Solidarité

Par Marie Le Marois, le 25 septembre 2025

Journaliste

En ville, les pouvoirs du (bon) voisinage

1000 chaises, 1 seule table @République des Hyper Voisins

Alors que l’isolement, la méfiance et le repli sur soi semblent toujours gagner du terrain, des habitants se mobilisent pour créer un ‘’esprit village’’ dans leur quartier, à coup de partage et d’entraide. Le voisinage se révèle alors être une vraie force au quotidien, pour peu que chacun accepte de donner autant que recevoir, dans la générosité et la joie. Des Belles de Saint-Mauront à la République des Hyper Voisins, témoignages de faiseurs de liens qui démontrent la nécessité de ramener la convivialité en ville.

♦ La République des Hyper Voisins, un collectif de plus de 2000 habitants dans le 14ème arrondissement à Paris

Cette ”république” englobe 53 rues du 14e à Paris. ”Seules deux règles : pas le droit d’être négatif, ni de faire valoir ses idées politiques”, Patrick Bernard, ici avec un tablier rouge @DR

Patrick Bernard, fondateur : « Mon intuition de départ, il y a huit ans, était de valider le fait que vivre les uns à côté des autres recèle des richesses un peu cachées. Sous le bitume des rues, il y a une capacité d’interaction qui n’est pas mobilisée, un gisement inexploité qui s’appelle la convivialité. La promiscuité dans nos villes a tendance à chahuter la proximité. On se protège de ses voisins qui peuvent prendre le rôle de bouc émissaire, on s’isole par peur de se confronter.

L’idée était de trouver une méthode d’ingénierie sociale pour dynamiser ces liens-là. De tendre une perche au bon moment avec la bonne histoire pour lever les défiances. Notre ‘’pitch’’ d’entrée – et qui l’est toujours – : transformer en 12 mois des voisins qui disent bonjour 5 fois par jour en Hyper Voisins qui disent bonjour 50 fois par jour. ‘’Bonjour’’ est le plus petit dénominateur commun de la convivialité. Nous voulions rétablir ce mécanisme sympa. Mon autre intuition était que le meilleur moyen pour renouer était de remettre les gens à manger et boire ensemble. D’où cette idée de dresser la plus longue table de rue dans Paris – la Table d’Aude – et de se réunir autour.

Ritualiser pour créer du lien

La messagerie WhatsApp des Hyper Voisins possède une cinquantaine de sous-groupes autogérés @DR

Pour tisser du lien, la ritualisation est importante. Nous avons ainsi le banquet chaque septembre, l’hyper apéro le vendredi soir, le café le samedi pour les plus âgés, le brunch polyglotte le dimanche, etc. Les gens apportent leurs idées, moi je suis juste le logisticien qui a du temps et qui rend possible.

Nous avons également un groupe WhatsApp avec une cinquantaine de sous-groupes qui concernent le quotidien.’’Hyper Condriaques’’ pour les échanges médicaux, ‘’Repair Voisin’’ pour réparer ses objets, ‘’Fromage qui causent’’ pour des conférences, où chacun doit ramener un fromage. C’est Anne, astrophysicienne, qui raconte les étoiles et les trous noirs. Une prof de français qui parle de son livre ‘’Comment dialoguer avec son ado’’. Un juge de la cour d’assises qui présente son métier, etc. Aujourd’hui, nous sommes 2000 sur le groupe, le maximum autorisé par WhatsApp. La demande est telle que nous avons créé un deuxième groupe ».

Un local collaboratif avec le voisinage

Les Hyper Voisins se sont baptisés les ‘’Bisounours radicaux’’ @DR

« Le propos de la saison 1 était de dresser la plus grande table de Paris. Pour la saison 2, c’était d’acheter un local pour inscrire nos actions encore plus profondément, et investir collectivement. Nous l’avons trouvé au cœur de la rue de l’Aude, là d’où est parti notre projet.

Nous avons réuni les compétences de chacun autour d’une table – architecte structure,  architecte déco, spécialiste du froid, etc. pour évaluer les travaux du local. Le coût total ? 600 000 euros, divisés en 600 parts de 1000 euros. Les habitants du quartier sont en train d’acheter leurs briques, parfois à plusieurs. Nous avons bouclé notre budget pour l’instant à 70% ». 

Une franchise sociale et des métiers

Chaque année en septembre, généralement le 3e dimanche, les Hyper Voisins dressent une table en plein milieu de la rue de l’Aude. ici, le 21 septembre 2025, avec environ 1400 convives © Hyper Voisins

« Huit ans après, beaucoup de citoyens mais aussi des communes veulent dupliquer l’idée. Pour ce faire, il est nécessaire de remettre l’humain au centre, de mobiliser les habitants comme acteurs de leur quotidien plutôt qu’en consommateurs de services au prétexte que l’on paie des impôts. Nous travaillons sur une ‘’franchise sociale’’ avec des valeurs fortes et des outils dédiés. Un des outils consiste en une ‘’école de la proximité’’ pour former à de nouveaux métiers au sein de filières professionnelles qui pourraient former l’ossature d’une économie puissante et en devenir,  ‘’l’économie du prendre soin’’. L’investissement dans le lien social doit être une priorité pour juguler les dépenses liées à la solitude ».

♦ Le Caravane Café, un restaurant géré bénévolement par les voisins qui met de la vie dans le quartier de l’Estaque, au nord de Marseille

Lena Jarlegan, co-fondatrice du Caravane Café © Coco Malet

Lena Jarlegan, co-fondatrice : « Le Caravane Café était une cantine de proximité comme on en trouve peu à l’Estaque – un quartier-village excentré du centre de Marseille. On se retrouvait ici entre voisins sans s’être donné rendez-vous, surtout le vendredi à l’apéro. Mais voilà, au printemps 2023, Julie, qui tenait l’endroit, partait vers d’autres projets. Lors de la soirée de la fermeture, on s’est dit à quelques-uns : « Et si on rachetait le Caravane Café ? » On avait envie qu’il reste un endroit convivial et pas un énième snack. En quatre mois, nous avions rassemblé les fonds pour emprunter la somme restante et en janvier 2024, nous ouvrions le restau avec 80 coopérateurs. Nous sommes aujourd’hui 170 ! » 

Le rendez-vous des voisins

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La Coopérative Caravane Café a ouvert en février 2024 © DR

« À part la cuisine, tout repose sur une quinzaine de bénévoles. Alors ceux qui peuvent donner un coup de main le font. Je travaille – je suis prof de lettres et d’histoire-géo au lycée de l’Estaque – mais je suis engagée au conseil de gestion. Je cogère notamment le planning des bénévoles. Souvent, quand on manque de bras, je prête main forte. Idem pour faire les courses quand les cuisinières sont empêchées. Elles aussi sont du quartier, une des raisons pour lesquelles le restau fonctionne bien. Les coopérateurs peuvent y organiser aussi des événements, comme un concert, un vernissage ou une conférence. Le Caravane Café est resté le rendez-vous des voisins. Et c’est une priorité pour nous. J’ai des copines qui viennent juste boire un verre avant de repartir s’occuper de leurs enfants ». 

Un lieu de vie

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Les samedis soirs, les coopérateurs organisent des soirées au Caravane Café © Marcelle

« Le Caravane Café est un lieu de vie pour un millier de personnes. On y vient manger, échanger et se rencontrer, mais aussi s’entraider. Cet été, lors des incendies aux portes de Marseille, des maisons ont été ravagées dans le quartier. Des bénévoles ont proposé de cuisiner et de servir des repas gratuits pour les personnes sinistrées le week-end de trois jours qui a suivi le sinistre. Et petite anecdote : alors que le 22 septembre j’écopais le restaurant inondé suite au déluge de pluie tombé la veille, un habitant est venu m’aider à nettoyer. Il avait été accueilli au moment de l’incendie et s’était toujours promis de rendre la pareille ».

 

♦Les Belles de Saint-Mauront, collectif d’entraide dans un des quartiers les plus pauvres de France

Sarah Mamadi, cofondatrice des Belles de Saint-Mauront © Coco Malet

Sarah Mamadi, cofondatrice : « La création de ce collectif est due au hasard. Je venais d’emménager à Saint-Mauront, un quartier de Marseille que je ne connaissais pas. J’avais perdu mon emploi, mes repères, je me sentais très seule. Je me suis alors inscrite à la Maison pour Tous pour participer avec d’autres familles aux différentes activités. Une des animatrices a proposé aux mamans de préparer des actions afin de récolter de l’argent pour financer une partie de notre séjour d’été. Nous avons organisé des repas, des vide-greniers et même des journées ‘’beauté’’. Nous avons appris à nous connaître et à répondre aux problèmes de chacune, comme la garde d’un enfant pour passer un entretien d’embauche ou la rédaction d’une lettre administrative. De là, avec les mamans, on a eu envie de créer le collectif ‘’Les Belles de Saint-Mauront’’. 

Des actions collectives

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La Cuisine du 101 permet à des personnes hébergées à l’hôtel ou en foyer de préparer des repas « comme à la maison ». © Agathe Perrier

Le groupe WhatsApp est né en avril 2023 et sept mois plus tard, nous étions une soixantaine. Les derniers échanges ? Une maman, qui a des lacunes en maths, a demandé de l’aide pour les devoirs de sa fille. Une autre, la traduction d’un document dans sa langue (dans le groupe, nous sommes de différentes origines : arabe, comorienne et française). Il y a toujours quelqu’un qui offre son aide, parfois même trop !

De mon côté, je réponds toujours à celles qui ont besoin de rédiger un CV, une petite annonce sur Le Bon Coin, d’effectuer des démarches administratives ou une recherche d’emploi. On a également des projets communs. Par exemple, à l’initiative d’une maman, on cuisine régulièrement ensemble à La cuisine du 101, un tiers-lieu solidaire dans le quartier, pour préparer des repas à des mineurs étrangers isolés qui vivent dans un squat. Le collectif est une force ».♦

* La Fondation de France Méditerranée parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

Bonus

[pour les abonnés] – La Fête des Voisins fête ses 25 ans – L’Heure Civique – <!–more–>

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