Agriculture
Technologie ou agriculture locale : le casse-tête de la zac Savoie Technolac
À Chambéry, alors qu’un projet d’extension de la zone d’activité Savoie Technolac doit être déclaré d’intérêt public par le préfet prochainement, les agriculteurs locaux montent au créneau. Ils sont inquiets pour l’avenir de ces terres fertiles, que menace cette urbanisation. Et rappellent l’urgence d’une autonomie alimentaire qui peine à atteindre 2% dans la région.
Le couperet est tombé : l’enquête publique a débouché sur un avis favorable. L’extension de Technolac aura bien lieu. Aux abords de Chambéry, non loin du lac du Bourget, en Savoie, une zone agricole de 21,5 hectares est en passe de devenir la troisième extension d’un pôle d’activité. Une volonté de Chambéry-Grand Lac Economie (CGLE), un acteur majeur du développement économique local. CGLE « garantit aux entreprises les conditions essentielles à leur réussite : une localisation optimale à 45 minutes de deux aéroports internationaux, la présence de filières d’excellence, une offre foncière et immobilière […] », lit-on sur leur site internet. Le projet Technolac 3 va dans ce sens : permettre le développement d’entreprises déjà installées dans la vallée.
Mais du côté des agriculteurs travaillant sur cette vingtaine d’hectares, le moral n’est pas bon.
Bétonner des terres agricoles « très riches » ?

« Il est question de bétonner des terres agricoles très riches. Les dernières disponibles dans les environs », présente Quentin Degrange, agriculteur dans la trentaine. Déjà rachetées par Chambéry-Grand Lac Economie, les terres sont aujourd’hui exploitées par des agriculteurs – mais pour combien de temps encore ? Car malgré une majorité d’avis contraires et la création d’un collectif pour un projet agricole alternatif, en juillet dernier, la commissaire-enquêtrice a donné un avis favorable au projet émis de réserves. Les opposants à la Zone d’Aménagement Concertée 3 (ZAC 3) sont donc déçus.
« En tant qu’agriculteur exploitant qui vient de reprendre la ferme familiale, je vois là plusieurs points noirs, continue Quentin Degrange. La perte de terrain est non négligeable parce que la pression foncière est très importante. C’est super difficile de trouver des terrains plats, surtout avec la qualité agronomique qu’il y a sur Technolac. » Par exemple, le maïs n’a pas besoin d’y être arrosé tellement les terrains sont humides – même en période de sécheresse. Un atout de taille pour les agriculteurs. « Ça me pose problème que de si bons terrains soient pris pour faire des parkings ou des bâtiments. »
Préserver ces terres et nourrir la population

Elsa Sidawy aussi est impactée par cette crise foncière. Maraîchère, elle cherche un terrain dans le secteur pour s’installer depuis trois ans. « Et je ne suis pas près de trouver », regrette-t-elle dans un sourire crispé. Attachée à cette région, elle milite pour le développement d’activités agricoles en lieu et place de l’extension de cette ZAC attenante à l’aéroport de Chambéry. La maraîchère fait ainsi partie du Collectif pour un projet agricole à Technolac, créé en 2021. « Notre premier objectif, c’est de préserver ces terres. Même s’il y a d’autres enjeux économiques dans le projet, ces terrains cochent toutes les cases pour l’agriculture, donc il ne devrait même pas y avoir de débat. »
Né d’une réflexion autour de l’alimentation et de l’agriculture sur le Grand Chambéry, ce collectif citoyen souhaite impliquer les agriculteurs locaux dans une activité vertueuse pour le territoire. Et à même de nourrir la population. Le noyau dur a rencontré des représentants de CGLE. « Pour discuter. Clairement, ils nous ont demandé ce qu’on voulait pour fermer notre bouche, commente amèrement Elsa Sidawy. De quoi avait besoin un maraîcher ou un éleveur pour vivre. Puis ces échanges sont restés lettre morte. Il y a eu une enquête publique de presque 700 contributions, à 95% contre le projet ZAC 3. »
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« On est à 2% d’autonomie alimentaire sur le grand Chambéry »

Le collectif reproche également au maire de la commune attenante, La Motte-Servolex, de tenir un double discours : « Il met en place une ferme pour alimenter la cantine centrale de La Motte en produits locaux, présente la maraîchère. C’est vertueux, c’est génial et c’est bien pour le développement durable. Mais que d’autres hectares agricoles puissent disparaître, ça ne l’inquiète pas. C’est lunaire. D’autant plus qu’il y a un lycée agricole sur la commune. »
Quentin Degrange et Elsa Sidawy sont révoltés. Et perdus. Ils estiment que couler du béton sur ces terres est une hérésie. Ils assurent que faire perdurer ces terrains et assurer les successions pour répondre aux besoins des habitants est une solution plus juste. « Le bassin de consommation énorme que nous avons n’est pas satisfait en local. On est à 2% d’autonomie alimentaire sur le Grand Chambéry. On est complètement dépendant des apports. C’est à contre-courant des volontés d’indépendance alimentaire dont parlent les communautés de communes », peste Elsa Sidawy .
Développer les entreprises ou préserver les terres agricoles ?

Côté CGLE, on plaide en toute logique pour le développement de ces zones d’innovation technologique. Savoie Technolac fédère depuis quarante ans un écosystème d’entreprises important, couplé à des centres de recherche et d’enseignement supérieur tels que le Centre d’ingénierie hydraulique d’EDF, l’INES CEA et l’Université Savoie Mont-Blanc. Agrandir leurs espaces de travail profiterait à « faire des énergies un enjeu de développement économique », selon leurs termes.
L’entreprise Atawey, spécialisée dans les stations de recharge d’hydrogène, s’y installerait. « Une pépite locale selon le maire, mais les autres zones de Technolac sont remplies de bureaux vides, assure Elsa Sidawy. Pourquoi en artificialiser une nouvelle ? Plutôt remplir l’existante ! » Alors, entre accueillir des entreprises locales dans l’innovation et l’énergie ou préserver des terrains agricoles, que faire ?
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« On est invisibilisés »

Quentin Degrange regrette de ne pas être inclus dans la réflexion du projet. « On veut pouvoir réfléchir avec eux, trouver un terrain d’entente. Au printemps dernier, on a envoyé des courriers contresignés par tous les agriculteurs exploitants à la Chambre d’agriculture, aux communautés de communes et au préfet. Le maire a daigné nous recevoir, mais pour nous expliquer que notre vision du projet n’était vraiment pas réalisable », décrit-il. Le maraîcher se rassure avec la conclusion de la commissaire-enquêtrice qui suggère aux élus de « penser au projet agricole sur cette zone. Et de voir avec les agriculteurs sur place. Donc nous ! J’ai renvoyé des mails pour (re)prendre contact. Zéro réponse pour l’instant. On est invisibilisés. »
En mettant aussi la loi Zéro artificialisation nette (Zan) sur la table, le collectif d’Elsa et Quentin espère faire reculer le début des travaux jusqu’aux prochaines élections municipales à Chambéry en 2026. Un conseil communautaire du Grand Chambéry est prévu le 19 décembre prochain. Affaire à suivre. ♦