Économie
Les sociétés coopératives veulent transformer l’économie
Elle sont au nombre de 4495 en France. Les sociétés coopératives (Scop ou Scic) sont des sociétés commerciales animées par plusieurs valeurs parmi lesquelles la démocratie en entreprise, le partage de la richesse créée, la transition écologique ou l’inclusion sociale. Créatrices d’emplois non délocalisables, elles sont en moyenne plus solides que les entreprises classiques. Il n’empêche que l’accès au financement leur est difficile. Un sujet qu’ont souhaité aborder les participants du Lundi de la transition organisé lundi 23 septembre à Marseille. Avec comme invitée-star Maud Sarda, fondatrice du Label Emmaüs.

« La coopérative est à mi-chemin entre une association et une entreprise. C’est une entreprise classique, qui paie des impôts et collecte la TVA, mais qui n’a pas pour seul objectif la quête de profit », esquisse Maud Sarda, fondatrice de la Scic Label Emmaüs (bonus) et invitée-star du second Lundi de la transition de 2024 organisé par la Ville de Marseille et animé par le Groupe Rive Neuve (bonus). Une deuxième édition qui a choisi de prendre place au Tiers-Lab des transitions porté par le Lica, dans une capsule de verdure au cœur de Marseille. Avec pour thématique les coopératives qui agissent pour la transition écologique et sociale.
De coopératives, il s’agit plus précisément de Scop (société coopérative de production) et de Scic (société coopérative d’intérêt collectif). Si la Scic a été créée en 2001, la Scop est beaucoup plus ancienne, puisant son origine dans la Révolution industrielle. À cette époque, elle permet à des ouvriers de s’émanciper du salariat considéré comme avilissant. La Scop a la vertu de mettre entre les mêmes mains travail et capital, protégeant les travailleurs de l’exploitation capitaliste.
Le modèle se développe, non sans mal. Jusqu’à connaître un essor significatif ces dernières années. Cet été, c’est l’exemple de Duralex, reprise par ses salariés au format de Scop, qui a attiré les lumières médiatiques. À l’instar de Scop-Ti, suite, là aussi, à une reprise de l’outil de production par les travailleurs. Mais la majorité des Scop ne sont pas issues de reprises, et naissent sous ce format qui présente plusieurs atouts.
Une personne, une voix

<!–more–> « Dans une société coopérative, une personne égale une voix. Cela change la façon d’aborder le monde de l’entreprise », observe Maud Sarda. La Scic suit la même logique, sauf qu’elle s’ouvre à toutes les parties prenantes d’un projet d’intérêt général : usagers, pouvoirs publics, citoyens, fournisseurs… Il s’agit en fait de distribuer le pouvoir selon une répartition beaucoup plus égalitaire, et non en fonction des fonds que chacun investit dans le projet. Infusant davantage de démocratie dans l’organisation.
« Les coopératives sont une force à plusieurs égards, complète Virginie Gallon, co-directrice d’Enercoop Paca, seul fournisseur d’énergie (renouvelable) sous forme coopérative (Scic). Elles sont plus indépendantes. Chez Enercoop, nous disposons d’un capital social de 40 millions d’euros qui nous permet de tenir bon et de suivre notre raison d’être sans compromis devant des actionnaires gourmands. On appartient à nos salariés, à nos clients et à nos fournisseurs. Nous avons peu de chances d’être rachetés et nous pouvons garder notre cap sur la transition énergétique ».
Des enjeux démocratiques qui dépassent les murs de l’entreprise
Par sa forme, Enercoop (bonus) entend encourager « une réappropriation citoyenne des questions d’énergie ». Contribuant à la transition écologique en impliquant le plus de parties-prenantes possibles. Tout comme le Label Emmaüs qui favorise les achats de seconde main tout en permettant à des personnes éloignées de l’emploi de se réinsérer dans la société.
La transition écologique est aussi ce qui mobilise Citiz (bonus), autre Scic opérant dans l’autopartage et représentée par son directeur Yvon Roche. Défendant une mobilité plus responsable, la structure n’aurait probablement pas pu se maintenir à flot si elle avait été une entreprise classique, comme l’explique Yvon Roche. « Nous avons démarré avec quelques subventions et, au début, nous étions en déficit permanent. Il a fallu cinq à six ans pour que nous trouvions notre équilibre économique. Si nous étions une entreprise classique avec obligation de rentabilité rapide, nous aurions dû fermer. Les banques ne nous auraient pas suivis. Mais nous avons pu compter sur les titres participatifs (bonus) pour réinvestir jusqu’à atteindre l’équilibre ».

Un taux de survie supérieur à la moyenne
Une résilience que l’on retrouve également dans l’histoire d’Enercoop, la Scic ayant fait le choix de refuser les nouvelles ventes au moment de la crise énergétique de 2022. « Une entreprise classique aurait été obligée de revendre. Nous, nous avons pu nous appuyer sur notre capital social avant de rouvrir les ventes quand les tarifs de l’électricité sont redevenus raisonnables », se remémore Virginie Gallon.
Et les chiffres en attestent : les coopératives sont plus solides que les entreprises classiques. Cinq ans après leur création, 79% sont encore debout, contre 61% pour les autres entreprises d’après Confédération générale des SCOP.

Actrices de la transition sociale et écologique, les sociétés coopératives sont aussi tout à fait viables d’un point économique. Pourtant, et c’est là l’objet de la seconde table ronde de ce Lundi de la transition, elles ont plus de mal que les autres à accéder aux financements. Et Maud Sarda peut en témoigner. « Si nous n’avions pas le nom Emmaüs, on aurait eu beaucoup de mal à avoir accès à un financement d’amorçage ». Et de regretter la frilosité de certains organismes publics comme Bpifrance à financer les sociétés coopératives, au profit de startups dont l’utilité vis-à-vis de l’intérêt général laisse parfois à désirer.
Quant au secteur de la finance privée, la fondatrice du Label Emmaüs regrette une forme de « condescendance. On nous prend souvent pour des rigolos alors que la gestion d’une société coopérative est souvent plus difficile que celle d’une entreprise classique. Cela demande une énergie folle et un sens de l’entrepreneuriat très poussé ».
Incompréhension des financeurs

Face à elle, Ismaël Ouanes, directeur territorial en charge de l’économie sociale & solidaire à la Banque des territoires en Provence‑Alpes‑Côte d’Azur liste plusieurs explications. Parmi elles : une méconnaissance des spécificités de ces sociétés. Mais aussi, plus largement, un fossé culturel.
Dans une société où les principes du capitalisme nourrissent l’imaginaire entrepreneurial, « toutes les politiques suivent cette trajectoire. Et dès qu’on sort de ces schémas, cela met des gens dans l’inconfort ». Le principe « une personne égale une voix » génère par exemple, selon lui, un certain scepticisme des investisseurs habitués à ce que le pouvoir obtenu dans une structure dépende de l’argent qu’on y investit.
D’où la nécessité de se tourner vers les bons acteurs, à commencer par les spécialistes de la finance responsable comme la Nef – présente lors du débat – ou France Active. Les Unions régionales des Scop sont aussi une ressource importante dans l’accompagnement et le financement de ces structures.
Militer pour réorienter «la grande machine économique mondiale»
Mais il est une autre clé à ne pas négliger, pense Ismaël Ouanes : l’engagement militant. Celui-ci permettant « de réorienter la trajectoire de la grande machine économique mondiale », au profit d’une économie plus respectueuse des limites humaines et planétaires.
Un travail militant auquel s’adonnent les Licoornes, une union de coopératives co-fondée par Maud Sarda et qui regroupe douze coopératives parmi lesquelles Citiz, Enercoop, le Label Emmaüs mais aussi Biocoop ou La Nef. « Notre ambition est de prouver que les sociétés coopératives peuvent offrir une alternative éthique et responsable dans tous les domaines économiques. Nous représentons un total de 140 000 sociétaires, ce qui donne une grosse assise à nos plaidoyers, y compris sur les enjeux de financement ».
♦ Lire aussi : La coopérative viticole d’Estandon se fait Scic
De quoi mettre en lumière ces structures qui apportent des solutions à de nombreuses problématiques économiques ; de la relocalisation industrielle à la quête de sens au travail. En passant par l’inclusion et la transition écologique.
Un message qui s’adresse aux clients autant que des créateurs d’entreprises, encore trop peu nombreux à opter pour le format coopératif. Tout comme aux pouvoir publics -locaux comme nationaux- de la part desquels les Scop et Scic attendent davantage de soutien. ♦
Bonus
- Label Emmaüs – Fondé par Maud Sarda, cette Scic gère un site de vente en ligne sur lequel on trouve des objets de seconde main donnés à des recycleries solidaires partout en France. La plateforme compte pour l’heure 200 vendeurs, et emploie soixante salariés dont 20 en insertion qui assure la logistique autour des 2,5 millions de produits uniques que l’on peut chiner sur le site. Le Label Emmaüs a par ailleurs ouvert en Seine-Saint-Denis une école qui forme des demandeurs d’emploi aux métiers du e-commerce. Une seconde vient d’ouvrir à Marseille, au Pôle média de la Belle de mai. L’école permet à des personnes majoritairement sans baccalauréat d’acquérir en six mois un niveau Bac+3.
- Citiz – Cette Scic regroupe des coopérateurs qui se partagent une flotte automobile. Le réseau compte 65 000 conducteurs et 6 500 voitures répartis dans plusieurs villes de France.
- Enercoop – Cette Scic qui regroupera bientôt 13 coopérateurs fournit de l’électricité renouvelable pour particuliers et professionnels. S’y ajoutent des missions de bureau d’étude, de formation ou encore de lutte contre la précarité énergétique.
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- Les Lundis de la transition – Initiés par la Ville de Marseille en 2021 et organisés par le groupe Rive Neuve, les “Lundis de la Transition” offrent une plateforme d’échanges autour des enjeux liés à la transition écologique, sociaux et environnementaux auxquels la ville sera confrontée dans les années à venir.
- Les titres participatifs : qu’est-ce que c’est ? – Le titre participatif est une valeur mobilière émis par une coopérative qui permet de renforcer les capitaux propres sans modifier la composition de son capital. Les investisseurs peu familiers de ce type d’entreprises ont parfois du mal à considérer ces titres comme appartenant aux fonds propres, craignant de fait d’y investir de l’argent.
- Pour en savoir plus – L’émission “Entendez-vous l’éco” a abordé le sujet des Scop mercredi 25 septembre. Le podcast est encore disponible.