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Laisser la violence derrière soi… pas ses affaires
En France, une femme victime de violences conjugales effectue six départs infructueux avant de quitter définitivement le domicile avec le conjoint dangereux. Depuis 2020, l’association grenobloise Ça déménage les soutient dans cette étape difficile avec un double accompagnement : aider à transporter les affaires vers un nouveau logement ou fournir de quoi s’installer à celles qui doivent repartir de zéro. Une action concrète pour retrouver un peu de stabilité et d’autonomie.
Dans un endroit secret des alentours de Grenoble, un hangar rempli de meubles, linge et appareils électroménagers est à disposition des femmes victimes de violences conjugales. C’est l’association Ça déménage qui tient ce lieu. Elle œuvre à faciliter cette transition si délicate entre la vie avec un conjoint violent et une nouvelle liberté. L’objectif est simple et essentiel : éviter le retour à la précarité, soutenir l’installation dans la durée et offrir un cadre de vie digne à ces femmes et leurs enfants.
Une idée inspirée d’un modèle canadien

C’est en 2020 que Denis Laquaz entend parler de Shelter Movers. Cette association canadienne propose un déménagement d’urgence gratuit et en moins de quatre heures aux femmes victimes de violences intrafamiliales. Il n’existe pas d’équivalent en France, alors il se lance et rencontre les structures d’accompagnement des familles victimes de violences de l’agglomération grenobloise.
« Le premier besoin qui a émergé, c’est meubler les appartements en sortie d’hébergement d’urgence, explique Kim Mazenot, responsable stratégie et développement de l’association. Parce qu’un logement d’urgence est pensé pour vivoter pendant un temps. Mais quand une femme en sort, elle doit trouver un nouveau lieu de vie et le meubler. Ça prend du temps et ça coûte une fortune, même quand on gagne bien sa vie. Et c’est une logistique lourde ! »
Denis Laquaz et Agnès Copin, les cofondateurs, commencent à rassembler du mobilier localement, grâce au bouche à oreille, dès la fin 2020. Depuis, Ça déménage a structuré un modèle original : collecter, trier et stocker des meubles et de l’électroménager issus de dons de particuliers et d’entreprises hôtelières. Puis constituer des lots personnalisés livrés directement dans les nouveaux appartements.
♦ (re)Lire : Après les violences conjugales, du sport pour se reconstruire
« Mon ex-conjoint m’a cassé les côtes et j’ai fini en hébergement d’urgence »

Changer d’adresse, tourner une page et se reconstruire ailleurs n’est pas chose aisée. Barbara, 45 ans, a été accueillie par l’association grenobloise Pluri-elles en 2023. « J’ai subi des violences verbales et physiques pendant six ans. Mon ex-conjoint m’a cassé les côtes et j’ai fini en hébergement d’urgence, témoigne-t-elle. Quand on a vécu pendant des années dans un logement normal, avec tout ce qu’il faut, c’est compliqué de se retrouver avec pas grand-chose au départ d’une nouvelle vie. J’avais très peu de moyens pour équiper mon appartement, c’était stressant. Je me suis acheté un vaisselier et un meuble de cuisine. »
Les structures sociales et les dispositifs d’accompagnement sont dès lors d’une grande aide. Pluri-elles, Solenciel, ou la Maison des femmes orientent les bénéficiaires vers Ça déménage. « Elles remplissent une fiche de liaison qui permet de faire un petit état des lieux de ce dont elles ont besoin, explique Kim Mazenot. On reçoit ces fiches et on accueille les femmes – et leurs enfants s’il y en a – pour choisir tout ce qui leur ferait plaisir pour meubler leur appartement. »
143 femmes et 181 enfants aidés en 2024

Dans le hangar, de nombreux meubles ont déjà trouvé preneur. On le sait par les post-it nominatifs collés sur des serviettes, un canapé ou une table basse. Barbara, qui a pu profiter du dispositif, utilise toujours son frigo, « impeccable ». Elle enchaîne : « J’ai restauré les deux commodes et j’ai encore les quatre lits qu’on m’avait livrés. Je me suis dit que ça serait peut-être dans un état catastrophique. Mais non, c’était parfait ! »
Une fois le mobilier sélectionné, les bénévoles de l’association organisent la livraison et installent le tout dans le logement de la famille. L’action repose sur un mélange d’efficacité logistique et de solidarité humaine. Forte de trois salariés, deux services civiques et d’une équipe de bénévoles très investis, Ça déménage a pu aider 143 femmes et 181 enfants en 2024.
Éviter qu’une femme ne laisse tout derrière elle

L’association a également lancé une activité complémentaire fin 2023 : le déménagement d’urgence. « On vient aussi au domicile violent pour chercher ses affaires, avec elle, commente Kim Mazenot. Ça évite qu’une femme laisse tout derrière elle. Ses habits, ses objets, ceux des enfants… »
Ils interviennent parfois quand l’auteur des violences se trouve sur place. Et font alors appel aux forces de l’ordre dans ce cas de figure. « Parce qu’on ne demande évidemment pas aux bénévoles d’être champions de taekwondo ! Mais, bien souvent, l’auteur des violences se positionne en tant que victime. »
Ça déménage installe toutes ces affaires à la nouvelle adresse ou les stocke en sécurité. « Pour lui donner le temps dont elle a besoin pour retomber sur ses pattes et trouver un logement. C’est un soutien pour toute la partie logistique. Et notre objectif est que l’appartement soit prêt pour y vivre », insiste la responsable.
♦ Lire aussi : À Nantes, une place-forte pour les femmes victimes de violences
Et se reconstruire

En France, on estime qu’une femme victime effectue six départs infructueux avant de quitter définitivement le domicile néfaste. L’association espère donc que son action permette de limiter les retours au foyer. « En reconstituant un cocon, on rend le départ davantage possible, plus durable. »
Au-delà de l’aspect transport, l’association a un impact social fort. Elle soutient la parentalité, renforce la stabilité résidentielle et participe à la reconstruction de soi. C’est aussi ce que Barbara veut partager : « Ça a toujours été mon rêve d’être bénévole, d’aider à mon tour. Je peux être un soutien pour d’autres femmes qui ont subi des violences conjugales. Je leur dis que j’ai aussi été dans cette situation et qu’on peut s’en sortir avec de l’aide. Ça m’a fait du bien d’exister à nouveau », conclut, émue, l’ex-victime devenue bénévole active de Ça déménage. ♦
Bonus
[pour les abonnés] – Ça déménage dans d’autres villes aussi – Les chiffres de la violence dans le couple – Comment l’État protège les femmes –
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# Un modèle qui essaime. Grâce à l’aide de la Fondation des Femmes, Ça déménage s’est montée en réseau national Elles déménagent. « Il y a huit associations partenaires en France, qui font toutes du déménagement d’urgence, se réjouit Kim Mazenot. Elles sont en train de développer des ressourceries, un peu sur notre modèle. C’est super ! On souhaite vraiment porter un plaidoyer d’aide logistique aux femmes. Du pratique, du concret. » Ça déménage a aussi lancé deux branches de son initiative, à Lyon et Chambéry.
♦ Lire aussi : Aider les femmes à se réapproprier leur destinée
# Les violences au sein du couple. En 2023, les forces de sécurité intérieure ont enregistré :
- 93 victimes de féminicides,
- 319 victimes de tentatives de féminicides,
- 773 femmes victimes de (tentatives de) suicides suite au harcèlement par (ex-)conjoint.
Au total, 1 185 femmes ont été victimes de (tentatives de) féminicides au sein du couple, directs ou indirects en 2023. Source : base des victimes de crimes et délits, SSMSI, ministère de l’Intérieur. D’autre infos sur le site arretonslesviolences.gouv.fr
# Comment l’État français protège les femmes. Depuis 1992, la France a voté diverses lois spécifiques tendant à lutter contre la violence à l’égard des femmes. De tels textes réprimant les actes de violence ont une puissante portée symbolique en ce qu’ils témoignent de la réprobation de la société en la matière. Auparavant, hormis certaines dispositions relatives aux mœurs, il n’existait aucune loi traitant à proprement parler de la violence à l’égard des femmes, ces faits étant poursuivis dans le cadre des dispositions générales relatives aux coups et blessures. Tous les textes de loi sont à consulter ici.