Environnement

Par Maëva Gardet-Pizzo, le 24 avril 2025

Journaliste

Avec les Moutons Marseillais, plus bêêê la ville !

Née en 2022, l’association Les Moutons marseillais mène des actions d’éco-pâturage et des animations de reconnexion au vivant aux quatre coins de la ville. Mélangeant des publics variés autour de moments champêtres et hors du temps. Comme en ce mercredi d’avril sur le campus de l’école d’ingénieurs Centrale Méditerranée. Où étaient attendus plusieurs dizaines de collégiens et lycéens des établissements alentour.

De discrètes clôtures électrifiées. Une herbe tondue seulement par endroits. Des étudiants qui s’attardent dehors malgré la grisaille matinale, l’air enjoué. Et cette odeur de ferme… En ce matin d’avril, un troupeau de 18 brebis et autant d’agneaux a pris ses aises dans l’imposant campus de l’école d’ingénieurs Centrale Méditerranée, à Marseille.

Arrivés il y a trois jours, ils devraient rester ici deux semaines au total. Trois, peut-être, en fonction du temps qu’il leur sera nécessaire pour débroussailler les quelque 35 000 mètres carrés du campus.

« C’est très drôle d’arriver à 8h et de voir des moutons dans ton école, s’amuse Eva, étudiante en première année. Hier matin, en cours, on les entendait bêler. C’était marrant ! ». « Depuis lundi, les étudiants et le personnel s’arrêtent devant les moutons, prennent des photos. On voit beaucoup plus d’étudiants s’installer dans l’herbe. Il y en a un qui a fait une sieste au bord d’un enclos », s’enthousiasme Alice Hornecker Dumas, qui travaille au service communication de l’école.

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Si la plupart des agneaux du troupeau sont encore allaités, ce n’est pas le cas de la petite Habibi, rejetée par sa mère. Il faut donc ces bénévoles comme Alice pour en prendre soin. @MD

Tondeuses à quatre pattes

Ces moutons urbains, d’un abord plus docile que leurs homologues des campagnes, sont ceux de l’association Les Moutons marseillais. Née en 2022 puis reprise deux ans plus tard par Maïté Kaczmarek (ex-salariée de l’association d’entreprises des quartiers Nord Marséa) et Laura Bayod, cette structure dispense aux quatre coins de la ville ses services d’éco-pâturage. Remplaçant les tondeuses par les bouches voraces de ses brebis. Une pratique aux nombreuses vertus.

Au-delà d’une tonte moins rase, « leur piétinement dynamise la première couche du sol. Les brebis limitent la croissance des espèces envahissantes. C’est positif pour la biodiversité. Et leurs déjections fertilisent le sol », explique le tandem de bergères.

Si le fondateur de l’association l’a quittée faute de parvenir à en vivre, les deux repreneuses espèrent étoffer leur clientèle pour pérenniser l’activité. « Nous avons un partenariat avec l’association Germ qui entretient des friches naturelles pour la Ville de Marseille. Nous travaillons aussi avec des structures médico-sociales. Et il pourrait être intéressant de nous développer auprès de structures de la réinsertion… ».

♦ Lire aussi : Dans la métropole lilloise, ânes et moutons remplacent la tondeuse à moteur

Quant à Centrale Méditerranée, fraîchement cliente, «c’est un partenaire génial, qui a tout de suite compris que le service que nous proposons était bien plus qu’un simple service d’entretien». Pour l’école d’ingénieurs, travailler avec Les Moutons marseillais est une manière de renforcer sa démarche RSE. « Nous avons mis en place beaucoup de choses dans notre offre de formation. Le but étant que tous les étudiants soient sensibilisés à l’impact climatique et aux limites planétaires au cours de leur cursus, assure Carole Deumié, la directrice des lieux. Puis nous nous sommes dit qu’il était aussi important de montrer l’exemple. Y compris dans la manière dont nous gérons ce lieu ». Avec la volonté d’y favoriser des pratiques écologiquement plus vertueuses. Mais également une forme de reconnexion au vivant.

Peu sauvages, ces moutons urbains n’ont pas peur de s’approcher des humains. Réclamant même leur dose de câlins lorsque leur humeur s’y prête. @MD

Un modèle économique à consolider

Toutefois, il n’est pas toujours aisé de nouer des partenariats équilibrés avec les clients. De trouver le juste prix. «Certaines structures sont dans une logique de mise à disposition d’espaces alors que les moutons rendent de véritables services». Des services dont la valeur environnementale est parfois difficile à chiffrer. Il n’empêche, ailleurs en France, certaines structures similaires y sont parvenues (bonus).

À Grenoble, cette activité a même fini par être prise en charge par la municipalité. Libérant les membres de l’association de la lourde tâche des demandes de subventions. Ceux-ci peuvent alors pleinement se consacrer à leur cœur de métier. Une option que Maïté Kaczmarek trouverait pertinente pour une ville comme Marseille. « Nous avons beaucoup d’espaces naturels. Et puis Marseille est une ville pleine de fractures. Or les brebis sont des animaux qui plaisent à tous et qui rassemblent ».

 

Maïté Kaczmarek, ex-salariée de l’association d’entreprises Marséa, a repris Les Moutons marseillais aux côtés d’une associée, bergère. @MD

Des moutons qui fédèrent

Preuve en est aujourd’hui au sein du campus, où une trentaine de collégiens et lycéens ont fait le déplacement. Ils sont issus de plusieurs établissements du réseau prioritaire. Et sont parrainés par des étudiants de Centrale Méditerranée dans le cadre de l’association étudiante Échanges Phocéens (bonus).

Regroupés en deux groupes autour d’un enclos sous le regard nonchalant de brebis occupées à mastiquer, les adolescents sont invités à répondre à un petit quiz sur la vie des moutons. Mais de leur côté aussi, les questions fusent. Comment reconnaît-on les mâles des femelles ? Les bergères urbaines arrivent-elles à vivre de leur activité ?

S’ensuit une délicate épreuve : celle de faire se déplacer le troupeau d’un enclos à l’autre. À l’arrière, quelques-uns s’équipent de bâtons pour les inciter à avancer tandis qu’à l’avant, on agite des seaux remplis de graines. Tous se préparent à les entourer afin d’éviter les fuites. L’opération se déroule finalement sans heurts.

« C’est trop beau de voir ces petits êtres tout mignons »

« Je trouve que c’est trop bien d’être connecté avec la nature comme ça ! », se réjouit Felicia. « C’est trop beau de voir ces petits êtres tout mignons », complète sa comparse Ymane, qui se rêve soudain en bergère. « Voir des animaux, ça me rend trop contente ! ». Elles sont rejointes par un autre de leurs camarades, Pancho : « À Marseille, on manque de nature, regrette-t-il. Il faudrait plus de verdure et moins de goudron. Plus de fermes, plus de parcs. Je sais que la ville travaille sur ça, c’est une bonne idée».

« Cette matinée, c’est une belle découverte », pense Ilyes, assis derrière une table en bois. « J’habite dans le 3e arrondissement, et je me rends compte qu’il y a beaucoup d’inégalités. On n’a pas tous accès à de la nature comme ici ». Et son ami Hichem de compléter : « On le voit quand on passe de Prado à Luminy, même l’air n’est plus le même ».

L’euphorie de la mini-transhumance étant retombée, arrive l’heure de repos pour le troupeau. « Pour les bergers, c’est le moment idéal pour faire une sieste ou pour créer. Certains sculptent dans du bois. Moi, j’aime bien dessiner », explique Alice qui a déjà participé à des estives.

Œuvre d’art en cours de réalisation … MD

Se reconnecter au vivant… et à soi-même

@DR

Suivant le rythme des bêtes duveteuses, les adolescents s’installent un peu partout. Sur les tables de pique-nique. Dans l’herbe fraîche. Plus ou moins loin de l’enclos. Au chevet des brebis pour quelques-uns. Sur les tables, les téléphones semblent prendre congé. Dans les mains des ados, ils ont laissé place à des crayons. Les feuilles blanches deviennent le terrain de dessins en tous genres. Hésitants ou assurés. Humoristiques. Enfantins. Poétiques.

Un moment hors du temps cher à Maïté Kaczmarek. « Dans notre société, la santé mentale est mise à rude épreuve. On n’a jamais été aussi stressés. Et notre déconnexion vis-à-vis du vivant, que ce soit au niveau de notre alimentation et de nos rythmes de vie, y est certainement pour quelque chose. Quand on prend le moment de se poser avec les brebis, je trouve que cela permet de revenir dans le temps présent ». Un sentiment amplifié lors des transhumances. « Lorsqu’on marche pendant dix jours, on se reconnecte vraiment à notre animalité, à nos sens. C’est quelque chose de précieux ».

Loin de l’image de leurs confrères de Panurge, les moutons sont finalement peut-être plus rebelles qu’on ne le croit. Nous montrant la voie d’une toute autre société. Plus lente. Plus sensible. Et assurément plus douce. ♦

 

Bonus

# Échanges phocéens – Depuis 2005, cette association organise du tutorat entre étudiants de Centrale Méditerranée et adolescents d’établissements prioritaires. « L’école, à travers son Labo Sociétal, a la volonté de confronter ses étudiants à des réalités sociales qui ne sont pas forcément les leurs », explique Sophie Dominique, coordinatrice du Labo Sociétal dans lequel s’inscrit Échanges Phocéens. Dans ce cadre, étudiants, collégiens et lycéens participent à une grande variété d’activités culturelles et sportives.

# Envie de devenir berger urbain ? – Aux côtés des deux associées, plusieurs dizaines de bénévoles comme Alice se relaient auprès des brebis. Que ce soit au moment des transhumances ou de l’agnelage, la période de mise bas qui se déroule en début d’année. Et l’association serait ravie d’élargir ses rangs. Elle est aussi ouverte aux dons.

# En quête de nouveaux espaces à brouter – Pour démarcher davantage de clients, l’association aurait besoin d’avoir une vision la plus précise possible des espaces verts qu’il serait possible d’entretenir grâce à l’éco-pâturage à Marseille. Toute remontée d’informations est donc la bienvenue.

♦ (re)lire : Vignes et moutons font bon ménage dans le Var

# Des moutons urbains aux quatre coins de la France – Marseille n’a pas l’apanage des moutons urbains. On trouve aussi de l’éco-pâturage à Paris, Lyon ou Grenoble. Avec des modèles économiques très différents, certainement dépendant fortement de subventions publiques, d’autres faisant preuve de beaucoup plus d’autonomie financière.

# Et la laine alors ? – Les brebis marseillaises sont des mérinos d’Arles. Des moutons réputés pour la qualité de leur laine. Mais ne produisant pas de très importantes quantités de laine, Les Moutons marseillais a jusqu’à maintenant fait le choix d’offrir sa laine à ses tondeurs prestataires. Néanmoins, soucieuse de valoriser cette ressource assez maltraitée sur le marché (concurrence internationale oblige !), l’association réfléchit à d’autres manières de faire. « On pourrait créer des liens avec des artistes et artisans locaux. Mais cela demande un gros travail en amont. À Lyon, ils en font du remplissage de coussins. La laine de mérinos peut aussi servir dans l’isolation ».