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Qualité de vie au travail : toujours plus de challenges
Surcharge de travail, maladies de longue durée, recours à l’intelligence artificielle, multiplication des burn-out… S’il a évolué, le monde du travail est encore loin d’être idéal ! Psychiques comme physiques, les nuisances touchent toujours de nombreux salariés. Comment y remédier ? Comment assister les entreprises ? C’était une des questions traitées lors de la Semaine de la Qualité de Vie et des Conditions de Travail.
Pénibilité, exposition à des produits toxiques, reconnaissance des supérieurs, burn out (lire bonus)… : la dernière enquête de la Dares sur les conditions de travail pointait encore de multiples points à améliorer. « Notamment une intensification du travail, avec des effets sur la santé mentale et la persistance de risques psychosociaux », pointe Amandine Brugière, responsable des développements techniques et scientifiques de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT).

La majorité des salariés exerce désormais dans le tertiaire. Là, les pressions sont plus importantes, impliquent davantage la subjectivité et les valeurs en matière d’autonomie, de manière d’appréhender les tâches ne coïncident pas toujours. « Le travail au quotidien et les directives de l’entreprise peuvent différer et générer un mal-être. Il faut alors pouvoir en discuter et proposer des ajustements de part et d’autre », indique-t-elle.
La qualité de vie au travail, ce n’est pas le baby-foot
« Soyons clairs. Quand on parle de qualité de vie au travail, on ne pense pas à l’installation d’un baby-foot ou à la programmation de cours de yoga, précise Amandine Brugière. On cherche des pistes sur la manière dont les travailleurs peuvent améliorer leurs conditions de travail, dans le cadre de dynamiques collectives. On souhaite identifier des projets et expérimenter de nouveaux modes d’organisation, de nouvelles manières de travailler ensemble ».
Il n’existe pas de « projet type » de qualité de vie au travail – réplicable à loisir. Tout dépend de la nature de l’activité, la composition des effectifs, la culture d’entreprise, les attentes des uns et des autres… Mais dans tous les cas, ces projets doivent être discutés paritairement, entre représentants des employés et de la direction.
Un exemple ? « Une banque nous a sollicités pour l’organisation d’une gestion plus flexible des horaires. Il s’agissait notamment de ne plus retourner systématiquement au bureau après un rendez-vous extérieur », évoque l’experte. Un tel projet est discuté, puis testé dans le cadre d’un process impliquant les commerciaux, les managers, les assistants… C’est là que l’ANACT intervient, pour aider dans le choix des scenarios possibles, la forme et le fond des discussions, évaluations, ajustements. Pour éventuellement battre en brèche certains a priori. « Nous encadrons les discussions par un dispositif paritaire, une organisation pertinente et efficiente pour tous ».

Des problématiques d’horaires, d’organisation et même de lessive

À Aubagne, l’entreprise d’insertion LVD Environnement, qui emploie 150 personnes, a intégré la plupart de ces sujets. Pour preuve, le taux d’absentéisme y est d’environ 3% quand il dépasse 5% au national. Sur un problème d’horaire pour l’accueil des clients, par exemple, il a ainsi été décidé d’avancer la prise de poste dans toutes les agences pour démarrer la journée plus sereinement. Par ailleurs, des salariés ont exposé que pour le nettoyage de leurs équipements de protection individuelle, plutôt qu’une prime pour le lavage à domicile, ils préféraient que l’entreprise le prenne en charge. Une requête qui a été validée.
En termes de recrutement, si l’entreprise s’est bien développée ces dernières années, elle privilégie toujours les mobilités internes, « parce que c’est une marque de respect et de reconnaissance du travail fourni jusqu’alors, et parce que c’est possible. La progression ne repose pas forcément sur des diplômes, mais aussi sur la valeur », estime Benjamin Vives, le directeur de LVD Environnement.
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L’héritage des lois Auroux
L’ANACT a justement été créée pour installer et améliorer le dialogue entre les directions et les travailleurs. Elle s’inscrit dans le sillage des lois Auroux de 1982 (qui portaient notamment sur davantage de démocratie dans les entreprises). D’abord tournée vers la réparation, aujourd’hui elle se dédie davantage à la prévention, au relais et au partage d’initiatives et mesures impliquant les salariés et leur entreprise. C’est dans ce contexte que se tient chaque année au national une Semaine de la QVT.
Cette 21e édition s’est en particulier intéressée aux façons d’anticiper collectivement les questions du travail de demain pour l’améliorer. Avec des éclairages, méthodes et expérimentations pour mieux appréhender, ensemble, les changements à venir. Et des rendez-vous organisés par les agences régionales (Aract), mais aussi des webinaires destinés aux employeurs, responsables RH, managers, aux salariés et leurs représentants.

Les incertitudes du monde du travail de demain
La crise sanitaire liée au Covid, la période instable économiquement géopolitiquement et écologiquement… constituent un potentiel vivier d’incertitudes, de crise multifactorielle. « Alors nous sensibilisons les entreprises sur ce qui peut advenir. Nous aiguisons la prise de conscience des transformations en cours, en quoi elles peuvent impacter l’entreprise, détaille Amandine Brugière. Télétravail, intelligence artificielle, urgences climatiques… Anticiper, expérimenter, cela permet de mieux adapter le travail à l’Homme, et non l’inverse. Les conditions de travail ne doivent jamais être périphériques, car elles sont au centre même de la performance ».
Difficulté supplémentaire, de nouveaux défis surgissent en permanence, comme l’écologie récemment. « Nous sommes de plus en plus souvent sollicités sur des enjeux de transition écologique. Le travail par forte chaleur devient un sujet pour beaucoup de secteurs d’activité, dans le bâtiment, l’agriculture, etc. », confirme la représentante de l’ANACT.
À l’instar de l’équipe de LVD Environnement, très attentive à la crise climatique. « Nous avons organisé une fresque du climat qui a changé la vision de l’équipe. Et débouché sur des constats : mieux consommer les ressources, couper les moteurs, acheter des machines parfois moins puissantes… », rapporte Benjamin Vives. Évoquant les périodes de chaleur estivale désormais plus longues et importantes, il témoigne : « Nous essayons de sensibiliser nos clients sur l’aménagement de zones arborées ou ombragées, des horaires mieux adaptés. Nous avons aussi un rôle dans l’impulsion de ces changements et le partage de solutions ».

Climat, formation, minorités, intelligence artificielle…
La démographie du monde du travail avec une société vieillissante, la féminisation de nombreux métiers, les migrations s’agrègent aux enjeux existants. « Quelles seront demain les compétences manquantes ? Comment prendre appui sur l’immigration ? Quelles seront les populations au travail ? », énumère Amandine Brugère.
Se posent aussi les questions de genre, de religion, la vague #metoo, le sexisme, les maladies chroniques dont l’endométriose, les minorités, tout ce qui peut donner lieu à des discriminations. Sans oublier le coût de l’énergie, le manque de matières premières, l’ajustement des compétences…
« Il n’existe pas de recette universelle, regrette Amandine Brugère. D’autant qu’entre un Ehpad, un restaurant, un cabinet de conseil… les rythmes sont très différents. Nous produisons des méthodes que peuvent s’approprier les PME notamment, qui ont moins de moyens pour du conseil ou de l’accompagnement. Notre méthode doit être adaptée à chaque contexte et aux exigences de chaque activité ».
Anticiper le pire comme le meilleur constitue donc ici une idée-force. Tout comme faire des choix stratégiques pour rester dans une dynamique d’activité favorable à la santé au travail. « Comme nous faisons société, il faut trouver comment faire entreprise ». ♦
Bonus
- Burn out. Selon une enquête de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), 34% des salariés français seraient en burn-out, dont 13% en burn-out qualifié de “sévère” (soit plus de 2,5 millions de personnes). L’Institut de Veille Sanitaire estime à 480 000 le nombre de salariés en souffrance psychologique liée au travail.
Avec la reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle, les déclarations ont été multipliées par 7 en cinq ans, selon une étude de Feel Good. Près de la moitié des salariés français estiment que leur entreprise ne prend pas suffisamment en compte la détresse psychologique au travail.

♦ Relire l’article : “Une entreprise qui appartient à ses salariés grandit mieux”
- Trop de nuisances et de stress. Le rapport établi en 2017 par la DARES (un organisme d’études et statistiques rattaché au ministère du Travail) conclut que les nuisances et sources de stress pour les employés restent nombreuses. L’industrie et de l’agriculture subissent davantage des bruits perçus comme intenses. Ici, un salarié sur dix est exposé à un bruit supérieur à 80 dB dix heures ou plus par semaine. 11% des salariés sont exposés à au moins un produit chimique cancérogène. Les salariés de la fonction publique hospitalière (FPH) notamment, qui sont à 73% très largement surexposés aux agents biologiques. Par ailleurs, 985 000 salariés sont soumis à « la répétition d’un même geste ou d’une série de gestes à une cadence élevée », vingt heures ou plus par semaine.