette bête est de retour en France, mais sa situation demeure vulnérable. Des initiatives existent pour la protéger au niveau local.
[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, voici une version radio destinée aux lycéens]

Régulièrement, des naturalistes, en France, explorent les berges. Le long des fleuves, des rivières, des ruisseaux, des passionnés, jumelles à la main, prospectent le sol pour tâcher de trouver des traces de passages de la loutre d’Europe. Typiquement, ils traquent les épreintes, à savoir les excréments laissés sur une pierre ou au pied d’un arbre aux effluves… de miel et de poisson. Parfois, ils montent sur une barque ou un canoë pour observer au plus près les cours d’eau. Là où le mammifère emblématique se construit une catiche, sorte de terrier lui permettant d’attraper ses proies, des poissons, des écrevisses, des oiseaux.
Or, il n’est guère évident de croiser sa route. Comme l’indique Cécile Kauffmann, chargée de mission au sein de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM), “l’animal a plutôt tendance à fuir les humains et à sortir au crépuscule”. Au point que l’on ignore la densité de population de l’espèce en France et le nombre d’individus présents.

Disparition
Ce qu’on sait en revanche : les lutrinés arpentent à nouveau nos contrées sur une large moitié sud et ouest de l’Hexagone. Les bêtes avaient failli disparaître du paysage à la fin des années 70. “La loutre avait colonisé au début du siècle dernier l’ensemble du pays, à l’exception du bassin parisien et de la Corse. Mais, précise la spécialiste, elle a tellement été chassée pour sa fourrure – avant que la pratique ne soit interdite en 1972 en France – qu’il ne restait plus que quelques foyers de populations sur le littoral atlantique et dans le Massif central.”

La bête a aussi pâti de sa réputation : “On considérait qu’elle piquait les ressources des pêcheurs en chassant les mêmes espèces qu’eux.” Et puis elle a été la victime, comme d’autres animaux, de l’urbanisation et de l’artificialisation des sols après la Seconde Guerre mondiale. “Les loutres ont souffert des ruptures écologiques importantes au fur et à mesure que les barrages sur les cours d’eau ont été conçus, que nous avons développé le réseau autoroutier…” Verdict : les loutres ont vu leur territoire se rétrécir. Il en est allé de même pour ses ressources alimentaires…
Un plan national d’actions
Pour autant, une prise de conscience a émergé dès les années 80. Et des actions ont été mises en place dans le but de conserver et de réintroduire les populations. En 2010, un premier plan national d’actions (PNA) en faveur de la loutre d’Europe, financé par la DREAL Nouvelle-Aquitaine, a été lancé pour une durée de cinq ans. Puis un deuxième en cours jusqu’en 2028.
Depuis le début, ce PNA est piloté par la SFEPM, qui vise notamment à synthétiser les données recueillies par les acteurs de terrain dans le but d’établir une carte de répartition de la loutre en France, mise à jour régulièrement. “L’idée, explique Cécile Kaufmann, en charge du PNA au sein de son association basée à Bourges, c’est de favoriser le retour des individus dans ses anciennes aires de répartition et d’arriver à ce qu’ils se maintiennent dans la durée.”

Des passages à loutres
Pas une mince affaire, d’autant que le mammifère semi-aquatique a besoin de place. “Une loutre s’approprie en moyenne un espace mesurant entre 10 et 40 kilomètres de linéaire de cours d’eau. Et cette zone, elle ne la partage pas avec les autres de son espèce… Donc avant de trouver un espace disponible, souligne-t-elle, une loutre se déplace parfois énormément…” Au risque de se faire écraser par les automobilistes. « Il y a eu près de 120 cas de collisions routières mortelles en 2023”, note Cécile Kauffmann, dont la structure assure également le recensement des cadavres des lutrinés.
Certaines initiatives y remédient. En particulier au niveau des ponts. « Certaines loutres veulent passer par en haut et traverser la chaussée. Ce peut être en raison du diamètre trop étroit de l’ouvrage, d’une vitesse de courant trop rapide ou des périodes de crue. » Ainsi, Cécile Kauffmann invite les collectivités à construire “des banquettes à loutres ou des ponts flottants fixés le long de la bordure”. Bientôt, l’outil numérique “Passages faune”, piloté par le ministère de la Transition écologique, offrira la possibilité de les recenser en France. Mais pour l’instant, on ignore leur nombre exact.
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Havres de paix
La SFEPM aide également les pisciculteurs à améliorer la cohabitation entre non-humains et humains. « Certaines loutres se servent dans des bassins, ce qui porte préjudice aux professionnels. Un médiateur peut venir réaliser une expertise et proposer des aménagements, comme l’installation de grilles de protection. Afin de faire en sorte que le petit mammifère ne chasse plus les poissons. »
Autant les décideurs que les gestionnaires ont à disposition les guides de la SFEPM visant à sensibiliser les uns et les autres. Ils recensent également les bonnes pratiques au niveau des berges. Dans cette optique, l’association propose aux propriétaires de terrains situés à proximité d’un cours d’eau de créer des havres de paix pour la loutre, sur le même modèle que les refuges LPO.
“Les particuliers, les entreprises ou les communes peuvent signer une convention avec la SFEPM. Et ainsi s’engager à ne pas couper la végétation rivulaire, à ne pas déverser de produits toxiques ou à installer des catiches artificielles sur leur espace. » Imaginée au départ par le Groupe mammalogique breton, une association de protection de mammifères, l’opération a été déployée au niveau national en 2014. Et des havres de paix, il y en a désormais “plus de 200” dans l’Hexagone.
Le combat n’est pas terminé. Lutra lutra, de son patronyme scientifique, reste vulnérable. L’espèce a certes été classée, en 2017 par l’IUCN, en « préoccupation mineure » sur la Liste rouge des mammifères en danger de France métropolitaine. Mais l’animal n’a pas encore investi la partie Nord et Est du pays. Selon Cécile Kauffmann, « il est important de poursuivre l’effort collectif dans la durée. » ♦
*Cet article a été initialement publié le 12 juillet 2024
Bonus
# La loutre ne donne pas la main. La loutre d’Europe est la seule loutre à évoluer en France. C’est une bête très solitaire. Le mâle et la femelle vivent séparément, chacun son territoire. Ils ne se croisent qu’une fois par an le temps de la reproduction. Et ne se donnent donc pas vraiment la main, comme on peut le voir sur certaines vidéos partagées sur les réseaux sociaux…