ÉconomieEnvironnement

Par Marie Le Marois, le 18 juin 2025

Journaliste

Les batteries vont (enfin) avoir une seconde vie !

Dans son usine au Rove (Bouches-du-Rhône), Re-lion Factory démantèle les batteries de vélos et trottinettes usagées, et bientôt de voitures, pour les affecter à un usage moins exigeant – l’éclairage solaire, par exemple. Cette jeune ‘’société à mission’’ contribue ainsi activement à la réduction de lempreinte environnementale, tout en prolongeant utilement la vie de ces précieuses ressources énergétiques. Démarrage officiel d’ici cet été avec une première ligne de production finalisée. Nous avons rencontré Gwenaël Kervajan, cofondateur et directeur financier de l’entreprise.

Avant toute chose et pour bien comprendre, de quoi une batterie est-elle constituée

« La grande majorité des batteries – même celles des premières voitures électriques – sont constituées d’éléments identiques. Ce sont des « cellules » qui ressemblent à des piles rechargeables à peine plus grosses quune pile classique. Chacune de ces cellules est ainsi réutilisable, séparément ou assemblée en packs de tailles variables ».

Que signifie une batterie en fin de vie ? 

Gwenaël Kervajan et Sébastien Lenzi, fondateurs de Re-lion Factory @DR

« Le plus souvent, une batterie arrive en fin de vie quand ses cellules sont fatiguées. Elles ne tiennent plus assez longtemps le travail qu’on leur demande, elles se déchargent trop vite. Or, ce qui compte – dans le cas dun vélo électrique par exemple -, c’est l’intensité. Plus les efforts demandés à la batterie sont importants, plus cette déperdition est rapide. 

À l’heure actuelle, les batteries en fin de vie sont collectées, puis broyées. Et des matières premières de valeur, telles que le lithium, le nickel, le cobalt et le manganèse sont récupérées ».

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♦ Batterie stationnaire/mobilité : la première est une batterie en station à un endroit donné qui ne sert qu’en cas de besoin (éclairage solaire, par exemple). Tandis que la seconde répond à des besoins de mobilité (vélo, bateau, voiture, etc.) 

Cela signifie-t-il qu’elle est encore exploitable ? 

Traçabilité de chaque cellule @DR

« Elle nest plus capable de faire un sprint, mais plusieurs marathons pendant dix ans, oui. Lors de la phase de démantèlement, on teste les cellules qui la composent pour évaluer leur état de santé. Elles sont en général toutes entre 70% et 90% de leurs capacités, et principalement entre 70 et 75%. Elles peuvent être reconditionnées dans de nouvelles coques. Non plus pour des besoins de mobilité électrique – faire avancer un vélo ou une trottinette -, mais pour des besoins stationnaires, plus doux. Alimenter, par exemple, des objets autonomes connectés à des panneaux solaires : caméras de vidéosurveillance, bornes interactives, éclairage public, signalétique urbaine, ouverture dun portail… Ce peut être aussi pour du stockage domestique, comme une batterie externe pour téléphone ou lampe frontale ».

À quelle problématique votre innovation répond-elle ? 

Les batteries de Iweech, spécialiste marseillais des smartbikes électriques, composent les capteurs de mesure de qualité de l’air d’Air Carto, lui aussi Marseillais. La boucle est bouclé. @DR

« Le secteur des batteries au lithium, pour nos besoins de mobilité électrique mais aussi de stockage stationnaire, est stratégique à plus dun titre. La transition énergétique ne se fera pas sans elles, donc les besoins sont à la fois considérables et exponentiels. Leur fabrication génère des impacts préoccupants, tant sur le volet social – conditions dextraction du cobalt en RDC notamment -, que sur le plan environnemental – pollutions liées à lextraction du lithium, raréfaction des ressources. Enfin, leur approvisionnement presque exclusivement auprès dentreprises asiatiques questionne la souveraineté de la France et de lEurope en la matière. Dans ce contexte, il reste tout de même une certitude : on envoie au recyclage des batteries qui ont pourtant encore 70 à 80% de leur capacité ».

En quoi votre proposition est-elle unique ?

Prototype Re-lion pour Air Carto, fournisseur marseillais des capteurs de qualité de l’air utilisés notamment par AtmoSud @DR

« Notre processus de traitement est complet, nous prenons en charge toutes les étapes de la chaîne. Le démantèlement des batteries, le diagnostic unitaire des cellules qui les composent, le marquage de ces cellules pour une traçabilité complète jusqu’à leur fin de vie, la prédiction de leur durée de seconde vie grâce à un moteur IA dédié. Et leur remise sur le marché sous forme de cellules ou de batteries stationnaires.

Nous participons en outre au développement dune économie circulaire régionale. Par exemple, nous utilisons les batteries de Iweech, spécialiste marseillais des smartbikes électriques haut de gamme, pour composer les capteurs de mesure de qualité de lair de notre partenaire Air Carto, lui aussi Marseillais. Ces boucles d’économie ultra-circulaire sont les plus vertueuses, elles permettent de montrer très concrètement ce qu’il est possible de faire, de donner envie.».

Qui vous fournira les batteries ?

« Nous travaillons avec Batribox, un éco-organisme à but non lucratif agréé par l’État pour organiser la filière REP (lire bonus) des batteries. Jusqu’à présent, il les collectait pour les faire recycler sur le territoire français. Dans les prochaines années, il sera tenu d’assurer qu’une part croissante de ces batteries soit réemployée avant l’étape de recyclage ».

Comment valorisez-vous les cellules encore performantes ? 

« Nous vendrons des cellules à lunité pour les clients qui veulent composer leur propre pack batterie. Ou en packs batterie déjà constitués avec des cellules homogènes – toutes à 70% par exemple. Le type de pack dépendra des besoins : avec 70 ou 90%, on ne peut pas en faire la même chose. Un pack de cellules à 70% suffira pour le petit moteur dun volet roulant autonome. Mais il faudra un peu plus pour l’éclairage public dun terrain de foot. Notre mission est de maximiser le réemploi ».

Vous faites aussi des « kits d’autonomie solaire », cest quoi ?

« Ce sont des produits clés en main qui combinent batterie et panneau solaire. Ces kits transforment rapidement des appareils en systèmes autonomes. Comme les capteurs d’Air Carto qu’on n’a plus besoin de brancher sur secteur. Dans ce cas, c’est nous qui assurons le bon dimensionnement entre le panneau solaire et la batterie, en fonction du besoin énergétique de l’équipement ».

Quel aspect du reconditionnement intéresse-t-il le plus vos clients ?

Capteur de la qualité d’air Air Carto avec une batterie reconditionnée Re-lion @DR

« Nos premiers clients sont vraiment sensibles à la dimension circulaire, au fait qu’on évite un vrai gaspillage, et que notre production soit locale ! Mais au-delà de cette première cible, nous nous devons de garantir un prix inférieur au neuf pour une qualité au moins équivalente. Et chercher, toujours, à augmenter notre valeur ajoutée avec des services connexes. Comme le monitoring à distance de l’état des batteries, qui est vraiment utile quand on gère un parc important d’équipements mis en autonomie ».

Le gros sujet reste le futur des batteries de voiture, envisagez-vous de les reconditionner aussi ?

« Effectivement, cest un sujet. Les voitures sont pour linstant sur les routes, mais dans une poignée d’années, on va se retrouver avec des montagnes de batteries en fin de vie. Quand ce gisement arrivera sur le marché, on sera en mesure de le reconditionner. Nous appliquerons la même recette qu’aujourd’hui : collecte, démantèlement, utilisation de l’IA, etc. Le Groupe Renault, dans le cadre de son hub dinnovation ‘’The Future Is NEUTRAL’’, accompagne d’ailleurs le déploiement de Re-lion Factory à travers son programme dincubation ».   

Votre première chaîne de production démarre dici cet été dans votre usine au Rove, quel sera son rythme ? Avec quels objectifs ?

« En rythme de croisière, notre unité permettra de donner une seconde vie à 5 000 batteries de vélos et trottinettes par mois, avec la création dune trentaine demplois à temps plein. Une partie sera confiée à lESAT du Rouet, pour certaines étapes du démantèlement.

Ceci n’est pas qu’une batterie, c’est aussi la mine du futur @DR

À court terme, l’objectif est de bien maîtriser la montée en puissance de notre activité et de la capacité industrielle. Dans les prochaines années, on sera amenés à agrandir et automatiser davantage notre unité de production. Par exemple, en utilisant les technologies laser pour désolidariser les feuilles de nickel soudées aux cellules des batteries.

Mais l’actualité de la filière photovoltaïque, avec la baisse significative des tarifs de rachat de l’électricité par EDF, va faire exploser la demande de batteries pour l’autoconsommation domestique. Et les cellules de batteries de voiture seront parfaites pour ça ! On prépare donc un déploiement plus rapide dans ce domaine ».

Quels sont les enjeux pour vous aujourdhui ?

« Le grand enjeu, pour nous comme pour nos confrères – nous sommes quelques-uns en France à travailler sur l’économie circulaire des batteries dont Volt’R à Angers – est de constituer une filière solide, sur laquelle l’État et l’Europe puissent compter dans leurs politiques industrielles et commerciales, vis-à-vis des partenaires asiatiques. On peut et on doit s’autoriser l’ambition, à l’échelle européenne, d’une relocalisation de la production de batteries stationnaires à partir de batteries de mobilité en fin de vie. Si les Hauts-de-France sont positionnés sur la fabrication de batteries neuves pour véhicules électriques, avec ses giga-factories, notre région Sud a tous les atouts pour devenir le territoire d’excellence des batteries stationnaires en seconde vie » ♦

# Bio express

  • 2022-2023 : Étude de faisabilité formelle (soutien Ademe / Région)
  • 2023-2024 : Phase « atelier laboratoire » (soutien BPI
  • Premiers semestre 2025 :  Installation de l’usine au Rove (soutien Fonds pour une Transition Juste)
  • Ouverture d’ici l’été 2025

Bonus

# Re-Lion Factory, une ‘’société à mission’’. Ce terme désigne toute entreprise qui se donne pour objectif de contribuer positivement à la société et à l’environnement, via la réalisation d’objectifs qu’elle se fixe. La raison d’être de Re-lion Factory : « Donner une seconde vie au maximum possible de batteries lithium-ion utilisées pour des besoins de mobilité, en réaffectant leurs cellules à des usages de stockage stationnaire. Et ainsi contribuer à réduire l’empreinte environnementale et sociale de la filière. Réduire les coûts de la transition énergétique. Et renforcer la souveraineté de la France et de l’Europe en matière d’approvisionnements en batteries. »

# Quest-ce que la REP ? Le principe de la Responsabilité Élargie du Producteur repose sur une logique simple. Tout acteur mettant des piles ou batteries sur le marché doit en assurer la gestion en fin de vie. Cela inclut la collecte, le tri, le traitement et le recyclage. Deux options soffrent aux producteurs : assumer directement cette responsabilité à travers un système individuel. Ou déléguer cette mission à un éco-organisme agréé. Lagrément, délivré par les ministères en charge de l’Écologie et de l’Économie, garantit que les structures engagées respectent les exigences de collecte, de traçabilité, dinformation. Et de performance environnementale.

♦(re)lire Voyager autrement avec le vélo-caravane solaire

# Financements. Le Fonds pour une Transition Juste a accordé à Re-lion 777 000 euros de subventions européennes pour financer la construction de la première unité industrielle dédiée au reconditionnement de batteries lithium en Région Sud-PACA. D’autres financements publics et une levée de fonds sont en cours de finalisation, pour un montant total attendu de 3 millions d’euros.

# AirCarto est un projet ouvert, collaboratif et citoyen de mesure de la pollution de l’air. Alors que les particules fines dans les grandes villes atteignent des taux de concentration inquiétants pour la santé des habitants, AirCarto propose de mesurer la pollution de l’air. Et de rendre disponible ces informations aux citoyens.