PolitiqueSociété
Melting Pot reconnecte les jeunes à la vie politique
Selon un sondage Ipsos pour Le Parisien réalisé en 2024, seuls 47% des 18-24 ans comptaient aller voter aux élections municipales de 2026. Quand 37% faisaient confiance à la classe politique, ce qui est très faible, même si cela reste supérieur à la moyenne des Français (22%). Comment les réconcilier avec la citoyenneté ? Par la sensibilisation ludique et participative répond l’association marseillaise Melting Pot, lancée en 2022 par Alexandre Pastor.
Démarrer une séance avec des élèves de 4e et 3e en montrant quatre portraits de princesses Disney, c’était osé. À cet âge-là, Blanche-Neige, Mulan, la Reine des neiges et Vaïana sont sorties des playlists depuis un moment… Mais l’audace est récompensée. Les mains se lèvent, les réponses aux questions sur les stéréotypes fusent, pari gagné. « C’est une première », sourit Neylan Topkaya qui anime cet atelier conçu par Melting Pot, association dédiée à la sensibilisation des 11-25 ans à la citoyenneté. Pot étant l’acronyme de Politique Ouverte à Tous. « On n’était pas sûrs que ça prenne, mais on avait remarqué, avec d’autres classes de l’établissement, que c’était des références qui leur parlaient. »
« On », c’est l’équipe pédagogique de cette structure marseillaise lancée en 2022 par Alexandre Pastor. Et l’établissement en question, c’est le collège Belle-de-Mai, dans le 3e arrondissement de Marseille, un quartier particulièrement défavorisé. Neylan y est déjà intervenue auprès d’élèves délégués et suppléants de 6e, puis de 5e. Elle récidive ce matin pendant deux heures avec les délégués des deux derniers niveaux. Une vingtaine d’élèves qui ne savent absolument pas à quoi s’attendre en entrant dans la salle de classe.
De l’éducation citoyenne et politique

« Nous, on fait de l’éducation citoyenne et politique », introduit Alexandre Pastor. Cet ancien éducateur sportif et directeur de centre social tout juste entré dans la trentaine estime que « les professeurs et les animateurs manquent d’outils » pour traiter ces questions-là. Et entend donc prendre le relais. « Aujourd’hui on va parler des inégalités filles-garçons, mais ça va être sous forme de petits jeux, vous allez voir. » Pas sûr que cela ait suffi à les rassurer. Au simple mot « politique », certains soufflaient déjà.
Répartis en trois équipes, chacune se choisissant un nom, les élèves découvrent comment gagner des points… Et rapidement, l’aspect ludique prend le dessus. Boosté par des questions-bonus en lien avec leur culture : nombre de femmes dans le top 50 Spotify France, pourcentage de personnages féminins dans les 100 jeux vidéo les plus populaires… Le processus lancé, Alexandre alterne avec des questions historiques comme le nombre de présidents sous la Ve République. L’occasion d’en préciser le début, de leur faire lister les noms ou encore d’évoquer le quinquennat et le septennat. Et de souligner qu’il n’y a jamais eu de présidente. Avant de demander, un peu plus tard, si des femmes ont déjà participé au second tour de l’élection présidentielle puis d’en discuter.
♦ Lire aussi l’article : Comment redonner aux citoyens le goût de l’engagement ?
Des photos et une frise chronologique

Le cœur du jeu, lui, consiste à placer des photos légendées sur une frise chronologique. « On fait un parallèle entre des dates clés pour les droits des femmes et des avancées technologiques, explicite le président de Melting Pot. On complexifie selon l’âge et le public. » Premier I-Phone, création de YouTube ou invention de ChatGPT côtoient ainsi le droit de vote des femmes, la loi Veil autorisant l’IVG ou l’entrée de l’IVG dans la constitution. D’ailleurs, « c’est quoi la constitution ? glisse le fondateur-animateur. C’est la loi des lois. Elle ne peut pas être bougée, contrairement à la loi. On met ce droit dans la constitution pour qu’on ne puisse pas le supprimer. » « Parce qu’il y a des pays où, en ce moment, on remet en cause ce droit », prolonge Neylan.
Dès qu’une occasion se présente, le président de Melting Pot fait de l’initiation aux institutions et à la vie politique. « Il y a une culture politique à pousser dès le plus jeune âge pour qu’à 18 ans, aller voter soit naturel. Ou que ne pas aller voter soit un vrai choix. On doit leur apprendre à regarder un débat ou des questions au gouvernement en comprenant les règles. Comme pour un match. On devrait tous avoir le même niveau de connaissances. C’est un enjeu de dignité citoyenne. »
♦ Lire aussi l’article : Avec Mojo, les jeunes deviennent des « journalistes citoyens »
Une boîte à outils ludique

L’association propose d’ailleurs d’autres formats d’intervention, notamment des débats, des rencontres avec des élus, des simulations parlementaires ou des procès fictifs. Dans les collèges et lycées, mais aussi dans des centres sociaux par exemple. « Pour faire émerger de nouvelles voix dans le débat public », dixit Alexandre Pastor.
« On a notre boîte à outils ludique, on pioche dedans et on propose du sur-mesure. On travaille toujours sur un enjeu de société comme l’aménagement du territoire ou la démocratie locale, en utilisant beaucoup la proximité, la musique ou le sport. Des élèves ont par exemple fait des propositions au conseil d’administration de leur établissement. On a aussi organisé une fausse campagne pour désigner le président du centre social de Malpassé, avec recueil de signatures, programme, équipe… Ou l’élection du président de la FIFA (Fédération internationale de football association). Comme on compare le président de l’OM Pablo Longoria et son entraîneur à Emmanuel Macron et son Premier ministre.»
Avec ce souci non seulement de vulgariser mais aussi d’amuser. De faire écho à leurs références et à leur manière de s’exprimer. Ce n’est pas pour rien que l’équipe est jeune. Que le tutoiement est de rigueur. Qu’il n’y a ni « monsieur » ni « madame », que Neylan dise « passe dé » pour passe décisive et parle d’ « Aya » pour la chanteuse Aya Nakamura. « Se limiter à l’échange, à la parole, c’est difficile avec des jeunes, résume cette trentenaire solaire et avenante, formée à l’animation. Il faut une expression divertissante. » Qui stimule la participation et l’adhésion. « Ils ont trop kiffé » glisse une surveillante, tandis que certains prolongent la discussion avec l’animatrice.

« S’ils sortent avec plus de questions que de réponses, on a gagné », résume Alexandre. « On est là pour développer la curiosité et l’esprit critique. » Melting Pot le fait d’ailleurs aussi sur Instagram et TikTok. Depuis sa création, l’association a déjà animé 250 ateliers et sensibilisé plus de 5 000 jeunes. ♦