EnvironnementSociété

Par Philippe Lesaffre, le 27 mars 2025

Journaliste

Le lobby des chemins ruraux

Depuis plus d’un demi-siècle, beaucoup de chemins ruraux ont disparu en France, au grand dam des amateurs de sport en pleine nature. Pourtant, depuis la fin des années 1980, le Collectif de défense des loisirs verts lutte pour leur préservation. Régulièrement, les bénévoles du Codever, membres de motoclubs ou VTTistes, organisent ainsi des chantiers pour entretenir ces voies de passage. Ou rouvrir des bouts de sentiers sur lesquels la nature a repris ses droits.

Les ronces ont envahi une bonne partie de l’espace. Plus loin, des troncs d’arbres sont tombés au sol, sans doute après une tempête. Résultat, il faut se contorsionner pour avancer. Soudain, le bruit d’un moteur. Quelqu’un a allumé une tronçonneuse pour débroussailler la zone, couper les branches qui traînent. Quelques personnes s’activent pour rouvrir une partie de ce qui fut un chemin rural. Elles en profitent pour ramasser quelques déchets en voie de décomposition sur cette voie de passage abandonnée. Ces scènes se multiplient en ce début de printemps, loin des grandes villes. Régulièrement, un peu partout sur le territoire, des femmes et des hommes se mobilisent pour récupérer des bouts de chemin disparus.

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Afin de mettre en lumière ce type de chantiers participatifs, l’association Codever, collectif de défense des loisirs verts regroupant randonneurs pédestres, cyclistes, cavaliers et amateurs de motos, de quads ou de 4×4, organise chaque année en mars ce qu’elle appelle « les journées des chemins ». Manière aussi d’inciter le plus grand nombre à s’y mettre, et in fine de prouver qu’il y a un intérêt à préserver, vaille que vaille, ces chemins ruraux. En 2024, l’organisation, dont le siège social se situe à Sens, dans l’Yonne, a repéré dans l’Hexagone près de 73 « chantiers de nettoyage ou de réouverture », comme elle dit également. Des opérations ayant mobilisé environ 1 200 bénévoles, précise Charles Péot, le directeur de la structure, comptant trois salariés : « Il y en a sûrement qui nous ont échappé, difficile d’avoir connaissance de tout ce qui a été effectué en France. »

Remembrement et disparition des sentiers

Évidemment, les opérations citoyennes de ce type ne sont pas proposées qu’à la sortie de l’hiver, quand l’envie de s’aérer nous (re)prend. En réalité, il y en a toute l’année dans l’ombre, souligne le directeur de Codever : « Beaucoup entretiennent les chemins ruraux simplement afin de pouvoir continuer à les utiliser. Souvent, il s’agit de membres de moto-clubs qui s’assurent, en amont d’une randonnée, que les circuits demeurent encore praticables. Mais ça sert à tout le monde, y compris aux non motorisés. »

Élagage en cours à Cornant, dans l’Yonne @ Codever

Depuis les années 1990 et 2000, de plus en plus de Français pratiquent des activités sportives en extérieur, loin de tout. Pour autant, beaucoup de chemins ruraux ont été effacés avec le temps… en particulier en raison du remembrement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. « De nombreuses parcelles agricoles ont fusionné pour faciliter le travail des paysans. Et les voies de passage délimitant les exploitations ont été en même temps supprimées », explique Charles Péot, qui a rejoint l’association il y a trente ans comme bénévole.

Seulement, durant les Trente Glorieuses, peu se préoccupaient de ces chemins non goudronnés. De plus, le sport en pleine nature n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. L’urbanisation et la construction des routes ont pu aussi conduire à la destruction de ces sentiers de terre. Autre raison principale : l’accaparement par les riverains de pistes, « monnaie courante », rapporte l’association sur son site. « Des milliers de kilomètres ont été rendus inutilisables en raison d’actes volontaires et illégaux. Il faut arriver à empêcher ces vols, car c’en est. » Des propriétaires, pour gagner un peu d’espace de culture, ont labouré des morceaux de chemins ruraux. D’autres ont installé des enclos ou posé des rochers, empêchant le public de circuler. « Il a même pu y avoir des constructions tout autant illégales sur ces lieux de passage », regrette-t-il, un brin irrité.

Ils s’activent vers Treigny (Yonne) pour que le chemin soit plus praticable @Codever

Les loisirs verts en plein boom

Concrètement, comme l’indique le Code rural et de la pêche maritime, il s’agit de « chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ». Les mairies ont l’obligation d’entretenir les voies communales (de nos jours pour la plupart bitumées). Mais pas les chemins ruraux qui leur appartiennent. « Du coup, vu le manque de moyens des mairies, beaucoup ne s’en sont pas chargé, hélas. »

En l’absence de « chemins communaux », comme on les appelait jadis, les usagers rusent. Cela oblige les uns et les autres à trouver des détours, des voies alternatives… parfois moins sécurisés, car plus humides et glissants, par exemple pour les cavaliers. « Il est temps d’y remédier pour répondre… au final à une demande croissante de la population », explique Charles Péot.

On l’avait déjà vu au lendemain de la crise sanitaire à partir de 2020, les Français ont eu à cœur de ressortir et au final de découvrir ce qui les entoure. Tendance confirmée par une récente étude parue en mars à l’occasion des universités de la Terre à l’Unesco. Selon le fonds de dotation éponyme ainsi que le mouvement Tous dehors, de nombreux Français sondés ont affirmé avoir la volonté de sortir plus souvent en pleine nature (1). « Or, pour pouvoir les accueillir tous, encore faut-il qu’il y ait plus de chemins ruraux, dit Charles Péot. Sinon, on va avoir tendance à aller toujours dans les mêmes zones. Et cela risque d’accentuer les conflits entre usagers. Typiquement entre coureurs et motocyclistes, entre promeneurs et chasseurs… »

♦ Lire aussi : Terro Loko redynamise des territoires rurals grâce à des réfugiés

Des pistes utiles pour les secours

Le Codever, soutenu par ses adhérents, tant des particuliers que des organisations (notamment des clubs de sport nature), alerte contre la lente disparition de ces chemins ruraux. Pour autant, la structure ne sait pas combien la France en compte exactement. « L’État estimait au début des années 70 qu’il subsistait 700 000 km de chemins ruraux au niveau national. Mais que 250 000 km s’étaient volatilisés depuis 1950. Il s’appuyait sur un recensement effectué dix ans après la fin du conflit mondial. » Toutefois, l’étude date, et il n’y en a pas eu depuis. Charles Péot en est certain, « le chiffre a dû largement baisser ». 

Chantier à Champagnac dans le Cantal, durant les « journées des chemins » en 2025 @
Codever

 

Dommage pour ces patrimoines communaux qui ne sont pas que des zones de loisir ou, encore, des lieux d’observation de la faune sauvage appréciés des photographes et des naturalistes. Entretenir la végétation au bord des chemins, en outre dessertes agricoles, c’est aussi « aider… les secours en cas de feux de forêts ou d’inondations », rappelait en mai 2024 Carlos Martinez, maire d’Estivaux en Corrèze, soutien des « journées des chemins ». « Les chemins ruraux intéressent tout le monde », conclut Charles Péot. ♦

 

Bonus

# L’étude Epsilon « Les Français et la nature ». Elle a été réalisée pour l’université de la Terre en partenariat avec le panel Dynata (échantillon de 1 000 Français représentatif).

# Plus de 9 Français sur 10 pratiquent un sport en plein air. À commencer par la randonnée pédestre. En premier lieu, on sort pour prendre l’air et se ressourcer. C’est pour beaucoup un moment de « calme », de « liberté » fortement apprécié. Les promenades se déroulent souvent en forêt, ou pour les plus urbains dans des parcs.

22% des personnes questionnées passent moins d’une heure par semaine au sein d’une zone naturelle. 43% entre une et cinq heures hebdomadaires. Pour un certain nombre des sondés, cela pourrait être davantage. Seulement, les Français estiment ne pas avoir le temps ou parfois être empêchés par les conditions météorologiques.

♦ Légende photo d’ouverture – Défendre les chemins ruraux c’est protéger un patrimoine communal important © Codever