Société

Par Maëva Gardet-Pizzo, le 20 décembre 2024

Journaliste

Ismaël Khelifa, passeur d’espoir

Au fil de ses voyages, Ismaël Khelifa s'évertue à mettre en lumières ceux qui agissent pour rendre le monde meilleur. Dans la joie et la partage. @MD

Du Sénégal à la Colombie, cet addict au voyage aime à raconter les combats de ceux qui n’attendent pas l’impulsion des pouvoirs publics pour agir et améliorer le sort de leurs contemporains. À l’occasion de la sortie de son premier roman, Ce que la vie a de plus beau, Ismaël Khelifa, le journaliste d’Échappées belles, a fait escale à Marseille. Et quelque part en haut de la Canebière, a pris le temps de partager avec nous sa vision du monde.

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Séance dédicace pour Ismaël Khelifa à Marseille. Ville qu’il connaît bien pour y avoir vécu trois ans. @MD

« J’ai mis un temps fou à finir ce livre. J’avais du mal à quitter mes personnages. Limite je leur disais bonne nuit », sourit-il, déclenchant les rires affectueux de la cinquantaine de personnes venues voir en vrai celui avec qui elles voyagent habituellement par télé interposée. Journaliste, présentateur de l’émission Échappées Belles, c’est aujourd’hui comme auteur de romans qu’Ismaël Khelifa est revenu dans la cité phocéenne. Pour y investir le deuxième étage de la libraire Maupetit, en haut de cette Canebière parée de ses lumières de Noël.

Marseille : une ville qu’il connaît pour y avoir vécu. Trois ans. De 2016 à 2019. Et qui l’a profondément marqué. « Cette humanité frontale qu’on se prend dans la figure », se rappelle-t-il, triturant la collection de bracelets à perles colorées qui ornent son poignet. Il garde en mémoire son franc-parler. Le drame de la rue d’Aubagne. Les inégalités palpables à chaque coin de rue. Mais aussi « ces gens qui prennent les choses en main ». À l’image du Grand Bleu, cette association du nord de la ville qui se bat pour permettre à tous les minots d’accéder en sécurité à la mer, dans une ville où un enfant sur trois ne sait pas nager. Il pense aussi à ces nettoyages citoyens et festifs qui refusent la fatalité selon laquelle Marseille serait une ville condamnée à la saleté.

Ismaël Khelifa, débusqueur d’espoir
Voyager, comme une quête permanente de foi en l’humanité @MD

Faire la part belle « à tous ceux qui construisent »

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Faire par soi. Compter sur la force du collectif. Prendre les devants quand les pouvoirs publics semblent ne pas être au rendez-vous. Voilà ce qui lui donne foi en l’humanité. Lui qui, très tôt, a été confronté à la violence en Algérie. Sur le capot de la voiture parentale, un islamiste face à un policier. Un couteau dans la main du premier.

« Mon père m’a empêché de voir la suite. Je ne sais pas comment ça s’est fini. Mais après ça, tu as deux options : soit tu décides de vivre, soit tu te replies sur toi. Ça m’a donné une espèce d’urgence de vivre ». Urgence à laquelle il répond à travers le voyage comme journaliste. Façon débusqueur d’espoir. Orientant les projecteurs sur les faiseurs de bonnes actions. Comme au Sénégal, où des citoyens, des pêcheurs, harassés après leur journée de travail, replantent mètre par mètre la mangrove de Casamance, détruite car surexploitée.

« On a beaucoup tendance à se tourner vers ceux qui détruisent. Pourtant, il est essentiel de faire la part belle à tous ceux qui construisent, qui veulent qu’on vive bien tous ensemble », assume Ismaël Khelifa, conscient du côté « Bisounours » que l’on pourrait lui reprocher. Un changement de regard qui serait, pense-t-il, plus propice à mobiliser face à une urgence environnementale qu’il constate au quotidien. Dans ses voyages, mais surtout en Haute-Savoie, sa région de naissance retrouvée après ses années marseillaises. « J’ai des photos de moi petit devant la Mer de Glace. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Le constat est terrible et implacable ».

♦ Lire aussi : Raconter le voyage pour susciter l’envie

Une écologie émancipatrice

Néanmoins, il regrette que ceux qui, comme lui, peuvent être amenés à parler d’écologie, soient sans cesse sommés de « montrer patte blanche. Il faut faire la preuve de sa pureté écologique. Comment on s’habille ? Est-ce qu’on prend l’avion ? Est-ce qu’on mange de la viande ? Sur l’avion, nous faisons des efforts dans Échappées belles pour tourner de plus en plus d’émissions en France. On fait de notre mieux. Mais ce ne sera jamais pur et parfait », s’agace-t-il.

Il regrette un discours écologiste culpabilisant et globalisant qui exclut trop de bonnes volontés selon lui. Et dont le vocabulaire pourrait, suppose-t-il, agir comme un repoussoir. À l’image des termes d’éco-anxiété, ou encore du mouvement « no kids » consistant à ne plus faire d’enfants pour réduire la pression de l’humain sur les écosystèmes naturels. « Faire des enfants, c’est une source de joie, d’avenir. Cela amène d’autres idées. On se décentre de soi ». Et d’en appeler, au contraire, à une écologie comme discipline d’émancipation. « L’écologie peut être le moyen de redonner du sens à nos vies », pense le jeune père de famille, quelque peu éreinté par une nuit ponctuée des réveils de ses deux garçons de quatre et six ans.

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Ismaël Khelifa regrette un discours sur l’écologique qu’il juge trop globalisant, trop excluant. @DR

Papa, et prêt à prendre la parole

La paternité est justement au cœur de son premier roman « Ce que la vie a de plus beau » (bonus). « En 2016, une histoire m’a brûlé les veines. L’idée d’en faire un roman me tenait en haleine. Puis le fait de devenir papa m’a poussé à m’y mettre. J’ai senti à ce moment-là que j’étais prêt à prendre la parole ».

Une parole qu’il veut nuancée. Or le roman, la fiction, sont d’ailleurs un terrain de jeu propice à la complexité, à l’empathie. Des notions qui lui sont chères. « Dans ce livre, je parle du rapport père-fils qui est souvent plein d’ambivalence ». Et de citer l’exemple de son père, cet avant-gardiste né en 1942 en Algérie « qui s’occupait de la majorité des corvées à la maison ». Un homme plutôt mutique, mais « extrêmement enveloppant et très drôle ».

Lui aussi se dépeint comme un père tout en contrastes. Absent cent jours par an par obligation professionnelle. Mais pleinement investi lorsqu’il est auprès des siens. Profondément conscient de l’importance de savourer chaque instant, même les plus banals. « J’aime leur odeur quand ils ne se sont pas lavés depuis trois jours. J’aime les conflits, les crises ; j’aime les voir dormir. »

Et s’il s’inquiète évidemment pour leur avenir, sur une planète dont l’homme est parvenu à dérégler tant d’équilibres, il s’évertue à leur insuffler la joie. La même qu’il a reçue de ses aïeux. Et qu’il retrouve aux quatre coins du monde. Comme en Colombie, où il se rappelle d’un carnaval haut en couleur sur une terre endolorie par les massacres des Farcs. Une joie collective, une joie de battants. Comme un rempart à la fatalité. ♦

Bonus

# Ce que la vie a de plus beau – Dans un cadre naturel hors du temps, en Islande, l’histoire raconte la rencontre entre Romain Solers, 37 ans, photographe dont la carrière est en pleine ascension, et son fils, adolescent qu’il n’a pas eu l’occasion de connaître. (Editions Escales, 400 pages, 21 euros)

# Quelques autres livres – Si ce livre est son premier roman destiné à un public adulte, Ismaël Khelifa a déjà une belle bibliographie à son actif. On y trouve des livres pour enfants (comme Opération Groenland, Poulpe Fictions, 2017, 168 p). Mais aussi des textes plus humoristiques : Mâles d’hier, hommes d’aujourd’hui : Les confidences du pénis (Éditions du Seuil, 2018, 144 p)

# For my planet – Créée en 2018 avec son épouse Alice Khelifa-Gastine (bonus), cette ONG emmène des adolescents en expédition scientifique et écologique au cœur des parcs nationaux et régionaux de France. Pour les sensibiliser à la beauté de la nature, et leur faire rencontrer des personnes inspirantes. Toutes les informations sont à retrouver sur le site internet de l’association.