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Les Frangines, un réseau rural de femmes actives qui se serrent les coudes
Le collectif Les Frangines a été lancé au sud de la Haute-Garonne pour encourager l’entrepreneuriat féminin dans les campagnes. Agricultrices, travailleuses indépendantes, artisanes ou encore créatrices se retrouvent dans des lieux tournants pour s’écouter, s’entraider et rompre leur isolement quotidien.
De bonnes odeurs réconfortantes d’arabica et de thé embaument La Cafetière, tiers lieu culturel de la cité médiévale d’Aurignac. Une quinzaine de femmes se sont rassemblées en cet après-midi pluvieux dans la petite commune du Comminges, à l’ouest de la Haute-Garonne. Certaines sont venues en voisines du Volvestre, du Muretain, des alentours de l’Aspet. D’autres de l’Ariège ou du Gers. Les petites routes de campagne ne les ont pas dissuadées de braver la bruine automnale. Il faut dire que la réunion des Frangines est l’occasion pour beaucoup d’entre elles de rompre avec un quotidien en solitaire : les travaux à la ferme, les tâches et la création derrière un bureau, un comptoir ou en atelier…
Les yeux sont tournés vers Agathe, dont la reprise de l’exploitation agricole, qu’elle souhaite voir aboutir, s’avère compliquée. Elle fait part des difficultés rencontrées et le groupe attentif l’écoute et essaie de la conseiller du mieux possible. L’intense discussion en cours répond aux objectifs du collectif Les Frangines : s’entraider, se soutenir, rompre l’isolement et rapprocher les femmes qui travaillent en milieu rural.

« Les entrepreneuses sont souvent seules. Ça l’est d’autant plus à distance des villes. Elles peuvent se sentir délaissées, dépassées dans leur quotidien. Entre la vie professionnelle et celle de famille, elles ne voient pas grand monde. Participer aux réunions, aux cafés et aux ateliers des Frangines favorise les liens et les nourrit », souligne Mathilde Loisil, animatrice du collectif depuis mai 2024.
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Le sexisme est aussi une réalité dans les campagnes
Le réseau Les Frangines a été lancé en 2016 pour encourager l’entrepreneuriat féminin en milieu rural. Celui dont Mathilde Loisil assure l’animation est porté depuis 2020 par le CIVAM 31 (lire bonus) en partenariat avec la Maison de l’avenir Comminges-Pyrénées dont la dynamique directrice, Julie Talbot, vient parfois copiloter les événements. « Elle a une super connaissance du territoire, des acteurs qui y évoluent et une pêche communicative », observe Mathilde Loisil.
L’idée des Frangines est de permettre aux femmes qui entreprennent sur les territoires ruraux d’avoir un espace et des ressources proches de leur lieu de vie pour pouvoir se rencontrer, échanger et monter en compétences. « Même si nous sommes en milieu agricole, le collectif n’est pas seulement représentatif de la paysannerie. Les femmes exploitantes y figurent certes, mais en milieu rural se trouvent aussi des artisanes, des commerçantes, des créatrices, des auto-entrepreneuses, des porteuses de projet… ».
Ainsi, lorsque les services publics désertent les espaces ruraux ou y sont insuffisants, les femmes sont les premières affectées (garde des enfants, transport à assurer…). Par ailleurs, elles ont plus de difficultés pour s’intégrer dans certains réseaux professionnels. Et pour obtenir des financements pour mener leurs projets. Car le sexisme ne s’arrête pas aux portes des villes. Il est aussi une réalité des campagnes. Le monde rural, dont l’agriculture, se féminise certes mais il reste encore beaucoup à faire pour effacer les clichés et les inégalités.

Mutualisation d’outils, formations et échanges de pratiques
Le collectif Les Frangines permet d’échanger sur le concret de la vie d’entrepreneuse, sur les joies et les embûches rencontrées. « Ce qu’on ne fait pas forcément quand on discute avec les copines où on évoque avant tout la famille, les amis communs, les loisirs… », reconnaît l’animatrice. Les Frangines favorisent le soutien, la mutualisation d’outils ou de collaborations, les formations et échanges de pratiques. « Quand l’une d’entre nous soulève un caillou dans son parcours, les autres peuvent apporter une solution, transmettre un contact qui pourra aider, raconter un vécu similaire », poursuit Mathilde Loisil.
Les problématiques pointées peuvent tourner autour de l’estime de soi, de la capacité à mesurer ce que vaut son travail, du syndrome de l’imposteur, des difficultés à se faire connaître et à aller vers autrui… « Les questions plus techniques de comptabilité, de business-plan, de communication sont plus du ressort des acteurs spécifiques du territoire. Donc on transmet les coordonnées si cela s’avère nécessaire ».

Les réunions des Frangines permettent de définir et de maintenir les objectifs et les attentes des participantes. « On en a environ deux dans l’année ». Les Cafés, plus fréquents, sont des moments informels où l’on discute de sujets liés à l’entrepreneuriat et la ruralité. L’information sur leur tenue et le lieu de rencontre, tournant sur toute la zone géographique concernée, est diffusée aux 150 inscrites du réseau. Libres à chacune de venir selon ses disponibilités et ses envies. « En principe, ça débute par un tour de table. On se présente. On explique ce que l’on fait, ce qui nous amène, ce que l’on attend et la discussion prend d’entrée de jeu », résume Mathilde Loisil. Les ateliers répondent plus précisément à un besoin ou une formation spécifique : s’initier à une pratique, comprendre une technique…
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Exprimer les besoins pour nourrir les discussions des Cafés des Frangines
Mathilde distribue des post-it. Des stylos-bille à celles qui n’en ont pas. Elle invite les participantes à noter leurs besoins, ce qui serait pertinent d’avancer lors des prochains cafés et quels ateliers initier. Le tiers lieu de La Cafetière est bien silencieux. Seules les mines s’expriment sur les bouts de papier. Émilie écrit en appui sur le bord de la table rectangulaire où Les Frangines ont pris place. Avec son associée, elle travaille d’arrache-pied sur la Marmite Electrique, leur projet de café cantine culturel basé à Sepx, petit village du Comminges.
Leur objectif est d’investir les communes rurales alentour en manque de lieux culturels et de bistrots. De recréer du lien social dans ces patelins loin de Toulouse, où la vie n’est peut-être pas si bouillonnante, mais où il est cependant vital d’insuffler une dynamique. Elles ont trouvé grâce aux Frangines l’énergie de poursuivre l’aventure parfois difficile. « Nous recherchons depuis un an et demi un local pour monter notre espace de vie culturelle. Le soutien et les connexions des Frangines nous ont bien aidées à tenir le cap ».

Catherine est assise en face d’Émilie. C’est une habituée des Frangines. Au départ, elle ne voyait pas ce que le collectif pouvait lui apporter. « Je pensais donc que je n’avais pas ma place dans ce réseau. Je ne suis plus une jeunette. J’ai déjà fait ma carrière. Mon élevage d’ânes est surtout un plaisir pour faire connaître les animaux que j’aime ». Rapidement, elle a compris qu’elle avait, par son expérience, son mot à dire. Et qu’il n’y avait pas de profil, d’âge et de type d’activité arrêtés pour rejoindre le collectif. « Nous sommes issues de parcours différents. Mais la galère de mener sa vie professionnelle de concert avec sa vie de femme est le lot de nous toutes ». ♦
* La Fondation de France Méditerranée parraine la rubrique “Société” et vous offre la lecture de cet article *
Bonus
[pour les abonnés] – Les CIVAM – Le monde rural, définition –
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# Les CIVAM, pour Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural. Ce sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agroécologique. Les CIVAM constituent un réseau de près de 130 associations qui œuvrent depuis 60 ans pour des campagnes vivantes.
# Monde rural. Les espaces ruraux se définissent d’abord par leur faible densité de population. Jusqu’en 2020, l’Insee caractérisait le rural comme l’ensemble des communes n’appartenant pas à une unité urbaine, définie par le regroupement de plus de 2 000 habitants dans un espace présentant une certaine continuité du bâti. La nouvelle définition proposée rompt avec cette approche centrée sur la ville. Les territoires ruraux désignent désormais l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses d’après la grille communale de densité.
Ils réunissent 88% des communes en France et 33% de la population en 2017.