Société

Par Marie Le Marois, le 28 août 2025

Journaliste

« Mon handicap m’a offert de super-pouvoirs » 

Sourde de naissance, Virginie Delalande sest battue pour être « comme tout le monde ». Mais s’est reniée pour se conformer, jusqu’à tomber en dépression. Après un long chemin dacceptation, elle a sublimé son handicap et fondé Handicapower. Cette conférencière et autrice vient de publier ‘’Kiffe ton handicap !’’ et de lancer le mouvement éponyme. Témoignage d’une femme solaire et volubile, qui a appris à parler sans entendre le son de sa voix et lit sur les lèvres avec une facilité déconcertante.

« Jai dû faire face à une surdité profonde de naissance et un diagnostic médical qui ma condamnée. Il disait que jamais je ne parlerais, napprendrais à lire ni écrire. Mes parents ne lont pas accepté, ce diagnostic qui leur donnait le sentiment que je serais une paria. Ils voulaient que jaie une place dans la société. Et pour lavoir, il faut parler. Mais comment y parvenir quand on na jamais entendu le son dune voix ? En effet, un enfant émet ses premiers mots après avoir écouté puis emmagasiné des informations ».

Le babillage, le premier langage

« Le babillage est le premier langage. Tous les bébés babillent, sauf que lenfant sourd arrête le babillage car il nentend pas son entourage lui répondre. Mes parents ont alors tout fait pour me faire comprendre que le mien avait un intérêt – par des gestes et beaucoup damour. <!–more–>

Puis jai appris avec une orthophoniste la position de la bouche et de la langue, mais aussi à gérer mon souffle. Le ‘’S’’ et le ‘’Ch’’, par exemple. Grâce aux méthodes de cette femme, que j’ai vue durant vingt ans, et celles de la Langue française Parlée Complétée (LfPC) (bonus), je sais parler et lire sur les lèvres ».

« Me voir handicapée dans le regard des autres fut très très violent »

Participation à l’émission d’éloquence ‘’Le Grand Oral’’ diffusée en 2019 sur France 2, « C’est la première fois où j’ai assumé devant le monde entier à la fois ma vulnérabilité et ma vision du handicap : on peut être heureux, réussir, réaliser ses rêves », Virginie Delalande

« Durant ma petite enfance, je ne savais pas que j’étais différente. Pour moi, ma surdité était une singularité, au même titre que de porter des lunettes, d’être roux ou avoir une peau plus foncée. Je ne voyais pas le problème, les autres devaient s’adapter à moi, comme moi je madaptais à eux. J’étais normale, détendue, jaimais la vie. Mais à 8 ans, je me suis pris une gifle magistrale lors dun anniversaire. On jouait au jeu du chat et de la souris, je voulais aider le chat qui était plus jeune, mais elle a refusé car, pour elle, je parlais trop mal. Jai entendu son grand frère lui dire : ‘’sois gentille avec elle, elle est handicapée ». Ce mot ma abasourdie. C’était la première fois que je lentendais. Javais grandi dans un petit village où tout le monde me connaissait. Pour moi, handicapé, c’était Quasimodo dans Notre-Dame ou Le Scaphandre et le papillon. Un handicapé ne pouvait rien faire ».

« Comment trouver ma place ? » 

« Me voir handicapée dans le regard des autres fut très très violent. Ça ma dessillée. Jai vu dans leur façon de se comporter avec moi, mais aussi dans leurs conversations (je lis sur les lèvres) quen fait, ils ne me traitaient pas de la même façon. J’étais mise à l’écart, zappée, pas considérée, pas respectée. Par exemple, quand il sagissait de former des équipes en sport, j’étais la dernière à être choisie alors que j’étais très sportive. J’étais devenue un boulet, une bête de foire, une paria comme mes parents le craignaient. Comment trouver une place dans une société qui ne veut pas de moi ? Comment faire pour que les gens ne remettent pas en question mes compétences et qualités ? Ces interrogations sont lhistoire de ma vie ».

« La colère ma d’abord nourrie »

« Nous avons un gros problème de représentativité dans les médias, on est réduit en permanence à notre handicap. La couverture de Forbes est importante pour moi, car elle met en avant qui je suis : une femme, professionnelle, inspirante et… en situation de handicap”, Virginie Delalande.

« Ce qui ma nourrie en premier, cest la colère. Vous me voyez comme handicapée ? Je vais me battre pour ne pas l’être. Vous me prenez pour une incapable ? Je vais vous prouver le contraire. Grâce à ce moteur, jai appris à parler, à lire et écrire, obtenu mon bac, un diplôme en droit des affaires, mon diplôme davocat et deux propositions de collaboration dans de grands cabinets à lissue de mes stages. J’étais rentrée dans la norme… mais à quel prix ! À 28 ans, javais tout pour être heureuse, un mari, deux enfants, une belle maison à Annecy, un très beau job – responsable du service juridique dans une compagnie dassurance. Je cochais toutes les cases mais je devais toujours me battre pour trouver ma place et la reconnaissance dans la société. Et, de fait, je trahissais qui j’étais vraiment. Ça ne pouvait pas durer, je n’étais pas heureuse. J’étais épuisée par tous ces efforts déployés. Javais perdu lespoir dune vie plus simple. Mon sentiment était quil n’était pas possible de faire autrement. Jai fait une dépression et pensé à me suicider. Mais la veille de lexécution de mon plan, mon mari a compris mon intention et m’a convaincue de consulter une psychothérapeute ».

« Je suis handicapée, mais aussi blonde, femme, mère… »

« Rien à voir avec tous les psys que javais vus toute mon enfance, qui disaient que c’était normal que je souffre puisque j’étais handicapée. En fait, mon handicap n’était qu’à 20% lorigine de mon mal-être, le reste était dû à des problématiques personnelles et tout ce qui mempêchait de trouver ma place. Pendant deux ans, jai travaillé dessus. Je suis passée de ‘’non je ne suis pas handicapée, je refuse toutes les aides’’ à ‘’je suis handicapée mais aussi blonde, femme, mère, amoureuse de la nature. Donc je vais vous montrer ce que vous loupez en vous arrêtant à mon handicap’’.

« Reprendre ma vie en main pour ne plus la subir »

Sortie le 27 août 2025, éditions Dunod

« La troisième phase a été de reprendre le pouvoir sur ma vie de personne en situation de handicap, darrêter de tout faire pour être ‘’comme les autres’’ et donc endurer certaines situations. En effet, à force de faire semblant de tout comprendre, je me retrouvais souvent en difficulté. Rien montrer en réunion quand mon interlocuteur était à contre-jour ou échangeait trop vite. Ne rien dire quand une personne me parlait en marchant, de dos ou en mettant la main devant la bouche. Ou encore, quand on voulait me faire écouter un morceau de musique ou memmener au concert. Ne rien dire quand on se retrouve seule dans les bureaux car on na pas entendu lalerte incendie.

Je compensais en permanence, je passais mon temps à vérifier toutes les informations dans mon job. Et je mettais autant d’énergie dans ma vie d’épouse et de mère. Cest pour ça que jai craqué. Jusquau jour où jai décidé de prendre le contrôle sur ma vie pour ne plus la subir. J’ai demandé un système de retranscription écrite dans les réunions qui dépassaient trois personnes. Jai installé sur mon smartphone une application pour retranscrire les appels. Au restaurant, je demandais une lumière forte au milieu de la table pour que je puisse lire sur les lèvres des convives et une table ronde pour bien voir tout le monde ».

« Mon handicap, je le magnifie désormais »

Première avocate sourde profonde de France, Virginie Delalande est désormais conférencière et autrice. Elle est également fondatrice du Handicapower et du mouvement Kiffe ton handicap. @DR

« La phase quatre, cest l’état de grâce. Celle qui fait quaujourdhui, je suis tellement épanouie. Jai réalisé que mon handicap mavait offert de super-pouvoirs, je lai magnifié. Je suis intuitive et finement observatrice. Je suis implacable dans le non verbal. Si une personne me ment ou ne me dit pas tout, je le sens. Je lis extrêmement vite, je suis persévérante, jai un grand pouvoir de concentration et lesprit de synthèse. Jai une vision macro, presque visionnaire des choses. Comme je suis perfectionniste (mais jessaie de maméliorer) et que je ne saisis pas tout ce qui se dit, je suis hyper curieuse. Je cherche à tout comprendre, à interroger en permanence la logique. Je suis également très forte en suppléance mentale (une stratégie du cerveau qui permet de deviner ou déduire ce quon entend mal dune conversation, NDLR) ».

Sortir du cadre et se mettre au service du collectif

« Jai compris qu’avec un handicap, on ne peut pas être heureux si on cherche à rentrer dans le cadre. Si on pense que la réussite passe par la normalité. Quand on en sen extrait, on fait des métiers extraordinaires, qui paraissent impossibles pour autrui. Je suis ‘’conférencière motivationnelle’’ et je dois être une des seules à en vivre financièrement pleinement. Jinterviens aussi bien dans des comités de direction que devant 2000 personnes. Je suis également coach certifiée. Jaccompagne toutes les personnes qui se sentent bloquées par des peurs ou des croyances limitantes. Je les aide à exploser leurs plafonds de verre et à se créer la vie quelles méritent vraiment. Enfin, pour faire vraiment bouger les choses au cœur des entreprises, je propose des formations sur le management de la diversité. Jai été managée puis manageuse, je me suis rendu compte que si la diversité relève des Ressources Humaines, linclusion est un sujet de management. Quand je parle de diversité, cest toutes les personnes qui ont un problème de place dans la société et d’épanouissement. Les hypersensibles, les personnes de couleur, les séniors, les multiculturalistes, etc. Il sagit de révéler les talents individuels pour les mettre au service du collectif ».

Un deuxième livre pour donner les clés

« Pourquoi le livre ‘’Kiff ton handicap’’ ? Je me suis rendu compte lors de mes conférences TEDx que je manquais de modèles de personnes épanouies avec un handicap. Et donc que j’étais un peu seule sur scène. Or, nous sommes nombreux, avec des handicaps différents, à vivre heureux et avoir une vie simple. Et ce qui est fou, cest quon traverse les mêmes étapes (suradaptation, etc.) et possédons les mêmes clés.

Par ailleurs, je ressentais le besoin impérieux de transmettre cette idée que oui, il est possible de kiffer son handicap. Jai alors écrit ce deuxième livre, où je mêle ma propre histoire à celles de dizaines dautres personnes quon croyait limitées et qui ont révélé des ressources insoupçonnées. Cest le livre que jaurais adoré lire adolescente. il maurait évité pas mal d’épreuves » ♦

YouTube player

Bonus

# Les étapes clés de son parcours dacceptation

  • 1988 : prise de conscience à 8 ans de limage négative du handicap et des jugements de la société
  • 2004 : naissance de son premier enfant
  • 2007 : diplôme davocat
  • 2019 : participation à l’émission d’éloquence ‘’Le Grand Oral’’ diffusée en 2019 sur France 2.
  • 2022 : ordre national du Mérite et couverture de Forbes.
  • 2025 : sortie de son deuxième livre «Kiffe ton handicap» et du mouvement éponyme.

#La Langue française Parlée Complétée ou Cued Speech est une aide visuelle avec la main pour différencier des mots dont la position des lèvres est semblable : pain, bain et main. La LfPC permet aussi de différencier des phrases où la lecture labiale est la même comme, par exemple, les phrases « Il mange des frites » et « Il marche très vite ». « Cette méthode m’a permis de pouvoir lire sur les lèvres avec un taux de compréhension de 70 à 80% », complète Virginie Delalande.

Kiffe ton handicap» est le point de départ dun mouvement du même nom, un appel à laction qui invite les personnes handicapées à transformer la perception de toute une société sur le handicap. « Lidée est à la fois de créer une solidarité entre handicaps différents car on saperçoit quon a tous les mêmes problèmes : trouver sa place dans la société, aller à lencontre des préjugés (on ne peut pas être rentable, performante, avoir une vie perso épanouie, etc.). Mais aussi d’accompagner individuellement les personnes en situation de handicap », explique cette quadra.