Agriculture

Par Frédérique Hermine, le 10 mai 2024

Journaliste

L’IA dans les vignes, agent de service pour la transition écologique

Détection du mildiou grâce au capteur d'image©Chouette
L’intelligence artificielle peut avoir bien des vertus en vignes. L’IA contribue ainsi à fournir une boîte à outils précieuse pour la filière et les entreprises viticoles. Elle aide déjà à mieux détecter les maladies et optimiser le passage des traitements. Et participera bientôt à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Illustration avec les programmes développés par l’entreprise Chouette et la start-up WinePilot.

L’outil est nouveau, mais pourrait se révéler très précieux à l’avenir pour participer à la transition écologique. Les vins de Bourgogne puis ceux du Sud-Ouest ont été les premiers à s’engager dans une stratégie de neutralité carbone d’ici 2035 dans le cadre du plan d’adaptation et de transition de la filière. Pour cela, ils ont adopté la plateforme digitale développée par la start-up WinePilot by FoodPilot. Cette dernière récolte les données fournies par une entreprise. Puis propose des actions pour diminuer l’émission de gaz à effet de serre (GES) et augmenter la capacité de stockage du carbone.

« La particularité de WinePilot est de disposer d’une fonctionnalité simplifiée : une interface de saisie facile à remplir pour les interprofessions », explique Frédéric Volle, co-fondateur et directeur du développement. « Ce qui permet de diviser par deux les questions, soit une trentaine au total. À partir de leur analyse, nous estimons pouvoir reconstituer 80% de limpact carbone dune entreprise. Le reste peut être complété si besoin par lIA ».

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Les calculs de l’IA permettent de diminuer l’émission de gaz à effet de serre et augmenter la capacité de stockage du carbone ©WinePilot

Une boîte à outils pour gérer les émissions de CO2

Dans un contexte de surcharge administrative et réglementaire dont se plaignent régulièrement les viticulteurs, la simplification devrait aider les interprofessions à motiver leurs troupes. « Le bilan carbone se mesure facilement. Rien de nouveau sous le soleil en la matière. Il faut juste veiller à mettre à jour constamment nos méthodes de calcul. Mais il est parfois difficile de déclencher ladhésion des entreprises », reconnaît Frédéric Volle.

À terme, les opérateurs disposeront d’une véritable boîte à outils pour réduire ou compenser les émissions de CO2. Des indicateurs chiffrés permettront de suivre leurs trajectoires. WinePilot est aussi l’outil qui a été retenu pour le plan « Objectif Climat » d’Adelphe. Cet éco-organisme de la filière viti-vinicole vise à réduire l’empreinte carbone du poste “emballage”. En effet, la bouteille est le premier contributeur du bilan carbone des vins à hauteur de 30 à 40%.

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Les pionniers bourguignons et en Aveyron

La collaboration avec les vins de Bourgogne est la plus avancée. Elle a démarré l’an dernier et l’application a été testée avec une trentaine d’opérateurs. Elle en est aujourd’hui à la phase de déploiement. Caves particulières, coopératives, négociants (soit 3800 acteurs du vin), peuvent désormais accéder gratuitement à la plateforme via l’extranet de l’interprofession. Lors de la première étape, WinePilot rassemble et analyse les données depuis la vigne jusqu’à la sortie des chais. Elle combine l’échelle macro à partir de données génériques et l’échelle micro à partir d’un territoire pilote. Les datas sont complétées par un échantillonnage d’une trentaine d’opérateurs de la région.

Dans un deuxième temps, la solution suggèrera des actions de réduction des émissions de CO2, par exemple des bouteilles allégées, des consignes de réemploi, l’utilisation de tracteurs thermiques… Et la séquestration du carbone que peuvent favoriser la plantation de haies ou l’enherbement dans les vignes. Pour le Sud-ouest, la phase de test avec le territoire pilote de l’Aveyron et une vingtaine d’opérateurs démarrera dans quelques semaines. « Il s’agit de démontrer l’intérêt à petite échelle et de jouer sur l’effet d’entraînement », précise Frédéric Volle.

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Parmi les solutions d’avenir, le tracteur thermique qui suit les émissions carbone ©DR

« Comme une feuille d’impôt préremplie »

Chaque opérateur de la filière dispose ainsi d’objectifs à son échelle, collective ou individuelle, avec des indicateurs précis. Il peut les suivre en temps réel. La même solution est donc utilisée à la fois par des institutions, des organisations professionnelles et des entreprises. Winepilot travaille également avec l’Ademe, l’agence de la transition écologique, sur le futur affichage environnemental. La méthodologie est en cours de validation par le cabinet Hévéa afin d’affiner les calculs. « Il ne faut pas opposer bilan et empreinte carbone afin que tout le monde s’engage vers la neutralité », insiste Frédéric Volle. » Pour ceux qui veulent aller plus loin, on peut rajouter des questions ». WinePilot pourra par ailleurs publier ses données dans les tableaux de bord d’autres référentiels (Planet-Score, B-Corp). « Cela permet de ranger les données au bon endroit pour faciliter les calculs, un peu comme votre feuille dimpôt préremplie ».

WinePilot aidera également, dans le cadre de la nouvelle obligation européenne en vigueur depuis le 1er janvier, les entreprises d’intérêt public et de plus de 500 salariés à établir le bilan de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). C’est-à-dire leur évaluation RSE et développement durable, élément clé du Pacte Vert pour l’Europe. D’autres interprofessions pourraient adhérer à cette solution : Bordeaux, la vallée de la Loire, Cognac, l’Alsace, la Provence…

Des capteurs dans les tracteurs

L’IA peut aussi se révéler une précieuse aide à la décision pour les acteurs du vignoble. L’entreprise Chouette s’est ainsi spécialisée dans les capteurs embarqués à bord des tracteurs, sous forme de mini-ordinateurs de bord. Ils photographient la parcelle de vigne de 8 à 20 fois par saison, sans intervention humaine. Les données de la caméra multispectrale sont envoyées automatiquement sur le serveur. Elles sont analysées via des algorithmes à partir de modèles agronomiques, puis vérifiées par des ingénieurs agronomes. Ensuite, elles sont restituées au viticulteur sous forme de cartographie, sur une plateforme web.

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Les capteurs embarqués photographient les parcelles ©Chouette.

« On agit ainsi sur trois éléments », détaille Vincent Attard, directeur des ventes de Chouette. « L’analyse de la vigueur de la vigne par zone pour évaluer l’homogénéité du cycle, corriger les zones faibles, évaluer les dégâts du gel. On peut identifier aussi des pertes de rendements, détecter les maladies (mildiou, esca, flavescence dorée) en repérant les premiers symptômes. Et on peut moduler l’utilisation des produits phytosanitaires et des intrants en sur ou sous-dosant en fonction de l’état de santé de chaque pied de vigne. Ce qui permet un gain de temps d’intervention et une économie de produits souvent de l’ordre de 20 à 30% ». Une solution qui coûte à partir de 119 €/hectare et par an (hors achat de matériel).

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La fin des drones

Parmi les utilisateurs de Chouette, des entreprises comme la coopérative alsacienne Wolfberger, le vigneron-négociant Gérard Bertrand en Languedoc, le domaine Méo-Camuzet en Bourgogne, le château de Saint-Pey en Saint-Emilion Grand Cru, le domaine Tariquet dans le Gers…

La start-up s’était faite connaître au départ par ses capteurs embarqués sur drones, utilisés dans les domaines bordelais de Bernard Magrez, notamment à Pape Clément. Les deux ingénieurs fondateurs, Charles Nespoulous et Cyril de Chassey viennent d’ailleurs d’Airbus. « Mais nous avons arrêté d’utiliser des drones, car ils nécessitaient de lourdes contraintes de sécurité et une trop grande immobilisation en temps pour le viticulteur ou en budget pour payer le prestataire » admet Vincent Attard. Néanmoins, leur utilisation depuis neuf ans en toutes saisons a permis à l’IA d’ingurgiter de nombreuses données (plus de 40 millions de photos). Chouette surveille à ce jour plus de 20 000 hectares et vise le leadership mondial du suivi de vignobles. ♦