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Main Forte : quand d’anciens mineurs ouvrent une voie pour l’insertion
Face au chômage de longue durée dans le Nord-Pas-de-Calais, d’anciens mineurs ont décidé de ne pas attendre qu’une solution tombe du ciel. Ils ont créé une structure d’accompagnement vers l’emploi spécialisée dans le transport : Main Forte. Trois décennies plus tard, ce modèle forme et emploie des dizaines de personnes chaque année. Un exemple inspirant d’innovation sociale portée par le territoire, pour le territoire.
Il y a trente ans, dans le bassin minier de Lens, d’anciennes gueules noires frappées par la fermeture des puits décident de reprendre leur destin en main. « Ils ne voulaient pas subir, ils voulaient agir », raconte Élisabeth Dargent, directrice générale de Main Forte depuis 2007.
Les mineurs, organisés en collectif, créent alors une association de lutte pour le droit au travail. En 1993, ils fondent Récup’tri, une structure dédiée à la collecte et à la revalorisation des déchets. Leur collaboration avec des enseignes de la galaxie Mulliez (Norauto, Leroy Merlin, Decathlon…) les amène alors à s’intéresser aux besoins logistiques du secteur. C’est le déclic : en 1995, ils créent Main Forte, une structure d’insertion spécialisée dans le transport.
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Une formation sur mesure pour remettre les gens en route
Aujourd’hui, la société emploie 70 personnes en insertion, réparties entre son siège social à Harnes (Pas-de-Calais), ses locaux à Lille (Nord), son entrepôt à Saint-André (banlieue de Lille) et un site à Vitrolles (Bouches-du-Rhône). Elle compte également une trentaine de permanents et génère près de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires par an.
Les salariés en insertion sont recrutés en CDD de six mois, renouvelables sur deux ans maximum. La majorité d’entre eux a déjà le permis B, suffisant pour conduire des camionnettes. N’étant pas agréée auto-école, Main Forte ne propose pas le passage du permis directement. Grâce à des partenariats avec le Conseil régional via le Plan Régional de Formation (PRF) et France Travail, beaucoup parviennent ensuite à financer leur permis poids lourd, parfois en alternant emploi et chômage. Et Main Forte apporte ensuite aux salariés en insertion une formation à la sécurité, au chargement/déchargement, à la protection de la marchandise…
En moyenne, le personnel en insertion reste13 mois dans l’entreprise, avant de basculer vers un CDI ou une mission d’intérim. La structure affiche un taux de sortie dynamique de 64%, bien supérieur à la moyenne nationale (41%), grâce à la forte demande que connaît le secteur.

La logistique prend de plus en plus de places
« Le transport n’est pas un métier unique, mais recouvre une multitude de réalités », souligne la directrice. Le quotidien change selon la distance (régionale, nationale, internationale), le type de véhicule, ou encore la nature des marchandises.
Depuis trois ans, Main Forte propose également des formations en logistique dans son entrepôt de Saint-André (près de Lille), pour répondre aux besoins croissants de la manutention.
Dans le Nord Pas-de-Calais, un nouveau partenariat avec Eiffage et Bouygues a notamment permis de développer une activité dans le BTP. « Les salariés se déplacent sur chantier avec une gouttière qu’ils découpent sur place, à la demande et à la taille souhaitée par le client. Cela leur apprend à manipuler d’autres véhicules et d’autres outils. C’est une ouverture vers de nouveaux métiers », se félicite Élisabeth Dargent.
Des profils plus éloignés de l’emploi, un accompagnement renforcé
Les profils des personnes recrutées ont changé depuis 2020 et l’arrivée du Covid. Ils sont plus éloignés de l’emploi, parfois en rupture avec le monde du travail, et souvent issus de l’immigration. Si les hommes restent majoritaires, les femmes prennent une place plus importante, elles représentent 14% des effectifs. « La majorité de nos salariés en insertion n’a pas ou peu de qualification. Certaines personnes sont au RSA ou encore sous bracelet électronique ». Main Forte essaie également de faire une place aux personnes porteuses de handicap. Olivier, chauffeur à Lille en fait partie. Malentendant, il travaille pour l’entreprise depuis deux ans.
Le rôle des formateurs et tuteurs a également évolué : le volet “savoir-être” a pris une place centrale. Il faut apprendre aux nouvelles recrues à gérer un planning, comprendre leurs droits (congés, arrêts maladie…), maîtriser les bases du droit du travail français. Un assistant social intervient aussi tous les quinze jours pour aider les employés dans leurs démarches administratives.
« L’époque où les routiers prenaient leur pause quand ils le voulaient est révolue »
Pour pallier les absences ou les désistements, Main Forte a dû recruter davantage de chauffeurs permanents. Car au-delà de la précarité, certains arrivent avec une vision idéalisée du métier : « Un bon salaire et une grande liberté », pensent-ils.
Or, comme le rappelle Élisabeth Dargent : « Si le salaire est toujours attractif, la liberté a fortement diminué. Aujourd’hui, les sociétés pour lesquelles nous sommes prestataires imposent des horaires très stricts. L’époque où les routiers prenaient leur pause quand ils le voulaient est bel et bien révolue. »

Le défi : allier transport routier et respect de l’environnement
Parmi les projets, la directrice générale souhaite axer davantage les formations sur l’écologie. Un domaine qui semble, à première vue, éloigné de celui du transport routier. « Pourtant 30% de notre flotte roule déjà sans gasoil et l’entreprise s’engage dans le développement de carburants alternatifs », souligne la directrice générale.
Depuis 2012, Main Forte est également adhérent à la Charte CO² ADEME et a passé l’audit du label avec succès en décembre 2024. Prochain objectif : développer l’éco-conduite. « Cela passe par l’utilisation du frein moteur, une vérification systématique de la pression des pneus, la réduction de la vitesse, etc. Nos formateurs en parlent, mais nous devons davantage sensibiliser nos chauffeurs en insertion pour que cela devienne un geste évident ».
Trente ans après sa création, Main Forte continue donc d’avancer à contre-courant des clichés sur le transport et l’insertion. La preuve qu’un territoire peut redevenir moteur. ♦