Environnement
Le Mouton Givré, dingue de laine des Causses
[je recycle, tu surcycles, ils valorisent – #13]
L’entreprise basée dans le Lot recycle la laine des brebis caussenardes. Et avec le savoir-faire de la couturière Cinthia Born et de la costumière Élodie Madebos la transforme en sacs isothermes durables et naturels. Bye-bye l’alu et le plastoc.
On se souvient tous des pulls en laine que tricotaient nos grand-mères. Des moufles, du bonnet et de l’écharpe assortis. « Ça tient chaud », promettait l’aïeule, soucieuse qu’on ne ramène pas un bon rhume ou une grippe carabinée l’hiver venu. La laine, ça résiste à tout. Au froid surtout. Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que ça protège aussi du chaud. C’est un parfait isolant. La preuve en est avec les sacs et autres contenants isothermes que Cinthia Born et Elodie Madebos ont imaginés aux commandes de leur entreprise Le Mouton Givré.
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Les matières qui composent le cabas Bertille, la housse de bouteille Lucette ou encore Edmond, le sac à dos, sont donc la laine, le chanvre et le lin, produits en France. Une laine issue des brebis caussenardes, belles bêtes tachetées de noir aux oreilles, autour des yeux et à la commissure des lèvres. Elles s’adaptent aux climats les plus rudes, été comme hiver, et résistent à la piroplasmose, maladie parasitaire mortelle. Bref, de sacrées guerrières.
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Une laine qui n’est pas faite pour le fil, mais parfaite pour l’isolation
L’idée des sacs isothermes a germé dans la tête de Cinthia. La trentenaire est très sensible à la terre, à la condition paysanne. « Mon mari est éleveur de vaches. Il pratique une agriculture bio, régénératrice des sols ». Et ces valeurs écologiques, l’entrepreneuse les partage pleinement. « Je vis au quotidien avec la volonté de produire le moins d’impacts pour notre belle planète ». Alors forcément, dans tout son raisonnement vertueux, elle s’est demandée ce que les éleveurs de brebis de son Lot natal pouvaient bien faire de la laine de leurs brebis.
La laine des Caussenardes a la particularité d’être rustique et résistante. Elle n’est pas faite pour le fil. Gratte un peu. « Elle est surtout parfaite pour du matelassage, de l’isolation. Elle a un très beau ressort : lorsqu’on la compresse, elle revient à sa forme initiale », observe Cinthia. À une époque, elle servait à fabriquer des matelas. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. « Elle n’est pas du tout valorisée. Mon souhait était de la faire revenir au goût du jour, grâce à ses propriétés, avec la conception de produits isothermes ».
En faisant ses recherches, Cinthia réalise que le secteur de la laine est en déclin depuis de nombreuses décennies et que les éleveurs sont très mal rémunérés. 80% de la laine française part à l’étranger où elle y transformée pour revenir ensuite sur le territoire tricolore en produits finis. Forte de ses compétences de couturière et du soutien des éleveurs de l’association La Caussenarde, la Lotoise rejoint l’incubateur toulousain Les Premières Occitanie pour construire son projet.

Une commande inattendue de 2500 pièces vient relancer la machine
Début 2019, Cinthia rencontre son associée, la costumière Elodie Madebos. Elle recherche alors une teinturière aux procédés naturels et les éleveurs de la Caussenarde les mettent en contact. Elles réalisent qu’elles partagent les mêmes valeurs et intérêts. Alors, la première propose à la seconde de participer à son aventure isothermique.
Les deux lancent officiellement Le Mouton Givré en septembre de la même année. « Un financement participatif monté sur Ulule nous a montré que notre sac pilote plaisait. En 45 jours, nous avons vendu plus de 500 pièces », raconte Cinthia. De ce fait, il faut embaucher. Une couturière vient rejoindre le duo qui croule sous les commandes.
Les aléas de la vie d’entrepreneurs, le Covid, sont venus quelque peu assombrir ces débuts roses. « On s’est demandé à un moment si on devait continuer et puis, nous avons eu une commande de 2 500 pièces de la part de l’entreprise Mam’Baby ». En 2023, la maison Thiriet, spécialisée dans les surgelés, est rentrée à minima dans le capital de la petite Sarl lotoise tout en lui demandant de confectionner 24 000 exemplaires de sacs isothermes à l’impact carbone exemplaire d’après une étude réalisée par le cabinet La Belle Empreinte qui s’appuie sur les normes de l’Ademe.

Des éleveurs rémunérés correctement pour la laine au kilo
Dès lors, tout a pris une autre tournure et permis l’embauche de deux autres couturières, qui travaillent quatre jours par semaine au rythme de 34 heures payées 35. « C’est important pour nous de laisser du temps à notre équipe et de la rémunérer justement en raison du coût de la vie », insiste Cinthia. Tout comme il leur est primordial de rétribuer correctement les éleveurs lotois. « Jusqu’à présent, la laine n’était récoltée que par un seul acheteur et payée 5 à 10 centimes d’euro le kilo alors que les frais de tonte sur une seule brebis s’élèvent entre 1,50 et 1,70 euros ».
Le Mouton Givré a fait le choix de la payer la laine un euro du kg. « Cela ne couvre pas encore tout mais nous espérons pouvoir augmenter ce tarif. Plus on fera de volume et plus on va pouvoir négocier les prix sur la transformation, comme le lavage et le feutrage. Et rebasculer cette marge chez les éleveurs », indique Cinthia qui rappelle qu’avant-guerre, le prix de la laine était fixé à 3 euros le kilo.
« Nous avons besoin de 4 à 6 tonnes de laine par an. Nous travaillons avec les petits et moyens élevages de plein air ». La laine est ainsi de meilleure qualité et plus facile à trier car elle ne contient pas de paille. L’équipe du Mouton Givré produit près de 700 pièces par mois, distribuées en France et dans les pays limitrophes comme la Belgique, l’Allemagne ou encore l’Italie et le Portugal. Les exemplaires sont vendus essentiellement via la boutique en ligne et dans d’autres points de vente physique (magasins de vrac, magasin associatif La Draille…).
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L’objectif de supprimer tout plastique des cuisines et objets associés
Au sein de l’entreprise, où sont conçus et assemblés les sacs qui protègent les aliments du chaud et du froid, les tâches sont bien établies et partagées. Elodie supervise les ateliers. Cinthia s’occupe de la partie gestion et commerce. « Nous avons une vraie complémentarité, reconnaît cette dernière. Le fait que nous ne soyons pas des amies à l’origine nous a dégagées de tout affect et nous avons pu construire une relation de travail solide. On est là l’une pour l’autre, mais on ne va pas forcément se voir en dehors des heures de travail ».
Les deux associées recherchent un local autour de Livernon et de Figeac pour y installer leurs ateliers et ouvrir boutique. Celui qu’elles occupent ne leur permet pas de recevoir du public. « Dans l’idéal, nous tablons sur 250 m2. Et dans notre secteur essentiellement pour ne pas que la route soit trop longue pour nos employées. Et pour affirmer notre identité locale », explique Cinthia, qui ne manque pas de projets.
« Elodie et moi voudrions supprimer tout le plastique qu’il y a dans la cuisine, ainsi que dans les produits qui y sont associés ». Une manique, en laine des Causses, est venue début juin compléter la série des créations existantes. « L’écoconstruction ou encore le mobilier d’intérieur nous tenteraient bien aussi ». Toujours du durable et du local. Cela va de soi(e)… ou plutôt cela va de laine. ♦